Les bases du revenu de base
Lundi 17 septembre, le cinéma Le Méliès accueillait à Montreuil une soirée ciné-débat autour du revenu de base. Cette idée d’un revenu universel, versé à chacun pour couvrir ses besoins essentiels, est actuellement défendue par plusieurs collectifs. Elle intéresse aussi le Département, qui souhaiterait l’expérimenter aux côtés de 18 autres collectivités territoriales. Explications.
Le revenu de base, Nadia Bouallak pourrait en parler pendant des heures… Voilà deux ans que cette Montreuilloise, énergique et affable, s’est fait le chantre de cette idée « salutaire pour toute la société » et qu’elle tente de la populariser au sein d’un groupe local du MFRB (Mouvement Français pour un Revenu de Base), à l’initiative de la soirée de lundi au Méliès.
Mais le revenu de base, kezako ? Un revenu universel, inconditionnel et individualisé, versé à tous les membres de la société pour leur permettre de subvenir à leurs besoins élémentaires, leur laissant ainsi le choix de travailler de manière rémunérée ou pas pour compléter leur revenu.
« Nous voyons d’abord ce revenu comme un outil de lutte contre la pauvreté. En effet, il n’est pas moral d’avoir 9 millions de personnes sous le seuil de pauvreté dans un pays qui est la 7e puissance mondiale. Mais pour nous, le revenu de base est aussi un outil d’émancipation intellectuelle et de liberté, car il doit permettre de se diriger vers un travail choisi et non plus subi, à l’heure où nous avons tant de cas de souffrance au travail », expose Nicole Teke, coordinatrice nationale du MFRB.
Une idée présentée comme « révolutionnaire » par « Jour de paye ! », le documentaire de l’Allemand Christian Tod, présenté en avant-première au Méliès ce lundi soir et qui intéresse également le Département de la Seine-Saint-Denis.
Son président Stéphane Troussel, présent lors de la projection, plaide en effet depuis novembre 2017 pour une expérimentation du revenu de base en Seine-Saint-Denis. En juin dernier, 13 Départements - rejoints depuis par 6 autres - ont ainsi produit un rapport défendant l’instauration d’un revenu de base, sous conditions de ressources, résultat de la fusion du RSA et de la prime d’activité. Avec le gros avantage que les jeunes de moins de 25 ans, actuellement laissés de côté par le RSA, y soient éligibles (voir encadré).
« La Seine-Saint-Denis défend cette idée du revenu de base parce qu’en dépit de tous les mécanismes de protection sociale qui existent aujourd’hui, il y a des failles : le taux de pauvreté chez les moins de 25 ans est par exemple deux fois plus élevé que dans le reste de la société. Il faut donc essayer d’inventer la protection sociale du XXIe qui permettra de ne pas faire reposer la dignité des individus sur la seule rémunération du travail », a ainsi fait valoir Stéphane Troussel lundi soir. Un territoire en difficultés économiques comme la Seine-Saint-Denis – où 3 habitants sur 10 vivent en-dessous du seuil de pauvreté (soit 1008 euros nets par mois, chiffres de 2014) - profiterait particulièrement de l’instauration d’une telle mesure.
Certes, ce revenu de base n’aurait pas tout à fait les mêmes contours que celui défendu par le MFRB – convaincu lui par un revenu inconditionnel, versé à tous, pauvres comme riches – mais les concepts sont tout de même « alliés »- selon Nicole Teke.
Dans la salle, l’idée avait de fervents défenseurs, parmi lesquels Julien Bayou, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts et invité de la soirée. « On ne peut pas continuer à jouer les autruches autour de la sacro-sainte valeur travail : 6 millions de chômeurs, une souffrance au travail immense, et la révolution robotique qui arrive... on a un vrai besoin de ce filet qui est une dimension supplémentaire de la protection sociale », estimait ce représentant politique, par ailleurs fondateur de l’association « Mon revenu de base ».
Créée sur le modèle d’une association allemande, cette structure s’est proposée de payer pendant un an un salaire mensuel de 1000 euros à des citoyens tirés au sort, pour en examiner les effets. « Les exemples que j’ai vus via mon association sont positifs : nous avons plusieurs cas de personnes - au chômage ou travailleurs pauvres - qui disent avoir retrouvé confiance en elles grâce au revenu de base ou alors moins ressentir la pression du quotidien », détaillait Julien Bayou, dont l’association en est à sa 5e personne bénéficiant du revenu de base.
