Bande dessinée Tremblay-en-France

Une BD qui dénonce les violences policières

Dans « Cas de force majeure », Christophe Tardieux alias Remedium dresse une galerie de victimes de violences policières des dernières années. Et si de nombreux cas sont à recenser dans le département, ce n’est pas uniquement parce que l’auteur est originaire de Seine-Saint-Denis. Sans concessions, « Cas de force majeure » ne verse cependant pas dans le brûlot anti-police, mais s’efforce d’analyser posément la situation.

L’affaire Théo Luhaka à Aulnay, Gabriel à Bondy, l’affaire du migrant égyptien à l’Ile Saint-Denis… Toutes ces affaires de violences policières récentes sont disséquées dans « Cas de force majeure » et toutes se sont produites en Seine-Saint-Denis. « Des cas de violences policières, il y en a malheureusement beaucoup. Or je voulais qu’au final, l’ouvrage dise quelque chose, qu’il dresse une sorte de portrait-robot des victimes de violences policières : très souvent des personnes jeunes, souvent masculines, racisées et issues des quartiers populaires », démarre Christophe Tardieux, alias Remedium pour expliquer l’omniprésence de ces cas en banlieue et plus particulièrement en Seine-Saint-Denis.
Parmi toutes les affaires qu’il a étudiées pour composer « Cas de force majeure », un ouvrage assez glaçant, cet instituteur de Tremblay qui s’adonne par ailleurs au 9e art, dit avoir été particulièrement touché par les affaires Théo à Aulnay et Zineb Redouane à Marseille.
Théo, du nom de Théodore Luhaka. En 2017, ce jeune homme originaire d’Aulnay est violemment interpellé par quatre policiers pour s’être opposé verbalement à un contrôle de police de jeunes près du centre culturel du nouveau Cap. L’un des quatre agents qui le prennent à partie le blesse alors grièvement de sa matraque : Théo est victime d’une perforation du canal anal qui le laisse handicapé à vie. Cinq ans après, le jeune homme attend toujours le procès des policiers agresseurs, renvoyé aux assises.
Zineb, comme Zineb Redouane. Cette octogénaire meurt en 2018 à Marseille, grièvement atteinte à la fenêtre de son immeuble par un tir de grenade lacrymogène tiré par un CRS depuis la rue. Ce jour-là, une manifestation de gilets jaunes passait en effet au pied de l’immeuble de Zineb Redouane. Quatre ans après, l’affaire est toujours en cours d’instruction et, sur un plan administratif, l’auteur du tir, pourtant identifié par l’IGPN, n’a reçu aucune sanction.

JPEG - 19.3 kio

« Par cet ouvrage, je voulais surtout démontrer qu’il ne s’agit pas juste de violences isolées, mais systémiques. Si un policier se permet de faire ça, c’est qu’il y a derrière lui toute une chaîne dont il sait qu’elle va lui donner un appui. », affirme celui qui voit dans l’impunité et le manque de formation de beaucoup de policiers les deux principaux ressorts expliquant les violences policières auxquels on a assisté ces dernières années.
Aussi intraitable que soit « Cas de force majeure », son propos n’est cependant pas de jeter l’opprobre sur tous les policiers. Comme un symbole, il termine d’ailleurs sur l’exemple du brigadier-chef Amar Benmohamed, connu pour avoir dénoncé en 2020 dans la presse à visage découvert les exactions de certains de ses collègues auprès de détenus du dépôt du tribunal de Paris. Ceux-ci étaient en effet insultés et maltraités par certains policiers censés les surveiller, au mépris de leurs droits les plus élémentaires. « Je voulais absolument qu’il y ait dans l’ouvrage un cas de policier qui veut changer les choses, car il y en a, et même beaucoup j’en suis sûr. Le problème, c’est que ceux-là, comme dans l’Education nationale d’ailleurs, ne sont pas mis en avant, voire sont broyés par le système », décrypte celui qui, avant « Cas de force majeure », avait déjà signé « Cas d’école », une œuvre sur le même modèle s’intéressant aux nombreux dysfonctionnements dans le primaire.

Sentiment d’impunité et manque de formation

17 ans après la mort de Zyed et Bouna, morts eux aussi accidentellement en Seine-Saint-Denis, à Clichy-sous-Bois, alors qu’ils étaient poursuivis par des policiers, le constat de Remedium est donc amer : « j’aurais tendance à dire que les choses ont empiré. Si en 2005, des voix s’étaient élevées contre les violences policières, notamment de certains politiques, là il y a une polarisation de ces questions-là qui rend tout débat impossible : on est sur l’air de « quand on critique la police, c’est qu’on est forcément du côté des délinquants », se désole l’auteur. Constat auquel aboutissait aussi « Les Misérables », charge du Montfermeillois Ladj Ly contre les violences policières, récompensé en 2020 du César du meilleur film. Et le dessinateur de continuer : « l’affaire George Floyd (ce Noir-Américain tué en 2020 à Minneapolis lors d’un contrôle de police, ndlr) a peut-être permis une libération de la parole, mais elle a aussi permis à certains de dire que ce qui se passait aux Etats-Unis ne se passait pas en France. Or, il se passe la même chose en France. Et à la différence des Etats-Unis, il n’y a jamais de cas où des policiers reconnus coupables sont envoyés en prison comme l’a été l’ agresseur de George Floyd. »
L’instituteur qu’est Christophe Tardieux garde pourtant l’espoir d’un assainissement de l’institution pour la génération de demain. Et valorise aussi les efforts faits par la police pour colmater le gouffre entre forces de l’ordre et population des quartiers populaires. « L’année dernière, j’ai emmené ma classe à Prox’Raid Aventure, une action pédagogique menée par une association formée de policiers à la retraite pour réduire la fracture entre jeunes et forces de l’ordre. Globalement c’était bien : certains agents étaient vraiment dans le dialogue. Mais ce genre d’initiatives doit à mon avis fonctionner dans les deux sens : les jeunes ont à apprendre des policiers, mais les policiers aussi des enfants. La preuve, c’est que certains des policiers qu’on avait en face de nous avaient des préjugés assez terribles à l’égard des élèves », témoigne encore Remedium.
Dépité, l’auteur aimerait un jour pouvoir s’arrêter de nourrir la galerie de victimes policières qu’il tient sur son blog de Mediapart. Mais il a le vague pressentiment qu’il aura encore du travail ces prochaines années.

- Cas de force majeure, de Remedium, chez Stock, 18 euros 50

Dans l'actualité