Le Département mobilisé plus que jamais contre les discriminations
Près de 6 habitants sur 10 en Seine-Saint-Denis disent avoir été victimes de discriminations au cours des 5 dernières années : c’est l’un des nombreux enseignements qui se dégagent d’une enquête, présentée mardi 13 octobre par le Département, lors de sa rencontre annuelle contre les discriminations. Une des actions pour lesquelles le Département vient de se voir doublement labellisé par l’Afnor. Compte-rendu.
Un CV glissé en bas de la pile en raison d’un patronyme à consonance étrangère, un contrôle policier arbitraire subi sur la base de la couleur de peau, une classe d’un établissement scolaire en visite dans un grand musée parisien insultée par un membre du personnel car « trop bruyante » : ces phénomènes n’ont rien d’une situation fictive, ils surviennent malheureusement très souvent dans le quotidien de certains habitants de Seine-Saint-Denis.
C’est notamment pour rappeler cette triste réalité et « objectiver » plus précisément le sentiment diffus de nombreux Séquanodionysiens que le Département avait commandé en juin 2019 une enquête sur les discriminations en Seine-Saint-Denis. « Baromètre » réalisé par l’institut de sondage Harris Interactive qui a été présenté mardi 13 octobre à l’occasion d’une Rencontre annuelle de lutte contre les discriminations organisée dans le tiers-lieu culturel Mains d’Œuvres, à Saint-Ouen.
Une étude qui permet de tirer des enseignements assez inquiétants : selon ce sondage, réalisé auprès d’un échantillon représentatif du Département de 1004 personnes, près de 6 habitants sur 10 en Seine-Saint-Denis disent avoir été victimes de discriminations au cours des 5 dernières années, et même 65 % parmi les 18-39 ans. Avec pour principaux critères sur lesquels s’exercent ces discriminations, selon les sondés : l’origine et la couleur de peau (32 %), le lieu d’habitation (28 %), l’apparence physique (19 %) et la religion (17 %). Autre signal d’alerte : si le monde du travail est le lieu le plus fréquemment cité comme endroit où ces discriminations s’expriment, la police et la justice figurent aussi au banc des accusés parmi les services publics (81 % des répondants).
Des statistiques qui n’étonnaient pas plus que ça Patrick Simon, chercheur invité pour interpréter les résultats de l’étude. « Ces données corroborent les recherches que j’ai moi-même pu mener », confirmait ce directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques et à l’Institut convergences migrations. L’étude « Expérience et Perception des discriminations » menée à l’échelle de l’Ile-de-France en 2015 faisait ainsi déjà ressortir 5 facteurs de surexposition aux discriminations raciales : être jeune, être diplômé dans la mesure où les discriminables touchent alors du doigt les plafonds de verre toujours présents dans notre société, être au chômage et être musulman. Par ailleurs, on note que le ressenti des discriminations est beaucoup plus fort chez les descendants d’immigrés que chez les immigrés eux-mêmes puisque la résignation par rapport aux discriminations qui existait chez ces derniers n’est heureusement plus la norme. »
Totem d’immunité
Que le monde du travail soit le lieu le plus fréquemment cité comme espace d’expression de ces discriminations (87 %) n’était pas non plus une surprise pour une autre universitaire, Laure Pitti. « On peut faire démarrer l’histoire de l’immigration en France au 19e siècle et pourtant, le cadre légal contre les discriminations au travail surgit très tard : au début des années 2000. Cela dit tout le retard dans la prise de conscience de ce phénomène en France », exposait la maître de conférences en sciences sociales à l’université Paris-8 de Saint-Denis. Dans cette histoire des discriminations dans le monde de l’entreprise, la chercheuse n’exonérait pas non plus les grandes entreprises publiques, Renault et la SNCF en tête. « Quand on regarde de l’autre côté du mythe des 30 Glorieuses (1945-1975), on s’aperçoit que la croissance de masse a eu pour condition un racisme systémique dans l’organisation de ces grandes entreprises d’État. À la SNCF par exemple, il y avait une gestion duale de la main d’œuvre entre ceux qui avaient le statut de cheminot et ceux qui ne l’avaient pas, dans une majorité écrasante des immigrés nord-africains », soulignait-elle, rappelant par ailleurs les récentes condamnations de ces deux entreprises par la justice française.