Sur un mode plus conceptuel, le philosophe Abdennour Bidar ajoutait de l’eau au moulin de Julien Bayou. « Le revenu de base est ce pas de côté salutaire qui peut nous permettre de relever le défi qui s’annonce énorme de la robotisation de nos sociétés. Demain, une immense majorité des métiers d’aujourd’hui seront assurés par des robots. Il nous faut donc tourner la page d’un monde du travail tel que nous le connaissions. Ça ne veut pas dire que nous serons sans travail, bien au contraire. Il nous reste énormément de travail à produire : pour sauver la planète, rétablir le lien social, défaire toutes les aberrations du capitalisme financier », insistait l’auteur de « Libérons-nous ! des chaînes du travail et de la consommation ».
Mais ce revenu de base faisait aussi naître des interrogations, voire des réactions de rejet dans la salle. « Je trouve ce film (Jour de paye !) assez terrifiant. Il nous présente pour la plupart des grands patrons, des rentiers, parlant de la liberté que doit procurer le revenu de base. J’ai bien peur que cette idée ne soit qu’une nouvelle ruse du capitalisme pour se donner bonne conscience », réagissaient ainsi deux spectateurs peu convaincus.
Finalement, c’est moins la question du financement de cette mesure – déjà soulevée lors de la campagne de Benoît Hamon à la présidentielle de 2017 – que l’idée même d’un revenu versé à tous – qui cristallisait les tensions. Avec essentiellement deux peurs formulées par les spectateurs réfractaires : l’appréhension qu’un tel revenu de base ne se révèle contre-productif et freine encore davantage la hausse des salaires, et la désacralisation de la valeur travail et à travers lui de la méritocratie.
Nadia Bouallak, réagissait, elle de manière très philosophe : « Depuis le temps que je me bats pour populariser cette idée, je suis habituée aux réactions d’incompréhension. Il y a les clichés éhontés – « le revenu de base va faire de nous une société de fainéants » – et les interrogations légitimes. Mais au final, je reste convaincue de la pertinence de ce concept : étudiants obligés d’avoir un travail alimentaire, mères au four et au moulin, indépendants, stressés du travail, le nombre de personnes qui gagneraient en qualité de vie grâce à une telle mesure est phénoménal ! » Le revenu universel, lui, n’a en tout cas pas fini de faire causer.
Christophe Lehousse
Photos :@Nicolas Moulard
Ce qu’ils/elles pensent du revenu de base :
– Régine, Montreuilloise
« Je suis d’autant plus pour le revenu de base qu’on pourrait considérer que j’en jouis déjà. Etant intermittente du spectacle, je dois travailler 4 mois par an, en échange de quoi je touche un minimum de 1400 euros. Et je peux vous dire que ça n’est pas rien. Ca donne du temps pour réfléchir, créer, avoir une utilité sociale. Ca devrait être étendu à beaucoup plus de gens ! »
– Bertrand, Montreuillois
« Je suis très réservé sur cette idée, qui me paraît totalement irréaliste. Proposer à chacun une rémunération à ne rien faire pourrait à grande échelle provoquer une désorganisation de la société. Il y a un autre aspect qui me dérange : je crains que cette mesure se retourne finalement contre les pauvres au sens où on leur dirait « vous avez touché votre argent », maintenant c’est chacun pour soi. Pour moi, le combat n’est pas sur le revenu de base, mais contre les marchés financiers. »
– Marie-France Carnero, 59 ans
« Personnellement, étant en recherche d’emploi, je me sentirais moins stressée avec un tel revenu de base. Pour les aides sociales, à condition que ça ne les tire pas vers le bas, ça permettrait enfin d’enlever cette peur de ne pas rentrer dans les cases. Car en France, dès que vous ne rentrez pas dans les cases, vous perdez tout… Et puis, plus largement parlant, je pense qu’il faut qu’on change notre façon de vivre, sans quoi on va dans le mur. Le revenu de base, en donnant plus de temps, en favorisant le bénévolat, aiderait à ce changement de société je crois. »
En juin, le Département de la Seine-Saint-Denis a présenté aux côtés de 18 autres Départements (huit au départ, rejoints par 11 autres entités) un rapport établissant plusieurs scénarii d’expérimentation d’un revenu de base, pensé comme outil de lutte contre la précarité. Versé sous conditions de ressources, il obéirait à trois grands principes : la simplification des aides, résultant d’une fusion entre le RSA et la prime d’activité, sans jamais provoquer une baisse de la protection sociale. Ensuite, l’ouverture aux jeunes de moins de 25 ans, actuellement exclus du RSA, avec deux scénarii possibles : un démarrage dès l’âge de 18 ans ou 21 ans. Et enfin, une dégressivité en fonction de revenus d’activité pour maintenir une incitation au travail. En fonction des critères retenus (âge minimum et intégration ou non des Aides Personnalisées au Logement), ce revenu de base pourrait atteindre jusqu’à 725 euros. Souhaitant mettre en œuvre cette idée le plus rapidement possible, les 19 Départements impliqués envisagent de porter prochainement un projet d’expérimentation devant le Parlement.
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