Mineurs non accompagnés : un livre qui restitue leur parole
En France, la prise en charge des jeunes migrants de moins de 18 ans, dits mineurs non accompagnés, relève des Départements. Dans « Je voulais une chance de vivre », onze jeunes arrivés récemment en France prennent la parole pour raconter leur parcours migratoire et leur combat pour une vie meilleure. Un livre qui par son humanité répond aux récents propos du polémiste Eric Zemmour, contre lequel une dizaine de Départements dont la Seine-Saint-Denis ont récemment porté plainte pour « incitation à la haine ».
« J’ai réussi à traverser tous ces pays, j’ai été accueilli dans un département qui m’a donné ma chance, j’ai des papiers me permettant de vivre en France et j’ai un emploi. Tous les jeunes que j’ai rencontrés n’ont pas eu ma chance. » Ainsi parle Samim, jeune Afghan de 21 ans, embauché comme médiateur à l’association France Terre d’Asile à Saint-Omer, après avoir dû fuir son pays où les talibans voulaient l’enrôler de force. Son périple au péril de sa vie à travers l’Iran, la Turquie, la Hongrie puis la France, âgé seulement de 14 ans, force le respect.
De même que ceux de Youssouf, jeune Ivoirien parti sur les routes à 13 ans, parce que sa famille était inquiétée après avoir soutenu Laurent Gbagbo, Salem, parti du Maroc à 15 ans pour l’Eldorado européen après avoir dû arrêter l’école à 10 ans, ou Kaïnat, jeune Afghane de 12 ans rêvant de rejoindre son père réfugié en Angleterre. Partis sous la menace de la guerre, des persécutions ou de la misère, ils peuvent tous se reconnaître dans cette phrase : « Je voulais une chance de vivre », titre du livre publié en septembre 2020 sous la direction de l’ancien directeur de l’Enfance et de la Famille du Département de Seine-Saint-Denis, Claude Roméo.
Si l’ouvrage propose ces onze témoignages poignants engrangés par la sociologue Noémie Paté et l’ancien directeur des Hauts-de-France à France Terre d’Asile Jean-François Roger, ce n’est pas pour s’auto-congratuler, mais pour répondre à une double urgence : rappeler l’engagement fort des Départements en direction des mineurs non accompagnés au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), à l’heure où cet accueil est de plus en plus mis sous tension par le désengagement de l’État. Et répondre également à des propos nauséabonds, certes minoritaires mais tout de même très inquiétants, comme ceux proférés récemment par le polémiste Eric Zemmour sur la chaîne C News. Déclarations contre lesquelles la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne ont d’ailleurs porté plainte pour « incitation à la haine » aux côtés de huit autres Départements.
60% en grande précarité
S’il s’efforce de montrer que l’accueil de ces jeunes migrants est un devoir auquel la France ne peut se dérober, « Je voulais une chance de vivre » n’occulte pas pour autant certaines difficultés rencontrées dans la prise en charge. Mais on s’aperçoit vite que celles-ci proviennent non pas tant des mineurs eux-mêmes que du manque de moyens et des injonctions contradictoires auxquelles se heurtent ceux dont le système oublie par-dessus le marché qu’ils ne sont que des enfants.
C’est par exemple Abdoul qui ne doit son salut qu’à un couple de bénévoles qui l’hébergent chez eux, l’ASE ayant estimé qu’il était majeur, ou encore Soulemani, Malien de 16 ans qui finit par disparaître dans la nature après avoir vu rejetée par deux fois sa reconnaissance de minorité… « Si la France c’est ça, je vais reprendre la route », finit-il par confier à la sociologue Noémie Paté avant que celle-ci ne perde sa trace. Avec des risques très élevés pour ces jeunes migrants : exploitation sexuelle, actes de délinquance forcée, exploitation à la mendicité… Seuls 40 % des quelque 42 000 mineurs non accompagnés en demande de protection en France sont reconnus in fine mineurs et isolés et accèdent donc à une prise en charge de l’ASE, le reste se trouvant en situation de grande précarité, rappelle ainsi l’ouvrage.
Désengagement de l’Etat
Là encore comme dans beaucoup d’autres domaines, l’impression qui prédomine est celle d’un labyrinthe administratif construit pour décourager le plus grand nombre, allié à un désengagement de plus en plus net de la part de l’État. « La croissance rapide du nombre de MNA met sous tension le dispositif de protection de l’enfance. Les conseils départementaux tentent de répondre à ces afflux via les dispositifs existants et l’ouverture de structures dédiées. Cependant, les établissements se retrouvent rapidement saturés. Dès lors, les conditions d’accueil sont parfois inappropriées, comme le fait de ne proposer aux MNA qu’un hébergement hôtelier sans accompagnement éducatif. », écrit par exemple Claude Roméo en introduction de l’ouvrage.
Pour la seule Seine-Saint-Denis, ce sont ainsi 1700 mineurs non accompagnés et anciens mineurs non accompagnés qui ont été pris en charge par l’Aide sociale à l’Enfance en 2020, contre 500 jeunes environ en 2015. Seulement voilà : sur le budget annuel de 60 millions d’euros débloqué par le Département pour la prise en charge des MNA, seulement 8 % sont actuellement compensés par l’Etat. Et les freins mis par celui-ci à un accueil efficace et humain ne font que se démultiplier puisque depuis un décret du 23 juin dernier, l’État conditionne désormais sa participation financière à l’orientation de ces jeunes vers la préfecture en vue d’un fichage biométrique. Avec le risque pour ces jeunes migrants d’être tout simplement expulsables sitôt arrivée leur majorité. Raison pour laquelle la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne ont donc aussi déposé un recours contre ce décret.
Si « Je voulais une chance de vivre » a une qualité, c’est bien celle de donner un visage et une voix à ceux qui sont d’ordinaire ramenés à des chiffres, bien moins embarrassants. « Derrière les chiffres, il est facile d’oublier que ce sont des enfants, non pas des migrants, non pas des étrangers, mais d’abord des enfants que nous, adultes, avons le devoir de protéger, parce que c’est notre responsabilité constitutionnelle », conclut notamment Jacques Toubon, ancien Défenseur des Droits.
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