Sachant que ces discriminations trouvent évidemment encore un écho dans le présent… « Les discriminations raciales existent malheureusement encore aujourd’hui dans de nombreuses entreprises, avec encore très peu de recours pour les victimes », reconnaissait Dorothée Prudhomme, responsable des études à l’Association Française des Managers de la Diversité, regroupant 150 entreprises souhaitant provoquer des changements dans ce domaine. « Il faudrait notamment que la lutte contre les discriminations raciales prenne un peu le pas dans les politiques des entreprises sur la promotion de la diversité… Car on s’aperçoit bien souvent que cette dernière n’empêche pas les phénomènes de racisme », pointait notamment la chercheuse. Constat que Binetou Sylla, co-auteure avec trois amis du Dérangeur, petit lexique en voie de décolonisation, formulait un peu plus crûment : « Aujourd’hui, la diversité est utilisée comme une espèce de totem d’immunité, mais le facteur ethno-racial n’est pas pris en compte. Récemment encore, plusieurs entreprises du CAC 40 ont été épinglées parce qu’il y avait dans leurs politiques de ressources humaines des discriminations ethniques... »
Chemin encore long
Également conviée, Sophie Pisk, représentante régionale de la nouvelle Défenseure des Droits Claire Hédon, convenait que malgré de multiples recommandations formulées par son instance au cours de ces dernières années, le chemin était encore long. « En matière de discriminations dans l’accès aux services publics, on se rend notamment compte que celles-ci sont soit liées à un problème de formation des agents qui peuvent avoir des préjugés, soit à des procédures pas assez claires qui engendrent des situations de traitements différents. » Et de donner l’exemple de la plateforme d’orientation Parcoursup, qui avait suscité l’incompréhension de nombreux étudiants de Seine-Saint-Denis, étonnés ces dernières années de n’obtenir aucun de leurs vœux dans des facs parisiennes malgré d’excellents dossiers.
Le président de la Seine-Saint-Denis Stéphane Troussel, loin de toute gloriole qu’aurait pu lui inspirer la récente double labellisation du Département (voir encadré), se chargeait du mot de la fin. Pointant du doigt l’inaction de l’État, également responsable de différences de traitement à l’égard des habitants de la Seine-Saint-Denis en termes d’éducation, de sécurité ou d’accès aux soins, il ne se réfugiait toutefois pas derrière cet argument. « La réponse de l’État en matière d’égalité territoriale a vraiment du mal à se concrétiser. Est-ce une raison pour rester les bras croisés ? Certainement pas : Département, mairies, associations, nous avons une capacité d’entraînement politique sur ces questions. Et le Département a aussi une responsabilité comme employeur public. Il reste donc beaucoup à faire… »
Le Département doublement labellisé par l’Afnor
« La lutte contre les discriminations fait partie de notre identité ». Le président du Département Stéphane Troussel et Silvia Capanema, vice-présidente chargée de la jeunesse et la lutte contre les discriminations étaient fiers d’annoncer mardi la double labellisation du Département par l’Afnor. Déjà dotée du label Diversité depuis 2016, la Seine-Saint-Denis vient de se voir renouveler cette distinction par l’organisme de certification. Outre des formations, le Département a également mis en place une cellule d’écoute pour ses agents s’estimant victimes de discriminations de tous types. Cellule qu’il a d’ailleurs externalisée récemment, face aux verdicts de nombreuses études mettant en doute l’efficacité de cellules d’écoute internes, perçues avec défiance par les collaborateurs. À cette distinction s’en ajoute désormais une autre puisque l’Afnor a aussi attribué au Département le label « égalité professionnelle ». À noter que la Mission Égalité Diversité du Conseil départemental travaille aussi à un nouveau guide « Ensemble pour l’égalité des droits » qui sera publié en novembre.
Christophe Lehousse
Photos :©Franck Rondot
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