Lyna Khoudri, la frangine d’Auber
Elle crevait l’écran dans Papicha, film pour lequel elle avait remporté le César du meilleur espoir féminin en 2020. On la retrouvera cette semaine à Cannes dans « Nos frangins », sur l’assassinat de l’étudiant Malik Oussekine. Lyna Khoudri dit être venue au cinéma progressivement, au fil des sorties organisées par les centres de loisirs d’Aubervilliers, sa ville de toujours. Portrait.
« Aubervilliers, c’est toute ma vie. J’ai énormément d’amour pour cette ville qui m’a permis de m’épanouir. » Pour parler de la ville de son enfance et de son adolescence, Lyna Khoudri n’y va pas par quatre chemins. A 29 ans, cette actrice à la trajectoire vertigineuse a vu la Mostra de Venise pour « Les Bienheureux », été couronnée meilleur espoir féminin pour « Papicha », monté les marches de Cannes pour « The French Dispatch », elle revient quand même toujours à Aubervilliers, le lieu où elle « se sent vraiment elle-même ».
Il ne faut pas la prier longtemps pour qu’elle reparle de son quartier du Pont-Blanc, des copains du collège Diderot, juste en face du square Lucien Brun, des ateliers théâtre avec le centre de loisirs, des vacances au ski avec les colonies de vacances de l’OMJA (Office Municipal de la Jeunesse d’Aubervilliers). « On est arrivés d’Algérie à Aubervilliers quand j’avais un an et demi. Mes parents ont dû tout reconstruire ici, donc il fallait me faire garder. Heureusement qu’il y avait les structures publiques. C’est pas compliqué : moi, je suis une enfant du public et de la République. », raconte celle dont la mère et le petit frère y vivent encore.
"Enfant du public"
Lyna Khoudri (4e droite), membre du jury du Nikon film festival, le 22 avril dernier
L’histoire familiale de Lyna Khoudri ressemble en effet à celle de « Papicha », raison pour laquelle la jeune actrice avait tellement tenu à faire ce film : un père journaliste vedette à la télé algérienne, une mère prof de musique, brutalement obligés de fuir l’Algérie dans les années 90 sous la pression des islamistes. Bouleversant, le film de Mounia Meddour, où Lyna joue une étudiante qui organise un défilé de mode à la fac d’Alger malgré les menaces toujours plus pesantes des fondamentalistes, a véritablement lancé sa carrière. La concrétisation d’un parcours qui aura pourtant débuté bien avant, dans les ateliers théâtre des centres de loisirs d’Aubervilliers.
« Je crois que mes premières envies de devenir comédienne se situent là, dans mes 4 années comme animatrice à l’OMJA. Avec tous les jours 20 gamins dont je devais capter l’attention, je n’avais pas d’autre choix que de jouer, de m’inventer des rôles. Après, il y a eu bien d’autres choses, mais je crois que c’est là que tout a commencé. »
Après, il y aura en effet la fac de théâtre à Paris 8 Saint-Denis et la découverte du théâtre public : le théâtre de l’Odéon, celui de la Colline dans le XXe arrondissement. « C’est en traînant dans ces endroits que j’ai découvert qu’il y avait des Ecoles nationales supérieures. Et puis, je suis tombée sur les classes prépas théâtre, entièrement gratuites, qui m’ont vraiment fait découvrir le métier. Ça a changé ma vie », dit celle qui aura suivi la classe égalité des chances du Théâtre de la Colline et de la MC93 à Bobigny. « On avait des cours avec les metteurs en scène Razerka Lavant, Stanilas Nordey ou Blandine Savetier, des choses que je n’aurais jamais pu me payer... », se souvient encore la comédienne. Prise à l’école de Strasbourg à l’issue de cette année bouillonnante, elle choisira finalement, fidèle à son tempérament décidé, de tenter sa chance direct devant la caméra de Sofia Djama dans Les Bienheureux, déjà sur l’Algérie.
Construction politique
Revendicatrice quand il le faut, la jeune comédienne sait aussi calmer le jeu quand elle estime qu’il n’y a pas besoin de voir le verre toujours à moitié vide. Comme sur la question de la représentation de la diversité française au cinéma. « Ce n’est pas complètement représentatif de la société mais il y a vraiment du mieux, comparé à il y a 10 ans. Si on continue comme ça, ce sera vraiment bien », dit celle qui jouera prochainement dans « Nos frangins », de Rachid Bouchareb.
Un réalisateur qu’elle allait déjà voir avec son père au cinéma L’Ecran de Saint-Denis et qui a, dit-elle, participé à sa construction politique. « Avec Indigènes ou Hors-la-Loi, j’ai tout d’un coup compris d’où je venais, pourquoi mon père n’avait pas voulu demander la nationalité française et pourquoi mon grand-père algérien recevait une pension de l’État français. Rachid, il filme l’histoire des immigrés en France comme personne d’autre. »
Dans "Nos frangins", présenté hors compétition à Cannes, Lyna Khoudri jouera Sarah, la sœur de Malik Oussekine, cet étudiant assassiné par la police en 1986 en marge de manifestations dans le Quartier latin. « Je ne connaissais pas l’affaire, mais j’ai tout de suite fait le parallèle avec l’affaire Adama Traoré qui avait donné lieu à une première grande manifestation à l’époque où j’ai accepté le rôle (en 2020). Sur cette question des violences policières en banlieue, on n’a vraiment pas avancé et il est important que le cinéma en parle », commente la jeune femme.
Cette question la ramène aux émeutes de banlieue de 2005, parties de la mort de Zyed et Bouna, deux adolescents de Clichy-sous-Bois morts dans un transformateur électrique alors qu’ils fuyaient la police. « J’ai grandi dans ce contexte-là, et c’est là que j’ai pris conscience que parfois, les habitants des banlieues étaient traités comme des citoyens de seconde zone », affirme Lyna Khoudri qui cite spontanément la photo de jeunesse de Ladj Ly, où on voit le réalisateur des « Misérables » brandir sa caméra comme une arme. Et de conclure : « J’aime bien voir le cinéma comme ça, une arme qui ne blesse pas, mais qui sert à se défendre. »
Photo : ©Paloma Pineda
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