Seine Saint-Denis
Coronavirus

Stéphane Troussel : "J’espère un électrochoc pour lutter plus fort contre les inégalités"

Après un mois de confinement, le président de la Seine-Saint-Denis revient sur les différentes annonces du gouvernement de ces derniers jours. Stéphane Troussel, qui avait appelé de ses vœux des mesures d’urgence pour les familles les plus vulnérables, juge que les mesures du gouvernement sont un premier pas mais qu’elles sont trop faibles et les personnes concernées trop limitées. Le Département annonce de son côté une aide de 60 euros aux collégien.ne.s les plus modestes.

Que retenez-vous des annonces d’Emmanuel Macron, en particulier concernant la situation en Seine-Saint-Denis ?

Stéphane Troussel : Comme tout le monde, j’ai d’abord retenu la date du 11 mai pour le début du déconfinement. Néanmoins, de nombreuses questions devront être précisées pour que celui-ci puisse se dérouler dans de bonnes conditions, je pense en particulier à la question des masques ou des tests. Il faut un pilote dans l’avion pour éviter que ce ne soit une sorte de loi de la jungle où les citoyen.ne.s les plus fragiles ou les territoires les plus en difficultés soient encore plus défavorisés. Ce pilote, cela ne peut être que l’Etat, même s’il peut s’appuyer sur les collectivités locales particulièrement mobilisées depuis le début de cette crise.
De la même manière, il faudra des précisions, par exemple pour la reprise dans les établissements scolaires ou dans les crèches.
Enfin, j’espère que "l’ébranlement intime" que le Président de la République a évoqué sera un électrochoc pour lutter plus fort contre les inégalités. Il a pris de premières décisions en matière sociale, mais il faudra aller plus loin.

Vous avez fait part ces jours-ci de votre crainte qu’à une crise sanitaire ne se rajoute une crise sociale dans les territoires populaires. Qu’attendez-vous du gouvernement sur ce point précis ?

ST : Oui, quand on imagine les conséquences économiques que va avoir cette crise, avec une chute brutale de l’activité et des millions de Français.e.s au chômage, nous allons devoir affronter une crise sociale qui sera le deuxième défi après la crise sanitaire. Le gouvernement a déjà pris, et c’est bien, des mesures pour soutenir l’économie. Il faut de la même manière, prendre des mesures sociales en direction des plus fragiles.Au Département, j’ai décidé que pour les collégien.ne.s les plus modestes qui n’ont pas pu manger à la cantine comme en temps normal et qui paient leur repas moins de 2,50€, nous allions verser une aide de 60 euros.

Le gouvernement a annoncé des mesures mercredi 15 avril (150 euros seront alloués le 15 mai aux ménages percevant le RSA ou l’Allocation de solidarité spécifique (ASS), à laquelle s’ajouteront 100 euros par enfant ; 100 euros par enfant seront aussi versés aux ménages qui sont bénéficiaires d’aides au logement, ndlr). Mais elles sont malheureusement trop faibles et trop circonscrites. Il faut aller plus loin : je pense en particulier à des questions très concrètes comme le paiement des loyers, la question de l’aide alimentaire ou des minimas sociaux. Il va falloir prendre des décisions budgétaires d’ampleur pour ces mesures, et rapidement, car les Villes ou le Département, qui ont déjà pris des décisions, ne pourront pas faire face seuls.

A moyen terme, il faut aussi qu’on soit rapidement en mesure de changer de logiciel et qu’on regarde les dépenses sociales comme un investissement et non comme une charge : c’est le sens de la proposition d’un revenu de base que nous portons avec 19 départements de gauche depuis des mois, il est grand temps d’accélérer et de faire preuve d’audace aussi sur cette question sociale.

Le coronavirus a aussi révélé les inégalités de territoire dont est victime la Seine-Saint-Denis. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples...

ST : La Seine-Saint-Denis pâtit d’un sous-investissement chronique de moyens de la part de l’Etat qui a aggravé les inégalités. Et évidemment cette crise a tendance à les aggraver à tous les niveaux.

Evidemment, on pense à la question sanitaire et à une surmortalité qui s’explique tant par les conditions de vie, la promiscuité, que par un système de santé publique plus faible qu’ailleurs en Ile-de-France.

Mais je pense aussi à la question de l’emploi, avec des salariés plus précaires qui risquent d’être les premières victimes d’une crise économique. Je crains une forte hausse des demandes de RSA, alors que notre département est déjà le plus pauvre de France métropolitaine.

Je pense encore à la question éducative. Le confinement risque de décrocher définitivement les élèves les plus en difficulté, malgré la mobilisation des enseignants, malgré les moyens numériques que nous avons mis à disposition. Là aussi, il faudra agir fortement.

C’est un plan de lutte massif, global et prolongé contre les inégalités dont nous avons besoin.

Durant cette crise, le Département a maintenu en alerte ses services. La solidarité, institutionnelle mais aussi « spontanée », a été au rendez-vous ?

ST : Oui, nous avons continué d’assumer nos missions, grâce à l’engagement des agent.e.s qui doivent être remerciés car le service public départemental a fait la preuve de son utilité une fois de plus. Et grâce à de nombreux agents volontaires, nous avons même pu déployer des dispositifs exceptionnels : je pense à notre cuisine centrale de Clichy qui produit 3000 repas par jour, à un dispositif de rappel des personnes âgées, à un internat pour les enfants de l’ASE malades du COVID

Partout, les initiatives de solidarité et d’entraide ont jailli, portées par les villes, par les associations, par des entreprises, par des citoyen.ne.s.

Une chose est sûre, la tradition de solidarité qui est la marque de fabrique de la Seine-Saint-Denis ne s’est pas démentie.

Dans la perspective du déconfinement, quel va être le rôle du Département ?

ST : Le Président de la République a donné une date pour le déconfinement, mais nous attendons désormais d’avoir des précisions et des moyens pour le mettre en œuvre de manière ordonné et sécurisé. Dans notre pays, c’est l’Etat qui est en charge des questions de santé, même si les collectivités peuvent l’y aider, et elles ne lésinent pas sur leurs actions. Il faut donc un pilotage plus poussé et des directives claires, si on ne veut pas avoir le même sentiment d’improvisation qu’au début de la crise.

Nous aurons une responsabilité particulière en tant qu’employeur pour nos agents, et nous travaillons activement sur le sujet pour qu’ils puissent reprendre dans les meilleures conditions.

Propos recueillis par Christophe Lehousse