Comment les Jeux pourraient booster la pratique du handisport
A l’occasion du 3 décembre, Journée mondiale des personnes handicapées, Seine-Saint-Denis le mag s’est penché sur la pratique handisport dans le département, sur son développement mais aussi sur les freins qui existent encore. Les Jeux de Paris 2024, qui se dérouleront largement sur le territoire, sont perçus par beaucoup d’acteurs comme un accélérateur rêvé.
Riyad, 8 ans, rampe sous un tapis, fait une roulade et termine par un saut. Encouragé par son éducatrice Lucille, ce jeune Clichois semble passer un bon moment. Tout comme ses 16 autres petits camarades, inscrits à l’école multisports sport adapté (EMSA) de Clichy-sous-Bois, la deuxième seulement du genre en Seine-Saint-Denis après celle de Livry-Gargan, lancée en 2018.
Fruit d’un partenariat entre la ville de Clichy et le Département, cette structure, créée en septembre, a été pensée pour accueillir des enfants handicapés psychiques ou mentaux (ce qui correspond à la dénomination « sport adapté »). Le dojo du gymnase Armand- Desmet, ainsi que la présence de nombreux éducateurs (on est proche du 1 enfant/1 adulte) offrent pour cela un cadre idéal. Sur les visages des enfants, cela se traduit par des sourires et dans les propos des parents affleure du bonheur, parfois du soulagement : « Ce créneau du samedi, c’est super. Je sais que mon fils y va avec plaisir. Avant, j’allais en Seine-et-Marne, ça me faisait loin et la séance ne durait pas très longtemps. Là, c’est plus confortable. », témoigne la mère de Bilel, 8 ans.
L’école multisports sport adapté de Clichy-sous-Bois, le samedi matin
Mais si certains acteurs du territoire - parmi lesquels on peut aussi citer la Fédération sportive gymnique du travail, qui propose des créneaux de pratique inclusive dans de nombreux clubs - ont compris l’urgence, il est loin d’être toujours simple pour ces enfants handicapés d’avoir accès à une pratique sportive.
« Franchement, heureusement qu’ils ont ça. Parce que sinon, ils ne pourraient faire aucune activité sportive !, explique Taïbi, le père de Kynan. Si je prends le cas de mon fils, voilà un an malheureusement qu’il est déscolarisé parce qu’il n’a pas d’attribution en IME (Institut médico-éducatif). Là au moins, il peut faire une heure de gym le matin et une heure de piscine l’après-midi, ce qui améliore son autonomie et sa socialisation. »
Lucille Guyot, éducatrice spécialisée en activité physique adaptée, qui a fait partie de la première promotion du Master créé spécialement par Paris-13 Bobigny en 2019, formule elle aussi le constat d’un retard dans le département : « Sur le champ du handicap mental en particulier, il y a un gros déficit dans les offres de pratique sportive. C’est en partie lié au fait que le handicap mental est peu connu et fait peur. Certains clubs sont de bonne volonté et voudraient pouvoir accueillir mais quand on n’est pas formé à cela, c’est compliqué. »
On compte ainsi en Seine-Saint-Denis seulement 12 clubs affiliés à la Fédération handisport (handicap moteur et sensoriel) pour 298 licences et 13 à la Fédération sport adapté (handicap mental ou psychique) pour 173 licences : même si ce chiffre ne rend pas compte de la pratique totale puisque d’autres fédérations sportives peuvent aussi avoir des sections para-sport, cela fait peu.
A trois ans des Jeux de 2024, qui se dérouleront en bonne partie sur le territoire de la Seine-Saint-Denis, le diagnostic global est donc celui de carences assez importantes. La faute à un triptyque problématique : le plus faible taux d’infrastructures sportives en France métropolitaine (15 pour 100 000 habitants, quand la moyenne est à 40), des transports en commun peu adaptés et des éducateurs insuffisamment formés.
Dix clubs accompagnés pour ouvrir une section para-sport
Mais on note d’ores et déjà un frémissement dans la dynamique des Jeux et une note d’optimisme chez la plupart des acteurs concernés. « On a bon espoir d’ouvrir trois autres écoles multisports sport adapté avant la fin 2022 et on accompagne par ailleurs 10 clubs du territoire qui souhaitent ouvrir prochainement une section para-sport, avec un gros soutien de la part du Département », liste ainsi Fabien Paillard, président du Comité 93 Sport adapté. Parmi les clubs qui se sont déjà inscrits dans ce dispositif « clubs accueillants » : le Bobigny handball, le KCVO Karaté de Villepinte ou encore le club de tir à l’arc de Saint-Denis. Tous suivent actuellement une formation de plusieurs mois dispensée par le Comité paralympique français.
