Le gouvernement dévoile son plan pour la Seine-Saint-Denis
Jeudi 31 octobre, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé à Bobigny un paquet de 23 mesures pour rétablir l’égalité territoriale en Seine-Saint-Denis. Prime de fidélisation des fonctionnaires, aide à l’installation aux médecins, policiers et magistrats supplémentaires : si certaines mesures vont dans le bon sens, de nombreux élus de Seine-Saint-Denis dénoncent un plan insuffisant.
23 mesures pour venir en aide à la Seine-Saint-Denis. Un an et demi après le rapport des députés Cornut-Gentille (LR) et Kokouendo (LREM) dénonçant une « République en échec » en Seine-Saint-Denis, le gouvernement, par la voix de son Premier ministre, assurait jeudi « avoir entendu le message ».
« L’enjeu est de casser un certain nombre de spirales négatives, sans évidemment stigmatiser un département. Mais minorer les difficultés de ce territoire, ce serait fuir nos responsabilités », a expliqué Edouard Philippe, entouré de cinq autres ministres de l’Education, de l’Intérieur, de la Justice, de la Santé et de la Politique de la Ville, au cours d’un discours en préfecture de Bobigny.
Un déplacement qui faisait suite à la mobilisation particulièrement forte d’une grande partie des élus de Seine-Saint-Denis qui, dans la foulée du rapport Cornut-Gentille, n’ont cessé de dénoncer la « rupture d’égalité manifeste » pouvant s’observer dans ce département dans des domaines fondamentaux comme l’éducation, la justice et la sécurité.
Parmi les annonces faites par Edouard Philippe jeudi, la prime de fidélisation de 10 000 euros aux agents de service public de l’Etat en poste depuis au moins 5 ans, une aide matérielle à l’installation de nouveaux médecins et 150 postes de policiers supplémentaires retiennent l’attention.
Globalement, si certaines mesures dans les domaines de la sécurité et de la justice semblaient aller dans le bon sens, avec des créations de postes de policiers et de magistrats, beaucoup d’observateurs regrettaient tout de même des réponses parcellaires.
Ainsi, sur la santé, où les besoins sont criants - la Seine-Saint-Denis a ainsi été reconnue par l’Agence Régionale de Santé « désert médical » - beaucoup des annonces d’investissements dans les hôpitaux de Seine-Saint-Denis étaient déjà connues et restent à un horizon assez lointain. De la même manière la fonction publique hospitalière reste à ce stade exclue de la prime de fidélisation mise en place pour les agents de l’Etat. Notons tout de même le « financement à 100 % des médecins libéraux » qui s’installeraient en Seine-Saint-Denis.
Et dans le domaine de la justice, 35 nouveaux postes de greffiers et 12 nouveaux postes de magistrats étaient promis, alors que le TGI de Bobigny, pourtant deuxième plus grande juridiction de France, a des délais d’instruction des dossiers trois fois plus longs que ceux de Paris.
L’éducation, rendez-vous manqué
Mais c’est surtout l’éducation, pourtant l’une des urgences dans ce département, qui figurait en revanche parmi les « rendez-vous manqués ». Excepté la prime de fidélisation, rien ne semblait de nature à pouvoir combattre les maux dont souffre ce secteur en Seine-Saint-Denis : un élève de l’enseignement prioritaire perd ainsi en moyenne un an de scolarité du fait de non-remplacement des professeurs absents, et 49,5 % des enseignants du secondaire restent moins de deux ans dans leur établissement, contre 33 % pour la moyenne nationale.
« A mon sens, il y a notamment deux grands oubliés dans les annonces du jour : l’éducation et les dotations aux collectivités locales, jugeait le président du Département Stéphane Troussel, déplorant notamment « l’absence totale de moyens » pour les directions scolaires en termes de CPE ou d’assistants d’éducation (voir par ailleurs).
Quant à la mise en place d’un dispositif de pré-recrutement par l’Education nationale de 500 étudiants par an - sur la base d’un financement des études en échange d’un enseignement sur 3 ans jusqu’au concours - cette disposition pouvait poser question dans un territoire où la profession dénonce régulièrement la multiplication des contractuels au détriment d’enseignants titulaires d’un concours.
D’autres élus, comme Meriem Derkaoui, ciblaient eux les annonces « dérisoires » en matière de dédoublement des classes pour les CP et CE1 dans l’éducation prioritaire. « Le dédoublement des classes, tout le monde est pour, mais s’ils croient que c’est avec 1 million d’euros comme on nous l’a annoncé cette année pour héberger toutes les classes concernées qu’on va sortir, qu’ils m’expliquent comment », dénonçait, courroucée, la maire d’Aubervilliers qui avec 4 autres de ses collègues de Seine-Saint-Denis (Stains, L’Ile Saint-Denis, Bondy et Saint-Denis) a attaqué le 7 septembre dernier l’Etat en justice pour « rupture d’égalité ».
