« Nous » : voyage au centre des banlieues
Dans son nouveau documentaire, qui sort en salles ce mercredi 16 février, la réalisatrice aulnaysienne Alice Diop emboîte le pas à l’écrivain François Maspéro qui, 30 ans avant elle, avait déjà parcouru la ligne du RER B. Son but : filmer la pluralité des banlieues et montrer en quoi elles reflètent la France d’aujourd’hui.
Une cérémonie de chasse à courre à Fontainebleau, un mécanicien sans-papiers vivant dans une grande précarité, une infirmière à domicile qui soigne les corps et les âmes dans une zone pavillonnaire… Quel point commun entre toutes ces personnes ? A minima, elles vivent toutes sur la ligne du RER B, qui traverse la région parisienne du nord au sud.
En 1990, l’écrivain et éditeur François Maspéro avait déjà effectué ce trajet avec la photographe Anaïk Frantz, s’arrêtant à chacune des stations (nouvelles à l’époque) pour en décrire la vie des habitants avec un regard ouvert, dénué de tout préjugé. Ce qui avait donné le beau récit « Les passagers du Roissy Express ». Plus de trente ans après, à l’heure où se profile le Grand Paris Express, la documentariste Alice Diop, originaire elle-même d’Aulnay, a choisi de refaire ce même voyage pour raconter à son tour les mémoires de ces territoires qu’on appelle « banlieues », un mot saturé de fantasmes.
« J’ai choisi de mettre mes pas dans ceux de Maspéro parce qu’en lisant son livre, c’est peut-être la première fois que je voyais la banlieue racontée par le biais de la littérature et pas par un récit médiatique qui considère souvent les habitants de ces territoires comme un problème », souligne la réalisatrice de 43 ans, dont presque tous les documentaires, de « La Tour du Monde » à « La permanence » explorent les quartiers populaires et en particulier la Seine-Saint-Denis. « Bien sûr, traiter la banlieue à partir de questions sociales et politiques peut être pertinent, c’est par exemple le cas des « Misérables » de Ladj Ly sur les violences policières. Mais on peut aussi en raconter l’ordinaire du quotidien, rendre les gens qui y vivent désirables, c’est à mon sens une démarche tout aussi politique », poursuit celle qui en 2017 déjà avait remporté un César pour « Vers la tendresse », film qui traitait du sentiment amoureux dans les cités.
Avec une grande sobriété et sensibilité, « Nous » prend donc à son tour le temps de flâner en banlieue, d’être attentif à l’autre. De Gif-sur-Yvette, en compagnie de l’écrivain Pierre Bergounioux, à Aulnay-sous-Bois, où la réalisatrice est retournée cité des 3000 sur les traces de son enfance, ou embarquée dans les sacoches de sa sœur Ndeye, infirmière à Drancy, Alice Diop prend donc elle aussi des trains à travers la plaine. Mêlant dans son récit mémoire familiale et mémoires historique. Mémoire familiale avec d’émouvantes images d’archives de ses parents Ousmane et Rokhaya arrivés en France depuis le Sénégal dans les années 60. Mémoire historique avec par exemple la visite de la Cité de la Muette à Drancy, lieu de déportation de 67 000 Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais la force du film tient aussi à la manière qu’il a de lier toutes ces histoires. « Pour moi, une société est constituée de toutes ces couches de mémoire, de tous ces corps, de tous ces visages. C’est ce que je veux donner à voir dans mon film. En faisant se succéder des images d’une messe à la mémoire de Louis XVI à la Basilique de Saint-Denis puis de mon père racontant son arrivée en France, je veux aussi donner toute sa place à l’histoire de l’immigration subsaharienne qui a finalement été peu racontée au cinéma », explique Alice Diop.
Quand on lui demande si la sortie de son film, deux mois et demi avant l’élection présidentielle, dans une campagne assez nauséabonde, était calculée, la réalisatrice assure que c’est pur hasard. « Une campagne électorale, c’est un moment d’hystérisation collective. Je ne fais pas des films pour répondre au bruit, aux vociférations de gens dont la pensée a plutôt la capacité d’anesthésier ma propre capacité de pensée. », répond celle qui est aussi invitée en ce moment par le centre Pompidou pour y présenter sa Cinémathèque idéale des banlieues du monde, une sélection de 12 films jetant un regard différent sur la périphérie.
Alors ce Nous, simple juxtaposition d’une ligne de RER ou conscience de classe, affirmation d’une fraternité ? Chacun se fera son opinion. La caméra d’Alice Diop, qui s’attarde sur les visages si beaux et si différents de spectateurs regardant le feu d’artifice du 14 juillet, formule en tout cas un espoir qui résonne en chacun de nous.
Photo : ©Aurélie Lamachère et 10e édition de Champs Elysées Film Festival
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