Du côté du handicap visuel aussi, les Jeux font naître de grands espoirs. « Si c’était l’occasion pour nous d’obtenir un terrain dédié et aux normes, ce serait idéal », rêve Jean-François Chevalier, président du Bondy Cécifoot Club. Cette déclinaison du foot pour non-voyants ou mal-voyants peut se targuer d’avoir un club en Seine-Saint-Denis depuis 2019 : l’un des trois seuls clubs que compte l’Île-de-France, avec Saint-Mandé et l’AVH Paris... Mais pour le moment, ses 10 licenciés non-voyants et 16 en catégorie mal-voyants doivent s’entraîner sur un city-stade aménagé, qui ne permet pas d’accueillir de compétitions officielles. « Il y a déjà l’aspect symbolique que ça aurait d’avoir un tel terrain en Seine-Saint-Denis alors qu’il n’en existe pour l’instant qu’au Précy-sur-Oise, à Schiltigheim et à Lens. Mais au-delà de ça, on pourrait attirer encore plus de monde et penser aussi à la relève », énumère Gaël Rivière, l’un des joueurs, vice champion paralympique à Londres en 2012.
Habitués à se battre, Jean-François Chevalier et son complice Samir Gassama, coach du BCC et ex-sélectionneur de l’équipe de France, ne vont toutefois pas rester les bras croisés avant d’obtenir le terrain si ardemment souhaité. Un certain nombre de temps forts sont déjà lancés : l’accueil de la première journée du championnat de France élite le 11 décembre, grâce à une structure amovible qui sera installée sur le stade Léo-Lagrange, et en début d’année prochaine l’ouverture d’une Académie ouverte aux jeunes dès l’âge de 8 ans. « Les joueurs nous expliquent régulièrement que le cécifoot fait gagner en autonomie, en confiance en soi. Si de jeunes aveugles pouvaient donc pratiquer régulièrement ce sport dès le plus jeune âge, le bienfait serait énorme », fait valoir Jean-François Chevalier. La demande est bien là : le centre Simone-Delthil à Saint-Denis, qui accompagne notamment de jeunes non-voyants, s’est déjà dit intéressé.
La perspective du Prisme
Fabien Suinot et Abou Konaté, joueurs du TC Tremblay (à droite)
Espérer un impact des Jeux sans attendre qu’ils soient une baguette magique, c’est aussi la position d’Abou Konaté. Cet ancien international de basket-fauteuil passé il y a deux ans au tennis-fauteuil vient de créer avec la complicité du président Jacky Bertin une section para-tennis au Tennis Club Tremblaysien. La première en Seine-Saint-Denis, car si le tournoi de tennis-fauteuil du Montfermeil Tennis 93 a fêté cette année ses 20 ans, ce club ne possède pas de section handisport. « Pour l’instant, nous ne sommes que deux joueurs, mais l’objectif est de pouvoir accueillir de nouveaux pratiquants dès septembre prochain. Cela passe par une formation des encadrants et aussi par des subventions car un fauteuil adapté à la pratique du tennis coûte très cher (entre 4 000 et 8 000 euros) », souligne celui qui avait eu la chance de disputer les Jeux d’Athènes en basket-fauteuil en 2004.
Le Prisme, équipement sportif inclusif, annoncé pour mi-2024
Autre indice de la dynamique des Jeux : l’émergence du Prisme. Prévu pour mi-2024, cet équipement inclusif porté par le Département et financé en partie par la Solideo (Société de livraisons des ouvrages olympiques) devrait se convertir en pôle de référence du parasport pour les prochaines années. Basé au stade de la Motte de Bobigny, à quelques encablures de l’hôpital Avicenne et de la faculté Staps de Paris-13, cet équipement adapté à toutes les pratiques sportives doit en même temps servir de lieu-ressources pour la recherche universitaire et les acteurs du monde sportif. « Un exemple tout bête, mais les formations universitaires activité physique adaptée qui sont pour l’instant trop peu axées sur le handicap mental devraient pouvoir corriger le tir avec la présence d’un tel lieu », pointe ainsi Fabien Paillard. Si trois ans nous séparent des Jeux, leur héritage paralympique se joue en tout cas dès maintenant.
Christophe Lehousse
Photos : ©Sylvain Hitau
©Nicolas Moulard
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