Nouvel état des lieux en janvier
Autre maire « déçue » par les annonces qu’elle venait d’entendre : Sylvine Thomassin. Même les 150 policiers supplémentaires déployés sur le département (100 officiers de police judiciaire entre 2020 et 2021 et 50 autres policiers sur les nouveaux quartiers de reconquête républicaine de La Courneuve et Saint-Ouen) étaient « insuffisants » selon elle. « Ce que je vois bien dans ma commune, c’est que la police essaie de s’occuper des gros trafics de stupéfiants, mais qu’ils n’ont matériellement pas le temps pour le reste. Or le reste, la petite délinquance, les incivilités, ça mine aussi la vie des habitants », jugeait-elle.
Fer de lance de cette prise de conscience en faveur de la Seine-Saint-Denis, le député de Haute-Marne François Cornut-Gentille voulait lui retenir « le début d’une réponse ». Et attirait l’attention sur le fait qu’à côté des moyens, il y avait aussi « la nécessité de penser de nouveaux outils, comme sur la question de l’habitat indigne ou de la fidélisation d’enseignants chevronnés ». Rappelant que cet effort concernant la Seine-Saint-Denis serait à terme bénéfique à toute la France, il donnait rendez-vous avec d’autres députés pour un nouvel état des lieux « dans le courant de l’hiver » et « un focus sur certains points particuliers, comme l’habitat... »
Christophe Lehousse
Stéphane Troussel : « L’éducation et les dotations aux collectivités locales sont les grands oubliés de ces annonces »
Que pensez-vous des annonces faites aujourd’hui par le Premier ministre sur la Seine-Saint-Denis ?
« Je connais les difficultés importantes de mon département, donc je prends ce qui est proposé aujourd’hui. Mais le compte, globalement, n’y est pas. A mon sens, il y a notamment deux grands oubliés dans les annonces du jour : l’éducation et les dotations aux collectivités locales. Sur l’éducation, l’Etat doit changer de braquet, il doit changer le niveau de réponse… Dans ce département où la difficulté scolaire est plus grande qu’ailleurs, il y a un certain nombre d’urgences : le problème des remplacements des profs absents, nous manquons aussi d’assistants d’éducation, de CPE… Je n’ai rien entendu là-dessus. Deuxième problème : les dotations aux collectivités. En Seine-Saint-Denis, les collectivités ont moins de moyens qu’ailleurs alors même que les inégalités se cumulent. C’est le Département par exemple qui est en première ligne sur les solidarités : comment faire si l’ étranglement financier se poursuit ? Or, il n’y a pas eu d’annonce sur les dotations aux collectivités locales... »
Et sur la lutte contre l’habitat indigne ? 5 inspecteurs de l’action sanitaire et sociale en plus sur tout le département, ça semble peu…
« C’est vrai. Encore une fois : il faut prendre ce qu’il y a à prendre. Mais l’ampleur du phénomène est telle que ça ne suffit pas, loin de là. Car s’agissant de l’habitat indigne, il faut aussi pouvoir reloger les familles très modestes. Ce qui pose la question de l’accessibilité des logements sociaux en Seine-Saint-Denis quand les moyens du secteur HLM sont réduits et que les loyers continuent d’exploser. »
Le Premier ministre a parlé de rendez-vous réguliers pour la mise en application de ce plan. Vous le prenez au mot ?
« Oui, car chat échaudé craint l’eau froide. Ce ne serait pas la première remise en cause, ou le premier revirement... Tous ensemble, élus de Seine-Saint-Denis, acteurs de ce territoire, il va falloir que nous soyons vigilants et que nous poursuivions notre combat pour l’égalité... »
Propos recueillis par CL
En marge de la présentation du plan d’aide à la Seine-Saint-Denis par le Premier ministre, une délégation de la CGT 93 d’une vingtaine de personnes était présente ce jeudi matin sur le parvis de la préfecture de Bobigny. Alors qu’elle manifestait pacifiquement "contre la casse des services publics", elle a fait l’objet d’une charge disproportionnée par les forces de l’ordre. Suite à la bousculade provoquée par cette intervention, le secrétaire général de l’Union départementale CGT93, Hervé Ossant, a été placé en garde à vue. Le président du Département, ainsi que d’autres élus de Seine-Saint-Denis, ont demandé la libération du représentant syndical.