Joue-la comme Bondy pour le cécifoot
Mercredi 16 septembre, le Bondy Cécifoot Club a fait les présentations officielles : ce tout premier club de foot pour non et mal-voyants en Seine-Saint-Denis, qui va connaître ses premiers championnats cette année, vient combler un manque manifeste dans le département en matière de handisport. A quatre ans de Jeux paralympiques qui se dérouleront en partie en Seine-Saint-Denis, l’offre sportive s’enrichit.
Guidés par les rebonds sonores du ballon, les joueurs du Bondy Cécifoot Club s’échangent des passes. Tout à coup, Martin Baron, guidé par la voix de Joyce Yerro, arme sa frappe et ne laisse aucune chance à la gardienne Stéphanie, pourtant voyante, elle.
Bienvenue dans le monde bluffant du cécifoot. Né en Espagne et importé en France dans les années 80, ce foot à cinq contre cinq s’adressant aux non et mal-voyants, devenu paralympique aux Jeux d’Athènes 2004, fait toujours son petit effet auprès des spectateurs.
Et désormais, Bondy peut s’enorgueillir de posséder le premier club de cette discipline dans tout le département, le troisième seulement en Ile-de-France (avec l’AS Saint-Mandé, un des clubs pionniers de la discipline, et l’AVH Paris). Créé l’année dernière, le Bondy Cécifoot Club, qui possède une équipe B1 (non-voyants), B2/B3 (mal-voyants) ainsi qu’une équipe de futsal féminin valide, vient confirmer de belle manière que dans ce territoire, le sport sait se faire de plus en plus inclusif.
Sur le terrain attenant au gymnase Roger Salengro, où avaient lieu les présentations officielles – devenu le terrain d’entraînement des équipes - le lancement du club prenait l’allure d’un petit événement. Le boxeur du Top Rank Bagnolet Souleymane Cissokho, la judoka Audrey Tcheuméo, locale de l’étape, avaient répondu à l’appel, en attendant l’arrivée tard dans la soirée de Jonathan Ikoné, parrain de prestige (voir interview). Mais cette fois-ci, ce n’étaient pas eux, les stars, mais d’autres sportifs de haut niveau.
« Le cécifoot, je l’ai découvert en 2003, quand j’étais au lycée à l’institut des Jeunes Aveugles. Ca m’a permis de poursuivre le foot, auquel je jouais déjà en tant qu’enfant, sans faire de distinction entre voyants et mal-voyants. Le pratiquer à haut niveau me permet de cultiver le dépassement de soi, l’esprit d’équipe, comme n’importe quel autre sportif en fait », pointait Martin Baron, capitaine de l’équipe non-voyants et vice champion paralympique à Londres avec Gaël Rivière, également membre du nouveau club.
Serpent à sonnettes
A l’origine de cette structure qui peut compter sur le soutien de la ville, de nombreux partenaires locaux et du Comité départemental handisport, il y a d’abord une histoire d’amis. « J’ai découvert le cécifoot il y a 4 ans par l’intermédiaire de Samir Gassama (l’entraîneur du BCC) qui à l’époque était sélectionneur de l’équipe de France. Comme beaucoup, j’ai été impressionné par ce qu’étaient capables de faire des joueurs pourtant non-voyants. Alors, comme on vit tous les deux à Bondy, quelques années plus tard, on s’est dit : faisons quelque chose pour le cécifoot ici, dans cette ville... », expliquait, ravi, Jean-François Chevalier, dont le magnifique blazer arborait un écusson représentant un serpent à sonnettes, l’emblème du club. Pourquoi un serpent à sonnettes ? En référence aux grelots du ballon, sonore pour être repéré des joueurs.
Juste à côté de son président, Samir Gassama complétait fièrement : « ce projet, on s’est battus depuis plus d’un an pour lui donner vie. C’est une très bonne nouvelle pour tout le handisport de Seine-Saint-Denis. Jusqu’à présent, une personne mal-voyante devait souvent faire des kilomètres pour trouver un club de cécifoot en Ile-de-France. Imaginez un peu la motivation que ça demande, déjà pour un sportif valide... Là, on contribue à combler modestement une partie du retard qu’a toute la France en matière de handisport. »
Combler le retard
Cette proximité géographique était aussi un des grands arguments pour les membres de l’autre équipe, celle des mal-voyants. « Pour nous, habitants de la Seine-Saint-Denis, la création de ce club est une super nouvelle. Je jouais à l’AVH Paris depuis 2008 mais pour moi qui habite Bagnolet, c’est un gain de temps important », expliquait Nicolas Mos, défenseur de 33 ans.
