Costa Gavras : « Ce festival permet de rendre visible l’invisible »
Une trentaine de films sur le monde arabe, jusqu’au 23 novembre. Vendredi, le coup d’envoi de la 10e édition du festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec a notamment été donné par Costa Gavras, parrain d’honneur de la manifestation depuis 2016. Interview avec le réalisateur de Z, Amen ou encore Music Box…
Pourquoi avez-vous choisi d’accompagner ce festival en devenant son parrain d’honneur ?
Les films de manière générale, c’est un moyen de montrer ce qui n’est pas visible, la vie des gens, leurs joies et leurs peines. Dans le cas du monde arabe, il est important de voir comment vivent des personnes dont on parle beaucoup et pas toujours de manière favorable… Or, ces a-priori empêchent de s’intéresser aux vrais sujets : les sujets économiques, les conflits, mais aussi la vie quotidienne. C’est donc précisément parce que ce festival rend visible l’invisible à travers une programmation de qualité que j’ai accepté de l’accompagner depuis 5 ans maintenant.
Durant ces 5 ans, y a-t-il des films qui vous ont marqué ?
Oui bien sûr, certains films m’ont touché profondément. Je ne vais pas citer un réalisateur en particulier. Je me limiterai à dire que ce festival, c’est une preuve pour moi qu’on est enfin parvenu à la démocratisation du cinéma que j’espérais. Je me souviens : dans les années 60-70, le cinéma français était fait par une classe parisienne tout à fait précise. Il a fallu se battre pour que les provinciaux, puis les étrangers puissent entrer dans les écoles de cinéma, faire des films. Et là, ce festival offre un reflet de la diversité du monde.
Votre oeuvre cinématographique est traversée par l’idée de résistance : aux régimes totalitaires (Z, Amen), aux medias (Mad City), à la finance (Le Capital). A votre sens, faut-il à nouveau résister aujourd’hui face à ceux qui veulent nous diviser ?
Mais il faut toujours résister. C’est vrai qu’en ce moment, c’est plus que jamais nécessaire, à l’heure où des énormes compagnies internationales dirigent presque les démocraties, sans parler de l’environnement. Oui, c’est un rôle majeur du cinéma : la société est remplie par toutes sortes de pouvoirs qui s’exercent sur nous ou que nous exerçons sur d’autres. L’utilisation de ces pouvoirs rend nos vies meilleures ou pires, c’est de ça que j’aime parler. Mais je n’ai rien inventé : le cinéma fait ça depuis toujours, depuis Méliès presque.
Votre dernier film, « Adults in the Room », sur la pression mise sur la Grèce par l’Union européenne au moment de la crise de la dette, date de 2019. Travaillez-vous déjà à votre prochain film ?
Oui. Je suis en train d’écrire. J’espère pouvoir tourner à la fin de l’année prochaine. Je ne peux rien dire, si ce n’est que c’est sur un sujet actuel.
Un mot sur la mort en septembre du musicien et militant grec Mikis Theodorakis. On vous savait très liés…
Oui, on avait travaillé ensemble sur « Z » et « Etat de siège ». Pour être exact, sur « Z », on n’avait pas travaillé ensemble, il m’avait donné sa musique car il était incarcéré par le régime grec à l’époque. On était proches, c’est vrai, je l’avais vu il n’y a pas longtemps. Bon, il faut dire qu’il était arrivé à un âge où on meurt, d’habitude (96 ans). Je dirais même qu’à un moment, il faut mourir pour laisser la place aux autres. Mais oui, c’était un grand musicien, il a changé radicalement la musique grecque, tout en gardant ses origines populaires profondes. Du temps de la dictature, il a fait des concerts à travers le monde, qui ont suffi à faire savoir qu’il y avait une dictature en Grèce. Il a joué un rôle essentiel.
Quel est votre lien à la Seine-Saint-Denis ? On sait que votre fils Romain a co-fondé dans les années 2000 le collectif Kourtrajmé, dont est notamment issu Ladj Ly, auteur du film Les Misérables...
Oui, c’est d’ailleurs via mon fils Romain que j’ai connu le festival de Noisy-le-Sec. Il connaissait des gens au sein de l’équipe. Et comme j’ai trouvé qu’ils réalisaient un très bon travail, j’ai accepté de le parrainer. Kourtrajmé, oui, c’est une belle aventure. Il est essentiel que la jeunesse d’aujourd’hui se saisisse de l’audiovisuel pour raconter le monde, raconter son monde.
Votre autobiographie, parue en 2018, s’intitule « Va où il est impossible d’aller ». C’est un conseil que vous donneriez aussi à un jeune des quartiers populaires de Seine-Saint-Denis aujourd’hui ?
Absolument. C’est une phrase que j’aime beaucoup. Je m’en suis rendu compte à travers mon parcours : avec beaucoup de travail et les bonnes rencontres, l’impossible devient possible. Dans mon cas, je devais sortir d’un pays, la Grèce, qui ne proposait rien aux jeunes de ma génération. Et je savais qu’en France il était possible de faire des études sans être riche. Je suis allé au-delà de ce que je pouvais rêver grâce à la France, grâce aussi à des gens qui m’ont aidé et ont cru en moi. Donc ça n’est pas impossible, même si ça demande beaucoup plus de travail qu’à d’autres et aussi des efforts pour se faire accepter, parce qu’on vous fait parfois sentir que vous n’êtes pas le bienvenu. Il faut tout faire pour briser ces plafonds de verre, qui sont même souvent des plafonds de ciment.
Christophe Lehousse
Photos : ©Franck Rondot
Lina Soualem, réalisatrice du documentaire Leur Algérie et marraine de la 10e édition du FFFA
Une 10e édition avec des bouts de 93 dedans
Pour son anniversaire, le Festival du film franco-arabe n’a pas fait les choses à moitié : 29 films sont à voir au Trianon, issus de 17 pays différents. La Palestine, à laquelle cette édition consacre un focus, figure en bonne place avec le film « Gaza mon amour » (mardi 16 novembre, en présence de l’actrice Hiam Abbass) et le documentaire « Little Palestine », qui traite du siège du quartier palestinien de Yarmouk à Damas pendant le conflit syrien. Il sera également largement question des rapports entre France et Algérie et des petits histoires dans la grande, avec le beau documentaire « Leur Algérie », de Lina Soualem, marraine de cette édition (les lundi 15 et mardi 16) ou « De nos frères blessés », d’Hélier Cisterne, adaptation du Goncourt du premier roman 2016. D’autres films valent le détour, qui explorent cette fois l’immigration maghrébine en France : « Mes frères et moi », de Yohan Manca (présent le dimanche 21), « De Bas étage », de Yacine Qnia, originaire d’Aubervilliers (présent vendredi 19). Ou encore « Haute Couture », de la réalisatrice courneuvienne Sylvie Ohayon. Enfin, pour ce qui est du traditionnel concours de cours-métrages, vous pouvez les voir en ligne à partir du 18 novembre sur le site du Festival Côté Court, partenaire de l’événement et même voter pour votre préféré. La remise des prix se fera mercredi 24 novembre au cinéma 104 de Pantin.
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