Yassine Qnia, d’Aubervilliers, grimpe les étages quatre à quatre
« De bas étage », le premier film de ce réalisateur originaire d’Aubervilliers, auteur auparavant de trois courts-métrages multi-récompensés, a été présenté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs (7-17 juillet). Il sortira en salles le 4 août. Nous l’avions rencontré avant son départ pour la Croisette.
Même pas impressionné. Le réalisateur Yassine Qnia, qui s’en va dans quelques jours à Cannes pour concourir à la Quinzaine des Réalisateurs (un événement très couru organisé en marge du Festival de Cannes qui se distingue par sa liberté d’esprit et qui a pour vocation de faire découvrir un large spectre de films) avec son premier film, « De bas étage », ne ressent aucune excitation particulière. En revanche, il se dit « très heureux pour les acteurs, pour toute l’équipe du film. » Tant que les projecteurs sont braqués sur les autres, tout va bien. Ce cinéaste de 33 ans, dont la gentillesse et la simplicité n’ont d’égal que le talent, ne cherche pas la lumière. Discret mais qui sait être loquace une fois lancé, Yassine Qnia a néanmoins accepté, pour les besoins de cet article, de parler un peu de lui, de son enfance et de son parcours peu commun qui ne le prédestinaient pas à embrasser un jour une carrière dans le cinéma. Action !
« Contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, je ne suis pas né à Aubervilliers mais j’y ai, c’est vrai, passé 19 années de ma vie (de 12 à 31 ans), tient-il d’emblée à préciser. J’en garde d’excellents souvenirs qui sont autant de sources d’inspirations pour mes films. » Parmi lesquels « De bas étage » qui raconte l’histoire de Mehdi (interprété par Soufiane Guerrab, acteur notamment vu dans les deux films de Grand Corps Malade), la trentaine, perceur de coffres. Avec ses complices, il tente de s’en sortir mais leurs cambriolages ne paient plus comme avant et les quelques alternatives professionnelles qui s’offrent à lui ne le séduisent pas. En pleine remise en question, il tente de reconquérir Sarah (campée par Souheila Yacoub, remarquée dans les séries Les Sauvages et No Man’s Land) mère de son fils d’un an qu’il adore. « J’ai grandi dans le quartier Paul-Bert ‘’réputé’’ à une époque pour ses perceurs de coffre. Des mecs très populaires qui nous fascinaient, mes copains et moi, quand on était mômes. Leur charisme, leur sang-froid et leur destin souvent tragique en font de vrais personnages de films. »
Devenu géomètre-topographe grâce à un conseiller d’orientation
Yassine, lui, s’est toujours tenu à distance des mauvaises fréquentations. Elève moyen au collège, il dit devoir son salut à un conseiller d’orientation qui a passé son profil au peigne fin et lui a judicieusement proposé d’intégrer le lycée professionnel Eugène Hénaff, à Bagnolet, pour passer un bac pro de technicien d’études du bâtiment. « Il m’a posé beaucoup de questions, j’ai eu le sentiment qu’il s’intéressait à moi alors que je lui racontais des choses qui me paraissaient anecdotiques, comme le fait que plus jeune j’avais une passion pour les Lego, se souvient le cinéaste. Mais j’ai suivi ses conseils et j’ai vécu une époque bénie. En classe, nous étions seulement 12 élèves, tous ultra choyés. Et comme je souhaitais exercer un métier en extérieur et que je n’étais pas trop mauvais en maths, j’ai décidé de me spécialiser dans la topographie. » Résultat, il se retrouve propulsé à 19 ans sur les chantiers en tant que géomètre avec des collègues bien plus âgés que lui.
