Maltraitance des personnes âgées : Une exposition pour briser le tabou
Sur les deux dernières années, un psychologue du Département a recueilli les témoignages de personnes âgées et handicapées victimes de maltraitance. Sa volonté : briser un tabou de notre société, qui a tendance à occulter ce genre de violences. Son travail devrait faire l’objet d’une exposition itinérante début 2018. INTERVIEW.
Dans le cadre de la semaine bleue consacrée aux retraités et aux personnes âgées (du 2 au 8 octobre), nous présentons une initiative lancée par Laurent Wajs, un psychologue travaillant à la direction des personnes âgées et personnes handicapées (DPAPH) du Département.
Depuis 2016, ce spécialiste des questions de santé liées au vieillissement s’est attaché à faire témoigner de manière anonyme des personnes âgées ou handicapées en situation de maltraitance. Son objectif : faire entendre leur voix qu’on n’entend jamais. Leur parole doit être présentée dans une exposition itinérante financée par le Département qui sera lancée début 2018.
Quel est le but de votre démarche ? Faire tomber un tabou de notre société ?
« Notre action part d’un constat : sur les 4 populations les plus susceptibles d’être maltraitées – à savoir les mineurs, les femmes, les personnes âgées et handicapées – on trouve des témoignages de la part des deux premières catégories, même si c’est parfois des années plus tard. Pour les deux autres populations, il n’y a pas de témoignages directs. Que des paroles d’experts, qui parlent parfois au nom des maltraités, et parfois même pas. Nous avons donc voulu rendre publique une parole qui n’est jamais portée, parce que nous pensons qu’avant d’analyser une souffrance, il faut partir du témoignage premier qui est à la base de tout. »
Comment avez-vous procédé pour collecter ces témoignages ?
« Nous avons contacté les personnes qui avaient signalé des abus au 3977 (un numéro vert national mis en place depuis 2008) ou à la cellule de traitement départementale (depuis 2006, le Département, d’ailleurs précurseur dans ce domaine, possède sa propre cellule composée de deux travailleurs sociaux, ndlr). Nous avons demandé aux victimes de ces maltraitances si elles accepteraient de témoigner, sur la base de témoignages enregistrés et bien entendu anonymisés. Nous avons ainsi collecté une vingtaine de dépositions, aussi bien de personnes âgées que handicapées. Sur ces 20 témoignages, on en a ensuite retenu 6 qui apparaîtront dans l’exposition. Il faut également préciser que sont concernées aussi bien des maltraitances ayant eu lieu à domicile qu’en institution. »
Que ressort-il de ces témoignages ?
« Ce qui est assez marquant, c’est que les personnes touchées par la maltraitance n’en parlent pas du tout de la même façon que les experts. A tel point que quand nous avons soumis les témoignages à un comité d’écoute de professionnels pour voir comment nous pouvions nous en servir dans le cadre de l’exposition, certains nous ont dit qu’ils n’avaient pas songé à ces formes de maltraitance. »
Cela veut dire que nous avons une vision assez stéréotypée de la maltraitance ?
« Le grand public en tout cas, oui. Souvent, quand on parle de maltraitance envers les personnes âgées, on pense à de la maltraitance physique. Elle existe bien sûr, mais ce n’est pas le plus gros des cas. Il y a par exemple beaucoup plus de maltraitance psychologique, à base d’humiliations ou de négligences, ou de maltraitance financière. C’est par exemple le cas d’une personne placée sous tutelle et qui pourrait avoir beaucoup plus de moyens que ce qu’elle a, sauf qu’elle n’y a pas accès. En fait, on est à chaque fois dans des situations très particulières et de ce fait, l’approche en catégorisation n’est ni fidèle ni adaptée. »
Une étude récente affirmait que 70% des cas de maltraitance en France ont lieu à domicile. Est-ce ce qui ressort aussi de vos témoignages ?
« Oui, c’est à peu près aussi ce que reflétaient nos témoignages. C’est tout simplement lié au fait que la majorité des personnes âgées vivent chez elles. Là encore, cela va à rebours de l’image très répandue d’une maltraitance qui aurait lieu surtout en institution - en hôpital ou en maison de retraite - même si on a aussi croisé des cas de ce type. Dans les témoignages retenus, il y a par exemple celui d’une vieille personne qui a été traumatisée par la piqûre d’un calmant qu’on lui a faite contre son gré à l’hôpital, soi-disant parce qu’elle se débattait.
Mais attention, encore une fois, il ne s’agit pas d’une étude, mais bien d’un ressenti, d’une parole subjective. Les témoignages n’ont pas été recoupés par des parties adverses. Nous voulons surtout susciter une attention et une écoute. »
En quoi va consister l’exposition, prévue pour début 2018 ?
« Il s’agit d’une exposition itinérante, composée de panneaux sur lesquels figureront des extraits des six témoignages et des extraits sonores, à écouter au casque. Le tout accompagné de dessins faits par un illustrateur et de photos. A l’issue de chaque entretien, nous avons en effet demandé aux personnes victimes de maltraitance de nous présenter un objet qui symboliserait ce qu’elles ont subi. Avec cette expo, on a l’intention de sillonner la Seine-Saint-Denis, à la demande des différentes institutions qui manifesteront un intérêt : mairies, maisons de retraites, clubs de retraités, CCAS (centres communaux d’action sociale)… »
Ne doit-on pas tout de même dépasser le stade de la sensibilisation, pour s’interroger sur les causes de la maltraitance ?
« Certainement, mais ce n’était pas le propos de ce projet-ci. Avec cette exposition, nous cherchons à attirer l’attention du grand public sur ce problème de société et à donner une voix à ceux qui n’en ont pas. Analyser trop vite les causes de la maltraitance, c’était une nouvelle fois confisquer la parole aux premiers concernés. Après cette expo, le débat viendra tout naturellement. »
Propos recueillis par Christophe Lehousse
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