« Et puis, des terrains équipés comme celui-ci avec les barrières de sécurité adéquates et où on bénéficie de créneaux tous les jours du lundi au vendredi, il n’y en a pas beaucoup... », renchérissait son coéquipier Tarik Cherradi. Tout cela en attendant l’arrivée d’un terrain officiel de cécifoot, une structure montable et démontable aux normes de la Fédération internationale Handisport et qui lui sera en partie financée via un partenariat avec la société Orcam… (voir encadré) Pas mécontent que ce projet vienne contredire les images toutes faites de la Seine-Saint-Denis, Tarik se permettait d’insister : « On a souvent tendance à retenir et à grossir les mauvais côtés de ce département, mais là vous avez la preuve que la Seine-Saint-Denis sait aussi développer de belles initiatives, humaines et sociales... »
A toute cette belle équipe se greffait enfin une troisième section : celle d’une équipe de futsal féminin valide, née là aussi de l’envie de plusieurs amies. « En général, ce sont les équipes dites valides qui ouvrent des sections pour handicapées. Chez nous, c’a été l’inverse », soulignait Joyce Yerro. Après avoir sauté à bord du projet, convaincue de son côté inclusion – elle se forme notamment au rôle de guide, qui donne les consignes aux joueurs non-voyants depuis le bord du terrain - cette jeune femme en a profité pour devenir aussi gardienne de l’équipe féminine qui luttera cette année au sein du championnat national de futsal. Avec là encore, un seul mot d’ordre : allier exigence et plaisir.
« On va essayer de se montrer à la hauteur de Mbappé et Ikoné, deux purs produits de Bondy », glissait Samir Gassama. Connaissant l’exigence du bonhomme, on peut être sûr que ce n’était pas une vanne.
Christophe Lehousse
Photos : ©Nicolas Moulard
Jonathan Ikoné : "Quand je vois ce qu’ils sont capables de faire..."
Jonathan Ikoné, Samir Gassama et l’auteur de la fresque
Originaire des quartiers nord de Bondy, ce joueur de foot professionnel a fait ses classes à l’AS Bondy, tout comme un certain Kylian Mbappé. Lui aussi international français, il tenait absolument à faire la route depuis Lille – où il évolue – pour être présent au lancement du Bondy Cécifoot Club, dont il est le parrain officiel.
Pourquoi avez-vous tenu à être parrain de ce nouveau club et à venir ici aujourd’hui ?
« J’aime le foot et j’aime ma ville donc je voulais leur donner ce coup de pouce. Quand j’ai vu pour la première fois ce que ces joueurs non-voyants étaient capables de faire, j’ai trouvé que c’était des génies. Et quand j’ai essayé, je n’y arrivais absolument pas … Si j’avais été dans leur situation – privé de la vue – je n’aurais jamais pu faire ce qu’ils font. C’est donc bien de mettre des choses en place pour eux.
Racontez-nous un peu votre lien à Bondy, votre enfance…
Je suis né ici, tous mes amis viennent d’ici. Ici, c’est un quartier que je connais par coeur. Je me souviens encore quand on jouait avec tous les copains au pied de la cité dans laquelle j’ai grandi. Un jour, vers 5-6 ans, mon père en a eu marre parce que les terrains où on jouait n’étaient pas très adaptés et il m’a inscrit à l’AS Bondy. On y a débarqué avec tout ce groupe avec lequel je jouais au pied des tours. A l’AS Bondy, où je jouais aussi avec Kylian Mbappé, ça a bien marché parce que c’est un bon club formateur : ils savent comment être avec les jeunes qui sortent d’un quartier. Ils nous ont tous bien encadrés et je pense aussi que c’est pour ça que pas mal de joueurs pros en sont sortis. »
En ce qui vous concerne, comment avez-vous été repéré ?
J’ai fait ma pré-formation au PSG. Ils m’ont repéré quand j’avais 11 ans lors d’un tournoi organisé à Bobigny qui accueillait des grands clubs : PSG, Lens, mais aussi des clubs de quartier. Avec Bondy, on avait été bons ce jour-là, je crois qu’on se fait sortir en demies. C’est là que mes parents ont été approchés par le PSG et que je suis parti à Paris.
Vous jouez actuellement à Lille. Qu’espérez-vous de cette saison, que le LOSC a plutôt bien commencée ?
Cette année, Lille a bien démarré : il va falloir confirmer et prouver que cette saison, on veut être en haut du tableau. Pour cela, mieux vaut se concentrer sur nous et ne pas regarder les autres. »
Une caméra high-tech pour accompagner les non-voyants
Entre autres soutiens, le Bondy Cécifoot Club a notamment noué un partenariat avec OrCam Technologies. Originaire d’Israël, cette société high-tech développe notamment des appareils pour venir en aide aux déficients visuels. La nouvelle caméra produite par cette entreprise prend l’aspect d’un petit boîtier et se fixe sur une monture de lunettes. Elle permet aux non-voyants de scanner des textes ou encore des codes barres et de vocaliser les informations qui s’y trouvent. Avec un enregistrement préalable, cet appareil est aussi capable de reconnaître des visages… Seul hic : ce bijou technologique coûte pour l’instant quelque 4750 euros, 2500 dans sa forme standard (sans toutes les options). Un prix qui peut être très partiellement pris en charge par la Sécurité sociale ou la constitution d’un dossier MDPH. Lors du lancement du BCC, 10 joueurs veinards s’en sont vu offrir un, le reste de l’équipe devant être équipé prochainement. « Les quelques retours que j’ai eu jusqu’à présent de mes joueurs étaient enthousiastes : ça représente vraiment un gros gain d’autonomie dans leur vie quotidienne pour la plupart. Si on peut les aider aussi sur ce plan-là, c’est parfait, car le sens de ce club, c’est de favoriser l’inclusion sur le terrain mais aussi en dehors », soulignait Samir Gassama, l’entraîneur et directeur sportif du BCC.
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