Jeanne Balibar au pays des Merveilles
"Merveilles à Montfermeil", de Jeanne Balibar, est sorti ce mercredi 8 janvier. Cette comédie loufoque mêle avec succès politique, relations humaines et amoureuses et multiculturalisme. Nous avions rencontré l’actrice césarisée lors du tournage du film en mai 2018.
De quoi traite Merveilles à Montfermeil ?
Cette comédie traite de la politique même si c’est de façon loufoque. Mon personnage est Assistante au 1er Adjoint en charge de l’Harmonie Sérielle et de la Gravitation Universelle. Je m’occupe de faire produire des sons et des mouvements aux habitants pour leur santé.
Emmanuelle Béart, Mathieu Amalric, Bulle Ogier, Ramzy, Philippe Katerine, le casting est impressionnant…
Un peu trop impressionnant peut-être. Ça fait un peu trop all stars ? Mais en même temps une équipe municipale, ça le justifie. Je suis partie de l’idée que les acteurs sont aussi les représentants du peuple, que ce soit sur une scène ou à l’écran. Et puis on vient tous d’horizons complètement différents. C’est bien.
D’où vous est venue l’idée de cette école où on apprend 62 langues ?
J’étais étudiante à Oxford. Toute la bourgeoise du monde entier y envoie ses enfants, ses employés, pour qu’ils apprennent l’anglais d’Oxford à Oxford. La ville gagne un fric fou avec les taxes professionnelles, tous les gens qui donnent des cours, ceux qui logent chez l’habitant… J’ai eu l’idée que la ville de Montfermeil allait faire pareil, et se faire un max de blé. Tout le monde vient apprendre le mandingue, le turc, toutes les langues qui sont parlées ici.
Y a-t-il des parties chantées dans ce film ?
Oui et non. Il y a un très très grand travail sur la musicalité des sons, entre les respirations, les borborygmes, et les différentes langues parlées et enseignées dans la « Montfermeil International school of languages ». Il y a aussi un grand travail sur le corps, avec Jérôme Bel comme chorégraphe. On va inventer des choses ensemble avec les habitants. Ce sera une comédie musicale… mais « cachée ».
Pourquoi Montfermeil ?
Le réalisateur Rabah Ameur-Zaïmeche m’a raconté des choses sur Montfermeil. Je m’y suis intéressée. Cela m’a évoqué les Misérables de Victor Hugo. En venant sur place pour mes recherches, j’ai rencontré des gens et cela m’a beaucoup inspiré. Toutes ces strates de vie à la fois dans le temps présent et passé ont fabriqué de la fantaisie à l’intérieur de ma tête.
Vous ne pensiez à aucune autre ville au monde ?
J’ai fait des études de géographie et de cartographie et j’aime beaucoup la poésie de tous les éléments qui sont dans un paysage, de ce que ça raconte de l’histoire des gens qui ont habité là depuis toujours. Et j’aime que du boulevard Bargue, on surplombe et on voie jusqu’à Paris.
Votre film peut-il paradoxalement redonner leurs lettres de noblesse à ceux qui prennent la politique très au sérieux ?
Je pense oui. La comédie s’appuie sur des ressorts qui sont intimement importants pour chacun, sinon ça ne marche pas. La comédie, c’est une manière de prendre le monde très au sérieux, ou sinon on se moque du monde.
Ce film est une comédie. Est-ce qu’il peut donner envie d’aller voter ? ou de s’engager en politique ? Est-ce qu’il peut redonner le goût de la politique aux citoyens ?
Frances Macdormand (ndlr l’actrice a obtenu un Oscar pour son rôle dans 3 Billboards les Panneaux de la vengeance) est très fière que des mouvements reprennent les images fabriquées dans le film. Si des gens s’emparent de choses qui sont dans mon film pour les faire exister dans le monde réel, je serais ravie, mais ce n’est pas mon objectif. Je suis contre l’instrumentalisation ! L’engagement et la création artistique, ce sont deux scènes différentes, pour moi. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de lien secret entre les deux...
Vous ne regrettez pas de n’être pas passée à la réalisation avant ?
Pas le moins du monde. J’ai fait un court métrage quand j’ai commencé parce que je vivais avec Mathieu Amalric à l’époque. Et il avait fait tous les métiers du cinéma : depuis poser les ventouses jusqu’à porter les cafés en passant par 3e assistant, 2e assistant, 1er assistant. Je vais vous dire : j’étais jalouse parce que je voyais que ça l’aidait vachement comme acteur d’avoir toute cette expérience du plateau. Je voulais avoir la même, c’est pour ça que j’ai fait ce petit court métrage.
