Un rapport de l’institut Montaigne contesté par le Département
Après une première passe d’armes par presse interposée, un débat a été organisé entre Agnès Audier, de l’Institut Montaigne, et Stéphane Troussel, président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, autour du rapport publié en mai dernier par le think thank libéral sur « les batailles de l’emploi et de l’insertion ». Au cœur de la controverse, le rapport entre le Département et l’Etat.
Le dialogue était mal emmanché : quand l’Institut Montaigne a publié son rapport sur les barrières à l’emploi en Seine-Saint-Denis le 27 mai dernier, Stéphane Troussel ripostait immédiatement dans un communiqué rappelant que « la tarte à la crème de la gouvernance ne peut pas servir d’énième prétexte à l’Etat pour se dédouaner ». Le débat autour de ce rapport a repris, vendredi 12 juin, lors une visioconférence regroupant Agnès Audier, l’auteure du rapport, consultante pour le cabinet d’audit Boston Consulting Group, Stéphane Troussel, le président du Conseil départemental du 93, et Julien Denormandie, le ministre chargé de la Ville et du Logement. Dans la dernière case de la visioconférence, Kyril Cambouin, directeur de la Banque JP Morgan, qui s’apprête à investir 30 millions de dollars sur 5 ans dans le 93, et a donc commandé un diagnostic à l’Institut Montaigne pour l’éclairer d’un point de vue stratégique. Si l’ambiance était plus cordiale que dans la presse, les désaccords persistent.
Sur le constat, les interlocuteurs s’entendent. La Seine-Saint-Denis regorge de paradoxes : c’est un département jeune, qui compte 10% d’allocataires du RSA, et qui, pourtant, crée des emplois. Mais ces emplois profitent peu à sa population, du fait d’un phénomène de « navetteurs » - de nombreux Séquanodionysiens vont travailler à Paris et dans les autres départements d’Ile-de-France, tandis que de nombreux Franciliens viennent travailler en Seine-Saint-Denis - et d’un problème de qualifications des habitants du département. Par ailleurs, le 93 souffre beaucoup d’un phénomène de « sas » : on y vient du bout du monde pour prendre l’ascenseur social, et on cherche à le quitter dès que c’est chose faite, pour être remplacés par de nouvelles populations en difficulté.
La polémique qui oppose l’institut Montaigne et le Conseil départemental se cristallise autour du rôle de l’Etat vis-à-vis du département. L’institut Montaigne met l’accent sur l’intérêt ancien que porte l’Etat à la Seine-Saint-Denis, par le biais de « grands travaux » tels que le Stade de France, l’implantation de ses agences sanitaires, le Grand Paris Express, les JO, le futur hôpital « Grand Paris Nord » à Saint-Ouen. Agnès Audier, l’auteure du rapport, rappelle que le 93 a touché 10% des crédits alloués à la politique de la ville depuis 30 ans, et explique une certaine « stagnation » du département par le manque de « coopération » entre les acteurs : l’hostilité des acteurs locaux envers les représentants de l’Etat, la concurrence entre eux, induite par les appels à projets, le co-financement de projets plutôt que leur co-construction. Une critique amusante, lorsqu’on sait que ces cabinets d’audits sont d’ordinaire les chantres de cette mise en concurrence. Une fois n’est pas coutume, Agnès Audier appelle donc à renforcer l’esprit de coopération pour les défis à venir que constituent les grands travaux et le tournant digital du département.
Stéphane Troussel récuse ces griefs, et pointe les deux « abandons » de l’Etat : d’une part l’absence de financements suffisants pour le RSA, et plus particulièrement le volet « mesures d’insertion » du dispositif délégué au Département, et de l’autre,la désertification en terme de services publics, dénoncée notamment par le rapport Kokouendo-Cornut Gentille. Des béances que ne permettront pas de combler les 23 mesures pour la Seine-Saint-Denis annoncées en octobre dernier par le premier ministre.
Le président du Conseil départemental rappelle que le décret instituant la prime de 10 000 euros pour stabiliser les fonctionnaires n’a toujours pas été signé. En conséquence, Stéphane Troussel appelle à renationaliser le financement du RSA, et à un rattrapage en terme de services publics, dont le département est bien moins doté, par exemple, que son voisin des Hauts-de Seine, comme la crise du Covid l’a cruellement mis en lumière, particulièrement dans la santé. Julien Denormandie, ministre de la Ville, appuie cette analyse : « Il ne faut pas se cacher derrière l’excuse de la non-coopération entre acteurs ». Le représentant du gouvernement compte, pour éviter la crise sociale qui s’annonce, sur l’application du plan d’Edouard Philippe, sur la mise en place d’un revenu d’activité universel et sur des mesures spécifiques en direction des 18-25 ans, sans évoquer l’extension du RSA à ces derniers. « Contrairement à 2008 (et à la crise économique liée aux subprimes), il ne faudra pas que la crise impacte les financements des collectivités », affirme-t-il sans avancer de mesures concrètes. Le tour de table est clos par le banquier Kyril Courboin, qui encourage à fédérer les acteurs du privé et de l’associatif pour sortir de la crise.
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