Protection de l’enfance Livres

Mineur·e·s non accompagné·e·s : un livre pour porter leur voix

En France, la prise en charge des jeunes migrants de moins de 18 ans, dits mineurs non accompagnés, relève des Départements. Dans « Je voulais une chance de vivre », onze jeunes arrivés récemment en France prennent la parole pour raconter leur parcours migratoire et leur combat pour une vie meilleure. Un livre co-écrit par la sociologue Noémie Paté et l’ancien responsable à France Terre d’Asile Jean-François Roger, sous la direction de Claude Roméo, ancien directeur de l’Enfance et de la Famille au Département de la Seine-Saint-Denis, qui répond ici à nos questions.

Comment est née l’idée de ce livre qui donne la parole aux mineurs non accompagnés ?

Claude Roméo : Depuis près de 30 ans, j’ai eu à observer le phénomène des Mineurs isolés étrangers et les politiques mises en place pour l’accueil de ce public, tout d’abord dans le cadre de mes fonctions au Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, puis au sein de l’association France Terre d’asile où j’ai créé la Direction de la Protection des Mineurs Isolés Etrangers.
Durant cette période, j’ai pu noter que les pouvoirs publics en parlaient en terme de coûts, de nombre, de délinquance, c’est-à-dire souvent en des termes négatifs. Personne n’a jamais songé à leur donner directement la parole, d’où l’idée de cet ouvrage, qui est une première en France. Nous avons donné la parole à 11 jeunes afin qu’ils puissent raconter leur enfance dans leur pays d’origine et leur espoirs d’avenir, qu’ils soient en France ou au Royaume-Uni pour certains.
Pour y parvenir, j’ai sollicité Jean-François Roger, ancien directeur régional des Hauts de France de France Terre d’asile, qui fut un acteur essentiel dans la mise en place d’un projet global dans le Pas de Calais, allant du repérage des mineurs à la rue par le biais d’une maraude dans les "jungles" de Calais, à leur accompagnement vers l’autonomie via des structures de longue durée débouchant sur une intégration sociale, culturelle et professionnelle. L’autre partie des témoignages a été recueillie par la sociologue Noémie Paté, dont la thèse portant sur l’évaluation sociale des MNA m’a beaucoup intéressé (pour ce travail, cette maîtresse de conférence à l’Institut Catholique de Paris, a d’ailleurs reçu le Prix 2019 du Défenseur des Droits, ndlr).

Votre ouvrage donne la parole à 11 mineurs, 9 garçons et 2 filles. Comment avez-vous sélectionné ces témoignages ?

Nous avons proposé à l’éditeur une diversité de profils, une diversité de situations et une diversité de projets.
À partir de cet objectif de diversité, nous avons construit un sommaire de l’ouvrage, en partant de l’expérience de Jean-François, des observations de Noémie effectuées lors des rencontres pour sa thèse et de mon expérience. J’ai pu ainsi coordonner les différents écrits, afin d’avoir des récits de jeunes ayant réussi et d’autres qui ont connu des difficultés voire des échecs. Il y a par exemple Samim qui a fui l’enrôlement taliban en Afghanistan, et qui a préféré quitter sa mère et sa famille plutôt que d’avoir à poser des mines contre des véhicules militaires. Ou Salem, arrivé du Maroc, enfant des rues à la Goutte d’Or qui n’a bénéficié d’une protection qu’à la suite d’un grave accident où il a perdu sa jambe.
Un regret néanmoins, celui de n’avoir pu obtenir l’interview d’une jeune qui avait connu les réseaux de traite et de prostitution. Le traumatisme subi était trop important pour que cette jeune fille puisse nous raconter son parcours.

Ce qui frappe notamment dans votre livre, ce sont les nombreuses contradictions de la loi française à l’égard des MNA : engagement de les traiter en enfants quand tout le processus d’évaluation de leur minorité les traite en adultes avant l’heure, fortes exigences d’intégration alors qu’assez souvent, on leur ferme les portes du système éducatif…

