Remembeur, on est tous chez nous
Fêtant ses 10 ans, cette association qui combat le racisme à travers des projets s’adressant notamment à la jeunesse, a intégré le tout nouveau Conseil associé à l’Observatoire des discriminations en Seine-Saint-Denis. Reportage le 10 décembre à l’Assemblée nationale où des étudiants d’Aubervilliers mettaient le point final à un travail de qualité sur "L’Etranger" de Camus.
Je n’ai pas d’autres questions, Madame la présidente. » Midens a réussi son effet de manche. Le jeune homme de 19 ans est plus vrai que nature dans la peau d’un avocat de la défense. Ce vendredi 10 décembre, lui et ses 27 condisciples du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers sont les acteurs d’un procès fictif, celui de Meursault, le personnage principal de « L’Etranger » d’Albert Camus. Et pas n’importe où : sous les ors de l’Assemblée Nationale s’il vous plaît.
L’association Remembeur a proposé à cette classe de BTS management la reconstitution d’un procès imaginaire, autour d’un des plus ignobles crimes racistes de la littérature mondiale.
« J’ai adoré ce projet. Parce que j’ai appris des choses sur le fonctionnement de la justice et aussi parce que ça m’a rappelé mes cours de théâtre, que j’avais mis entre parenthèse. J’ai adoré jouer le rôle d’un avocat : avec la robe, j’étais vraiment dedans ! », s’exclamait après coup Midens, grand gaillard gouailleur aux talents d’orateur certains. « Pouvoir faire cette restitution à l’Assemblée nationale, ce n’est pas rien. Ça nous valorise. On est plusieurs à ne jamais être venues dans Paris ouest et ça nous montre que c’est aussi pour nous. », retenait de son côté Sophie, qui jouait une avocate de la partie civile. Misiria, elle, était fièrement couvée du regard par sa mère Firdausia, venue lui faire la surprise d’assister à la représentation finale.
Ce qui s’est joué en ce soir émouvant de décembre n’était en effet que la queue de comète d’un projet entamé deux mois auparavant : la « mise en procès » de L’Etranger, ce roman passé à la postérité où Camus relate le meurtre de sang-froid par Meursault d’un « Arabe » dans l’Algérie coloniale, aura incité les étudiants de BTS à se répartir les rôles et prendre la parole en public. Et s’est accompagnée des visites du tribunal de Paris pour y suivre une comparution immédiate, du Mémorial de la Shoah et donc de l’Assemblée Nationale. « En lançant ce projet, notre objectif n’était pas tant d’en faire des avocats ou des juges mais surtout des citoyens, et en cela la mission est pleinement réussie : ils ont une meilleure connaissance des institutions qu’avant et sont aussi plus au fait de leurs droits », remarquait l’avocate professionnelle Dalila Ahmedi, l’une des chevilles ouvrières de l’initiative aux côtés de Joëlle Cuvilliez. Cette romancière, qui a accompagné la classe tout au long des ateliers d’écriture, soulignait de son côté l’intéressant réactualisation du roman de Camus par des jeunes en 2021 : « A la fin, Meursault prend 30 ans, la peine de mort étant abrogée depuis 1981. Et les élèves se sont aussi montrés très sensibles à l’aspect violences faites au femmes à travers le personnage de Raymond Sintès, soupçonné d’être un proxénète. »
Travail de mémoire
« Le propos de notre association, c’est de faire un travail de mémoire, en rappelant tout ce que l’immigration a apporté à l’histoire de France. On veut aussi donner des outils de réflexion critique aux jeunes et moins jeunes en passant par l’éducation et la culture : et la connaissance de ses droits en fait évidemment partie », insistait Ali Guessoum, fondateur de Remembeur. Cette association d’éducation populaire mène depuis 10 ans un travail en profondeur sur les préjugés qui font le lit du racisme, en passant pour cela par la culture : expo sur les soldats de l’Empire colonial français durant la Grande Guerre, « Y a pas bon les clichés », expo itinérante sur les stéréotypes racistes ou encore la plateforme Fleurs du béton, sur les apports de la culture des quartiers populaires dans la culture française. A ce titre, elle a rejoint le Conseil associé à l’Observatoire des discriminations, créé en novembre par le Département. Un instrument nécessaire, à l’heure où 63 % des habitants de Seine-Saint-Denis interrogés se sentent victimes de discrimination, selon une récente étude de l’institut de sondage Harris Interactive.
Toujours inventive, Remembeur était déjà passé à un autre projet : Stains d’up contre le racisme, des ateliers proposés à des jeunes de Stains en compagnie de l’humoriste Réda Seddiki. Le festival, qui clôture le programme, doit se dérouler en février. « Souvent, lors de mes interventions en classe, je dis que la France n’a pas inventé le racisme, qu’il sommeille en chacun de nous et peut se réveiller si l’on y prend pas garde. », pointait en guise de conclusion Ali Guessoum. Des propos auxquels faisaient écho ceux de Midens, brillant avocat : « Je pense effectivement qu’il y a du racisme en France, mais heureusement pas de la part de toute la société. Après, je suis assez optimiste : je pense que ça va aller en s’améliorant, parce que notre génération ne laissera pas faire ». Belle plaidoirie.
Christophe Lehousse
Photos : ©Bruno Lévy
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