Ophélie Damblé, guerillera verte et rock’n’roll
Communicante dans la publicité, Ophélie Damblé a tout plaqué à 29 ans pour se reconvertir dans le maraîchage biologique. Elle a ouvert en 2020 une pépinière dans le tiers-lieu pantinois La Cité Fertile et donne des cours de jardinage auprès de scolaires, d’associations, de familles... Reportage dans la serre avec des réfugié·e·s de l’ONG Abajad.
« La pépinière d’Ophélie me rappelle le jardin de mes parents en Turquie » déclare en souriant Mensure, réfugiée politique originaire du Kurdistan, en France depuis quelques mois. La jeune femme, très curieuse des techniques de semis et de compostage, a découvert début avril plusieurs plantes potagères ou aromatiques françaises avec une douzaine de réfugié∙e∙s soudanais∙e∙s, érythréen∙ne∙s, péruvien∙ne∙s... « En jardinant, j’ai l’impression de mettre mes problèmes dans la terre et après je me sens beaucoup mieux » souffle Baqir, 25 ans, exilé afghan opposé au régime des Talibans. Très à l’écoute des réactions des participant∙e∙s, Ophélie réussit la gageure de leur inculquer par des termes visuels le vocabulaire de base de l’horticulture pour les former aux métiers de l’agriculture actuellement en tension.
Le destin d’une éco-aventurière en mode punk
Originaire d’un village rural de l’Ariège, la jeune femme a toujours été une véritable boule d’énergie. Guitariste et chanteuse, elle monte dès 16 ans un groupe de filles de punk garage tendance « girl power ». Passionnée par la communication, elle obtient une licence cinéma et théâtre à la Sorbonne Nouvelle à Paris puis alterne les expériences dans des entreprises de marketing ou à la radio.
Effrayée par la perte de fertilité et de biodiversité des sols, la « working girl » décide de se lancer dans le maraîchage bio. « Je me suis formée pendant un an dans des fermes et des startups écologiques pour connaître les techniques de permaculture » annonce-t-elle. La dynamique militante publie en 2019 avec l’illustrateur Cookie Kalkair la bande dessinée Guerillera green avant de sortir son Manifeste de végétalisation urbaine qui propose, sur un ton décalé et humoristique, des solutions pour verdir la ville et favoriser l’accès à la nature pour tous.
Un an plus tard, l’ambassadrice du In Seine-Saint-Denis, qui anime aussi Ta mère Nature, une chaîne Youtube dédiée à l’agriculture urbaine, installe sa pépinière à la Cité fertile de Pantin et sensibilise les visiteur·euse·s à l’urgence du réchauffement climatique. « Le jardinage est une forme de désobéissance civile. Je dis toujours aux gens de planter sans avoir peur de se planter. Leurs actions peuvent avoir des résultats beaucoup plus bénéfiques qu’ils ne l’imaginent ! ».
Un projet militant et solidaire
Celle qui anime aussi des chroniques radio consacrées à l’écologie sur France Bleu considère la préservation de la planète comme un fabuleux outil d’insertion et de vivre-ensemble. L’hyperactive « green guerillera » accueille régulièrement sous sa serre solaire des habitant∙e∙s, des chef∙fe∙s d’entreprises, des collégien∙ne∙s, des femmes victimes de violence de la Maison des femmes...
Elle est liée depuis quelques mois à l’association Abajad, subventionnée par le Département de la Seine-Saint-Denis, pour former les personnes exilé∙e∙s aux mots et aux techniques du maraîchage. « L’idée, c’est que la langue française soit au service de l’emploi, que les réfugiés aient un accès à un travail dans ce domaine ou que ce soit un tremplin vers une autre activité » explique Dounia Hannach, ingénieure et présidente de cette ONG.
Ali, Bilaz, William, Andréa, Valéria, logé∙e∙s dans des centres d’hébergement d’urgence des Hauts-de-Seine, ont eu en grande majorité le coup de foudre pour le métier d’horticulteur∙rice. À l’issue de leur apprentissage, ils∙elle∙s devraient bénéficier de contrats à durée déterminée d’insertion de 24 ou 35 heures par semaine après de la structure Les jardins du coeur de Montreuil ou le groupe solidaire Humando. Et on l’espère, voler de leurs propres ailes dans les prochaines années pas très loin de la nature...
Lauréate du In Seine-Saint-Denis, l’association Abajad a accompagné plus de 200 personnes bénéficiant de la protection subsidiaire ou du statut de réfugié. « En 2021, plus de 70% d’entre elles ont poursuivi les séances vers une formation qualifiante ou un travail. Nous avons par exemple envoyé récemment trois adhérents dans le Sud-Ouest de la France chez un maraîcher » signale avec fierté la présidente d’Abajad, qui insiste sur l’extraordinaire courage et la détermination des exilé∙e∙s.
Crédit-photo : Nicolas Moulard
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