Rabah Ameur-Zaïmeche, médecin des âmes
Depuis 2002 et « Wesh wesh », ce cinéaste rebelle et poétique dit les maux mais aussi la beauté des quartiers populaires, et notamment ceux de Seine-Saint-Denis. « Terminal Sud », son dernier film, sort le 20 novembre, mais est déjà passé en avant-première au festival Cinébanlieue avec lequel le réalisateur possède une histoire commune forte. Portrait.
« J’aurais bien aimé être médecin. Mais finalement, cinéaste, c’est pas si éloigné que ça : on est un peu médecin des âmes, quelque part. » Dans chacun de ses films - il en a désormais 6 à son actif - Rabah Ameur-Zaïmeche prend le pouls d’une société française à la santé fragile et au souffle un peu court. Son dernier en date, « Terminal Sud », campe même comme personnage principal un médecin, magnifiquement interprété par Ramzy Bédia qui jouait déjà dans « Bled Number One ».
©Sarrazink Productions
Comme toujours, on retrouve dans « Terminal Sud » les obsessions du réalisateur : une défiance envers l’État et ses dérives autoritaires, et la volonté de rendre le pouvoir au peuple. Mais cette fois, Rabah Ameur-Zaïmeche a décidé de s’essayer au film d’anticipation. Nous voilà plongés dans un pays en pleine guerre civile, où l’État de droit a été balayé par une dictature militaire. Comme le médecin protagoniste, les repères du spectateur sont brouillés : on est à mi-chemin entre l’Algérie des années 90 - pour les situations décrites - et la France d’aujourd’hui – pour les paysages.
« C’est inspiré des années noires de l’Algérie au cours desquelles le peuple algérien a été victime de violences innommables. A la confiscation du processus électoral par les militaires qui voulaient garder les subsides du pétrole ont répondu les islamistes qui ont semé la terreur. », se souvient le réalisateur d’origine algérienne, 24 ans au moment des faits. D’accord, mais de là à vouloir transposer cette situation en France… « Une dérive autoritaire arrive toujours plus vite qu’on ne croit. L’histoire nous enseigne que ces évolutions sont toujours faites de petites trahisons : l’abandon de la République espagnole par la France en 36, les accords de Munich en 38… Dérouler le tapis rouge à des idées xénophobes ou stigmatisantes comme on le fait aujourd’hui en haut lieu, c’est jouer avec le feu », souligne Rabah Ameur-Zaïmeche, dont « Terminal Sud » s’achève sur les images d’un cargo baptisé « Marine Express ». Et de pointer « l’encadrement du droit à manifester par un état d’urgence permanent » ou encore « la haine anti-musulmans ambiante » d’une voix tout à coup très puissante, qui rappelle aussi sa facette d’acteur (« Terminal Sud » est du reste le premier de ses films dans lequel il ne joue pas).
Rabah Ameur-Zaïmeche à L’Ecran de Saint-Denis, mardi, aux côtés d’Aurélie Cardin, fondatrice du festival Cinébanlieue
©Julia Cordonnier
Si son dernier film en date a été tourné à Nîmes et à Istres, le cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche est très souvent enraciné en Seine-Saint-Denis. Lui, l’enfant de Montfermeil, qui a pris une caméra pour « exprimer tout ce qu’il avait au fond lui », a ainsi commencé sa carrière par « Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? ». Ce film, déjà projeté par Cinébanlieue pour sa toute première édition en 2006, montrait l’injustice de la double peine (condamnation pénale d’un « étranger », même pour un délit mineur, devenant synonyme de reconduite vers son pays d’origine) et les difficultés sociales d’un quartier en pleine dégradation. « Les Bosquets, où j’ai grandi de mes 2 à mes 19 ans, c’était un quartier où il faisait d’abord bon vivre, c’était même une cité référence, dont le patrimoine architectural était reconnu. Mais au fur et à mesure, les charges de copropriété, gérées par des syndics complètement étrangers aux réalités des habitants, ont explosé et le bâti s’est dégradé », se remémore le cinéaste, grand défenseur des démocraties locales, voire de l’autogestion par la population.
L’autodidacte en cinéma, passé par Paris-5 et des études en sciences humaines avant de prendre une caméra, rend en revanche un vibrant hommage aux instituteurs de son enfance, ceux des écoles Eugène Pottier et Jean-Baptiste Clément : « Ils étaient remarquables. C’est avec eux que j’ai découvert la Révolution française, des personnages comme Louis Mandrin (sorte de Robin des bois d’Ancien Régime, auquel le cinéaste a d’ailleurs consacré un film : Les Chants de Mandrin). Je leur en serai toujours reconnaissant ».
Par son caractère autodidacte et libre-penseur, Rabah Ameur-Zaïmeche pourrait d’ailleurs être le grand-frère spirituel de Ladj Ly, réalisateur des « Misérables », lui aussi enfant des Bosquets. « Pour moi, ce n’est pas un hasard si pas mal de cinéastes émergent aujourd’hui à Montfermeil ou parlent de Montfermeil (avec « Merveilles à Montfermeil », de Jeanne Balibar, également diffusé dans le cadre de Cinébanlieue). Il y a en Seine-Saint-Denis une grande richesse culturelle, une grande inventivité : c’est bien du 93 que part toute la vague des cultures urbaines qu’on a vu se déployer dans les années 90... »
Le 93, Rabah Ameur-Zaïmeche pourrait d’ailleurs y retourner très vite, à l’occasion d’un nouveau projet : un film sur un retraité dans un quartier populaire. « Ce sujet m’intéresse car ce sont des figures très discrètes : ils longent les murs, osent à peine s’asseoir sur un banc. Dans mon histoire, le mien se sait malade et va prendre une décision qui va étonner tout le quartier. J’adorerais le tourner en Seine-Saint-Denis ». Le docteur Ameur-Zaïmeche repart visiblement pour une nouvelle consultation.
Christophe Lehousse
Photo de une : ©Flavien Prioreau
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