Rappelons d’abord que les pouvoirs publics font régulièrement l’objet de recommandations du Défenseur des droits afin que les législations relatives aux Mineurs Isolés Etrangers (MIE) respectent le cadre fixé par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) que la France a ratifiée en 1989. Rappelons aussi que le Comité des droits de l’enfant de l’ONU émet également ce même type de recommandations aux autorités françaises. Enfin, le Conseil d’Etat a rappelé, à plusieurs reprises, que les MIE ne relèvent pas des législations relatives à l’immigration mais de celles relatives à la protection de l’enfance.
Pourtant la réalité est souvent tout autre. Lorsqu’un jeune étranger se présente au premier service d’accueil et d’orientation, il doit faire face au soupçon concernant sa minorité, et ce même lorsqu’il est en possession de documents d’identité comme un acte d’état civil. Il arrive donc régulièrement que même les documents d’état civil soient mis en doute, en contradiction complète avec l’article 47 du Code Civil. Il arrive que certains magistrats utilisent encore l’expertise médicale et le recours à l’âge osseux, procédé d’un autre temps, remis en questions par toutes les institutions médicales dont l’Académie de médecine. Enfin, certains utilisent des termes tels que "trop proche de la majorité" pour écarter certains jeunes de la protection de l’enfance.
Cette pression s’explique par la volonté de l’Etat de gérer la protection des MNA comme l’on gère les flux migratoires, considérant ces jeunes comme des étrangers avant qu’ils ne soient considérés comme des enfants en danger. Précisons que sur 42 000 jeunes se présentant pour une prise en charge, seuls 17 000 sont reconnus mineurs !

Dans votre livre, vous évoquez notamment le cas de Soulemani, un Malien de 16 ans qui finit par disparaître dans la nature après que sa minorité, reconnue dans un premier temps, a été remise en cause et sa prise en charge interrompue. C’est un parcours emblématique des injonctions contradictoires rencontrées par ces jeunes, qui les insécurisent ?

Ce qui est sûr, c’est que Soulemani est loin d’être une exception. Notre propos n’est pas d’accuser les équipes éducatives - certaines réalisent avec ces jeunes un travail considérable - mais de pointer que l’ensemble des institutions ne leur garantit pas la protection à laquelle ils auraient pourtant droit. Cela commence avec l’obligation pour le jeune de prouver sa minorité quand l’inverse devrait être la règle : à savoir la charge pour l’administration de prouver la majorité du demandant. Sur la prise en charge en elle-même, on peut quand même dire qu’il y a énormément de MNA qui se retrouvent en hôtel social, dans des conditions de prise en charge totalement inadaptées. Sans parler du passage à la majorité, moment de grande fragilité pour beaucoup de ces jeunes...

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La Seine-Saint-Denis revendique son engagement dans la prise en charge des MNA, mais elle déplore régulièrement le désengagement de l’État, en termes de moyens, sur cette question...

La Seine-Saint-Denis a toujours répondu présente pour l’accueil des mineurs isolés depuis 1990. Le principal problème était le refus de l’Etat d’apporter sa contribution financière à la hauteur de la prise en charge de ces jeunes.
J’ai toujours indiqué que tant que le MNA n’obtient pas l’autorisation de séjour en France, il relève de la responsabilité de l’Etat. En effet, ce sont tous les services de l’Etat qui sont concernés : la Justice, les services de la Protection judiciaire de la jeunesse, la Police aux frontières, le Service étrangers des Préfectures, la Santé, l’Education nationale.
D’ailleurs, l’actuel Président de la République s’était engagé lorsqu’il était candidat à ce que l’Etat prenne en charge les mineurs isolés étrangers... Une fois élu, cette promesse a été oubliée. Par contre, une fois le jeune régularisé en France, il relève, comme tous les enfants, de la protection de l’enfance. Actuellement, les mesures prises par l’Etat ne permettent de financer que 8% des dépenses de la Seine-Saint-Denis, cela reste inadmissible (1700 MNA sont pris en charge en 2020 par l’Aide sociale à l’Enfance de Seine-Saint-Denis, ndlr) !

Depuis un décret de juin 2020, l’État conditionne notamment sa participation financière à un fichage des empreintes des MNA, qui les place sous la menace d’une possible expulsion du territoire si leur minorité n’était pas reconnue…

