Cécifoot en Seine-Saint-Denis : loin des yeux, proche du coeur
Les 23 et 24 juin, l’équipe de France de cécifoot a disputé deux matches amicaux contre l’Italie à Noisy-le-Sec. Et fait découvrir à beaucoup de jeunes un sport impressionnant, qui se joue avec les pieds, mais surtout avec la tête. REPORTAGE.
« Hakim, tu es à 8 mètres des buts, excentré à gauche de 2 mètres, tu as un mur de trois joueurs face à toi. » La puissante voix de Manuel Morgado résonne dans le silence du stade Salvador-Allende de Noisy-le-Sec. Le guide de l’équipe de France de cécifoot donne toutes les informations utiles à son joueur avant qu’il ne tire le coup franc obtenu face à l’Italie. Puis il lui « fait les poteaux » comme on dit dans le jargon du foot non-voyant. Autrement dit, il tape sur chacun des poteaux pour que le tireur puisse avoir une image mentale de la cage.
Hakim Arezki s’élance, le ballon vole, le gardien, voyant lui, est battu. But. L’équipe de France ouvre le score face à l’Italie et la bonne centaine de gamins massés dans les tribunes laisse exploser sa joie. Le même scénario se répétera en deuxième période, cette fois-ci sur une réalisation de Gaël Rivière.
2-0, score final. Dans les gradins comme sur le terrain règne une joie aussi palpable que la vague de chaleur qui pèse sur le stade. Les Bleus ont le sourire : cette victoire en match amical contre la Squadra Azzura leur confirme qu’ils sont sur la bonne voie avant l’Euro qu’ils disputeront cet été à Berlin (du 17 au 27 août). Même Frédéric Piquionne, l’ancien international venu en guest star, se dit sous le charme. Et dans les tribunes, le silence de rigueur pendant le match a laissé place à un concert d’éloges. « Ce qu’ils font est impressionnant. Franchement, on dirait qu’ils voient », dit la petite Chérifa, en CM2 à l’école Arthur Rimbaud. « Yvan était venu cette année nous faire tester le cécifoot. Il nous a fait faire des tirs au but. Un peu comme ceux qu’ils ont marqués sur coup franc aujourd’hui », complète Amine, de l’école Brossolette.
« Yvan », c’est Yvan Wouandji, numéro 10 de cette équipe de France et habitant de Rosny-sous-Bois. Même s’il n’a pas marqué lors de cette rencontre, celui qui fut déjà vice-champion olympique à Londres en 2012 reste indéniablement la coqueluche du public cet après-midi. « C’est un plaisir d’entendre autant de gamins qui nous encouragent », explique ce jeune homme de 24 ans dont les efforts pour faire connaître sa discipline dans le département où il réside ont été récompensés.
« Je pense que ce qui plaît aux gens, c’est le supplément d’âme qui se dégage de notre discipline. Le cécifoot, c’est du foot classique avec encore plus de solidarité et d’abnégation. Et puis, c’est un bon outil de sensibilisation, car tout ce qui se passe sur un terrain de cécifoot, on le retrouve dans la vie quotidienne d’un non-voyant : le fait d’être à l’écoute des différents bruits, de prendre ses repères... »
Bienvenue dans le monde étonnant du cécifoot. Le matin déjà, les élèves des classes primaires de Noisy-le-Sec avaient joué aux parfaits intervieweurs face aux membres de l’équipe de France, et on n’avait eu qu’à noter leurs réponses pour avoir une idée de cette discipline, inventée au Brésil dans les années 60. "Comment vous repérez-vous ?" « Le ballon contient des grelots et tous les adversaires qui attaquent le porteur du ballon sont obligés de dire « voy, voy » pour se signaler. On est en communication permanente entre coéquipiers et adversaires », explique Fabrice Morgado, capitaine des Bleus. "Comment faites-vous pour battre un gardien qui, lui, voit ?" « On bénéficie des indications du guide situé derrière les buts, qui nous dit par des mots courts à quelle distance on se situe de la cage et si on peut tirer », détaille Martin Baron, originaire de Neuilly-Plaisance. "Est-ce que c’est dur ?" « C’est comme tous les sports, ça demande du travail. On doit faire en permanence le tri entre beaucoup d’informations, mais petit à petit on acquiert des automatismes et de la complicité avec nos partenaires », souligne Hakim Arezki, joueur du Sporting Paris Cécifoot.
Et de la complicité, on en devine beaucoup entre les membres de l’équipe de France. Blagues potaches, phrases qu’on n’a pas besoin de finir, ce groupe-là se comprend à demi-mot. Il n’y a qu’à écouter Samir Gassama, l’actuel sélectionneur, pour savoir que ces Bleus-là vivent bien : « J’étais gardien de futsal au Sporting Paris et un jour, on m’a proposé de faire un match de cécifoot. Et je suis tombé amoureux de ces gars... », explique celui qui a aussi créé une section cécifoot au sein de son club, auteur du doublé Coupe-championnat en 2016.
Comme dans une auberge espagnole, chacun est arrivé dans cette sélection avec son histoire de vie, ses difficultés et ses forces. Martin Baron, aveugle de naissance, a lui commencé le cécifoot en 2003 « après avoir toujours joué au foot entre potes, valides ou non ». Fabrice Morgado, ancien joueur de foot voyant, a découvert la discipline en 2010, après un accident qui l’a privé de la vue. Dans une région parisienne qui manque encore de structures, il a rejoint le club de Saint-Mandé, premier club de cécifoot fondé en 1987 par Julien Zéléla, actuel directeur technique de l’équipe de France.
Dans la tête de beaucoup d’entre eux, il y a aussi ces Jeux olympiques et paralympiques de 2024, auxquels Paris et la Seine-Saint-Denis sont candidats. « Ce serait un rêve de participer à cet événement, souligne Yvan Wouandji, qui est d’ailleurs l’un des ambassadeurs de la campagne JO en Seine-Saint-Denis. D’abord parce que cela permettrait au cécifoot et à toutes les disciplines paralympiques d’être davantage médiatisés. Et aussi parce que la Seine-Saint-Denis, département injustement décrié, le mérite » Dans les tribunes, on en connaît en tout cas beaucoup qui rêveraient d’aller voir Yvan et les siens en 2024.
Christophe Lehousse
Photos : Sylvain Hitau
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