Et vous avez réalisé votre premier long-métrage "Par exemple Electre"
Ce film expérimental complètement barré qui intéressera 3 personnes et demi, je suis très contente aussi de l’avoir fait. Ca s’est passé comme ça. Ce n’est pas un hasard si je ne l’ai pas fait avant, ce film. Pendant 20 ans, j’ai élevé mes enfants. Et ce n’était pas le moment de commencer un métier compliqué comme réalisatrice. J’ai commencé à écrire le scénario il y a 5 ans mon fils aîné avait 15 ans, mon cadet 13. Et on commence à souffler quand on en a un des deux en seconde. Après j’ai travaillé pendant 4 ans, beaucoup en Allemagne avec Franck Castorf. D’ailleurs en septembre 2019 je reviens à la MC93 dans un spectacle de Franck Castorf sur Racine et Arthaud. Le fait d’avoir côtoyé la manière de faire de Castorf vous donne une impulsion : le « on y va on fait avec l’invention du moment ». Je n’étais pas prête avant. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Pour plein de raisons… C’est maintenant. J’ai la capacité de faire un film je crois. Avant je ne l’avais pas. Et aussi le plaisir de ne pas être seulement actrice. De jouir de ma propre fantaisie, de m’y autoriser. C’est venu très lentement, ça se déploie là. C’est un peu bizarre de dire ça car j’ai toujours eu de la fantaisie comme actrice.
Quand êtes-vous venue en Seine-Saint-Denis la première fois ?
Lorsque j’étais ado, étudiante, j’allais à la MC93 de Bobigny, au théâtre de la Commune. La Seine-Saint-Denis est liée à ma formation d’actrice. Et puis j’allais à la Fête de l’Humanité, à La Courneuve, tous les ans… depuis que je suis née. Il pleuvait tout le temps. Mon père était membre du parti communiste jusqu’à ce qu’il en soit exclu en 1981. Ma mère était sympathisante. Je voyais beaucoup de spectacles. J’ai découvert par exemple Milva, des chanteurs, j’avais vu Jimmy Summerville en 1984. La Fête de l’Huma a beaucoup compté dans ma formation d’artiste, d’ambiance festive, tout cela c’est lié.
Avec Jérôme Bel vous avez proposé des ateliers gratuits à Clichy-Montfermeil en 2013…
Quand j’ai commencé les ateliers, j’ai tout de suite demandé à Jérôme et aussi à Emanuelle Parrenin qui est une chanteuse merveilleuse qui fait du collectage de chansons populaires et qui est aussi une spécialiste de musicothérapie. Lors de ces ateliers appelés « Danse et voix », on faisait travailler les gens. On a travaillé un an comme ça, 5 ateliers tous les 15 jours dans la perspective de ce film là. On va refaire des ateliers de préparation mais beaucoup plus concentrés 15 jours avant le tournage.
Que vous ont apporté ces ateliers avec les habitants ?
Ça m’a apporté des choses extraordinaires de voir tout ce que les gens pouvaient faire, d’avoir plein d’idées que je pourrais utiliser pour le film, pour la mise en scène et une connaissance de tous les partenaires qui sont ici, tous les relais pour rencontrer la population, les impliquer dans le film, une connaissance des difficultés qui peuvent se présenter. Dans les ateliers on n’a eu que des femmes, on n’a pas eu d’homme du tout. Le sujet c’est de constituer une équipe mixte pour jouer dans le film.
Montfermeil évoque Les Misérables. Que pensez-vous des Misérables de Ladj Ly ? Le connaissez-vous ?
J’étais même sa marraine à la fête du court métrage. Je pense beaucoup de bien de ce film. Il a réussi à filmer une tempête sous un crâne et ce n’est pas donné à tout le monde. Filmer quelqu’un qui ne sait pas quoi faire et qui finit par faire une connerie, c’est cinématographiquement très impressionnant. C’est un cinéma qui est à des années lumières de ce que je fais moi mais heureusement j’ai des goûts plus vastes que ce que l’on me propose de faire, que ce que je suis capable de faire ou que ce que je puisse imaginer.
Un jour vous avez dit dans une interview : « Les acteurs sont des marionnettes. » A quelques semaines du tournage, vous le pensez toujours ?
C’est Diderot qui le dit. L’acteur est une marionnette qui tire lui-même les ficelles de sa marionnette. Je déteste la manipulation. Les metteurs en scène sont des illusionnistes et en aucun cas des manipulateurs. C’est ça aussi l’histoire de la mise en scène. Cette fonction au théâtre arrive au 19e siècle quand le théâtre arrive à intégrer tellement d’éléments de la foire des montreurs d’ombres, des décors, des toiles peintes, les effets de lumières etc… qu’il faut quelqu’un pour coordonner tout ça et que la fonction de metteur en scène apparaît. C’est contemporain des premières images projetées, des premières lanternes magiques qui vont donner le cinéma. Ça ne peut pas reposer sur la manipulation des gens… Ou alors c’est dégoûtant.
Propos recueillis par Isabelle Lopez
Photographie Kathy Le Sant
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