La Seine-Saint-Denis n’est pas le seul département à avoir refusé de contribuer au fichage des mineurs évalués : c’est aussi le cas du Val-de-Marne et Paris.
D’autre part, 22 organisations sont intervenues auprès du Conseil constitutionnel pour contester cette législation de fichage des MNA, sans obtenir gain de cause.
Le principal reproche fait à ce fichier, c’est qu’il n’est pas créé pour protéger les mineurs, mais à d’autres fins, notamment pour lutter contre l’immigration irrégulière, portant atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant (article 3 de la CIDE) dont découle la présomption de minorité.
Les MNA doivent se soumettre à une prise d’empreintes, de photographies, répondre aux questions des agents préfectoraux, formulées dans une langue dont il est raisonnable de penser qu’ils ne la comprennent pas, présenter leur état civil, leur filiation, leur adresse, donner leur numéro de téléphone, ou encore la date d’arrivée en France... S’ils refusent de donner ces informations, le Préfet en informe le Président du Conseil départemental qui pourra interpréter ce refus comme un aveu de majorité et mettre fin à la prise en charge. Pire, le croisement de fichiers avec ceux du Ministère de l’intérieur va multiplier les risques d’erreurs, dans la mesure où les données ne sont pas toujours fiables, et qu’on sait que beaucoup d’enfants se font passer pour des adultes lors de leur voyage périlleux vers l’Europe.

Beaucoup de mineurs étrangers retombent dans la précarité aussitôt atteinte leur majorité parce que les conditions leur permettant de poursuivre leur projet professionnel ne sont pas réunies : absence de Contrat jeune majeur, absence de titre de séjour pour beaucoup… L’Etat doit-il aussi se mettre en conformité avec ses engagements internationaux sur ce chapitre ?

Évitons de faire un amalgame en parlant des jeunes majeurs. Les Départements - en particulier la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, Paris - ont créé des structures pour l’accueil des jeunes majeurs, d’autres leur réservent des places dans des foyers pour jeunes travailleurs. Certains départements continuent à proposer des Contrats jeunes majeurs (contrat auquel tous les jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance engagés dans un projet professionnel ont droit, en principe. Il s’agit de les soutenir financièrement de leurs 18 à leurs 21 ans pour leur permettre de mener à bien leurs études ou leur projet de vie, ndlr) et ont une réelle politique d’intégration des MNA au-delà des 18 ans. Le département de Loire Atlantique a même fait adopter à l’unanimité une délibération pour la prise en charge des jeunes majeurs jusqu’à 25 ans !
Ceci étant, il est exact que dans certains départements, on prend la responsabilité de laisser ces jeunes majeurs dans la nature, constituant des proies faciles pour les trafiquants, les proxénètes pour les filles, voire en essayant de les endoctriner. Pourtant dans le livre, nous voyons des résultats extraordinaires comme pour Benjamin, qui aujourd’hui est en seconde année de la faculté de médecine et qui a été soutenu et accompagné au-delà de 18 ans. Enfin, je veux rappeler que la France est aussi un pays de transit pour une partie de ces jeunes qui souhaitent rejoindre l’Angleterre ou les pays du nord de l’Europe. Ces jeunes en transit ont également des besoins de protection, d’information et d’accompagnement.

On a célébré en novembre dernier les 30 ans de la Convention internationale des Droits de l’enfant. Que faudrait-il selon vous réformer en profondeur pour que ces mineurs isolés soient traités comme l’exigent les conventions internationales ?

Pour que les MNA soient traités comme l’exige la Convention internationale des droits de l’enfant, cela nécessite plusieurs actions. Tout d’abord reconnaître aux MNA les mêmes règles de protection que pour les enfants français. Préciser que la protection de l’enfance et l’accompagnement de ces jeunes s’applique jusqu’à 21 ans, comme je l’avais obtenu lors de la rédaction de la loi du 5 mars 2007. Proscrire totalement l’utilisation des tests médicaux de détermination de l’âge. Interdire toute mesure privative de libertés aux enfants migrants : placement en zone d’attente, ou en rétention administrative sur l’ensemble du territoire français. Interdire conformément à l’article 28 de la CIDE sur le droit à la protection, les séjours dans les hôtels sans aucun suivi éducatif, social ou administratif des MIE. Adopter un cadre juridique au niveau de l’Union Européenne favorisant des pratiques harmonisées et conformes à la CIDE. Pour conclure, rappelons ce constat récent de l’UNICEF au sujet de la France : « Les condamnations pleuvent, on est montré du doigt. Ça suffit ! Il n’y a pas de fatalité, c’est une question de volonté politique »

Propos recueillis par Christophe Lehousse

- Je voulais une chance de vivre, de Noémie Paté et Jean-François Roger, sous la direction de Claude Roméo. Les éditions de l’Atelier. 16 euros

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