En parallèle, le jeune Yassine découvre le cinéma à l’Office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers (OMJA). Encadré par des intervenants professionnels issus de la ville, il participe à la fabrication de plusieurs films d’ateliers aux côtés de jeunes de son quartier. « C’était génial. Là-bas, j’ai découvert des réalisateurs comme Melville, Bresson, Pialat. Lors des ateliers, on s’amusait à décortiquer des films, on s’essayait aussi à l’écriture de scénarios et en fin d’année, on avait pour objectif de réaliser un court-métrage. L’élève le plus ‘’méritant’’ se voyait offrir une formation à l’EICAR (Ecole internationale de création audiovisuelle et de réalisation, un établissement privé où sont enseignés le son et l’image situé à la Plaine-Saint-Denis, ndlr). » Pour récompenser son abnégation et sa passion nouvelle pour le cinéma, Yassine Qnia obtient le sésame mais il le rétrocède aussitôt. « Je ne voulais pas abandonner mon métier de géomètre-topographe, qui me permettait de gagner ma vie, pour me lancer dans une nouvelle carrière pleine d’incertitudes », se justifie-t-il.
Des premiers rôles made in Seine-Saint-Denis
Mais le cinéma le hante. La réalisation le démange. Alors il passe à l’acte. Avec un budget famélique (3000 euros) et ses amis d’enfance (notamment ceux rencontrés à l’OMJA), il signe son premier court-métrage « Fais croquer ». Il a 23 ans. « Pour défendre ce petit film, je ne suis pas parti à l’abordage car on peut facilement se perdre dans les méandres d’un tel projet, confie Yassine. J’ai donc participé au Pass Jeune Réalisateur du festival Côté court de Pantin (créé en 1992 à l’initiative du Département de la Seine-Saint-Denis et de la Ville de Pantin, ndlr) pour rencontrer des cinéastes et parler de mon œuvre. Cela m’a permis ensuite de bénéficier de l’Aide au film court (dispositif de soutien à la création, à la diffusion et à la production de films de court-métrage mis en place par le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et encadré par l’association Cinémas 93, ndlr) pour la partie post-production. Mon film a été très bien accueilli par le jury dont l’un des membres travaillait sur le prestigieux festival Premiers Plans d’Angers. » A Angers, où le film est présenté, « Fais croquer » emporte tous les suffrages. Ailleurs, les récompenses pleuvent. Le court est présélectionné pour concourir aux César. Canal+ en achète les droits. « Cette reconnaissance est gratifiante mais je garde les pieds sur terre. A ce moment-là, je me répète inlassablement que mon job, c’est géomètre, même si le cinéma est une passion qui prend de plus en plus de place », admet celui à qui tout semble sourire.
Succès oblige, les sollicitations sont nombreuses. Des projets de long-métrages et de séries arrivent en pagaille sur son bureau. « J’avais l’embarras du choix mais j’étais encore trop jeune et j’ai toujours considéré qu’on était bon dans ce qu’on aimait faire. Quitte à le regretter, j’ai refusé les commandes qui m’ont été faites pour continuer mon apprentissage en me consacrant à l’écriture et à la direction de deux autres courts. » Molii (2013) puis F430 (2015), qui reçoivent l’un et l’autre des éloges de la part du public et des professionnels. Pour autant, sa carrière cinématographique connaît ensuite un hiatus de quatre ans. « Cette pause s’explique par le fait que la prochaine étape était forcément un long-métrage mais l’idée me faisait peur, explique-t-il. Ayant envie de faire uniquement ce qui me plait, un tournage de plusieurs semaines avec un budget conséquent peut devenir vite compliqué à gérer. En avais-je les épaules ? Au final, j’ai fini par me lancer dans cette aventure car j’avais un scénario convaincant et des personnes formidables autour de moi. » Lauréat en 2019 de la Fondation Gan pour le Cinéma, laquelle soutient la création et la diffusion de premiers longs métrages, « De Bas Etage » a été tourné à Aubervilliers en 5 semaines, juste avant le premier confinement.
« Je suis conscient d’avoir eu jusqu’ici énormément de chance, j’ai toujours pu travailler sereinement dans le milieu du cinéma grâce aux différentes aides financières octroyées et aujourd’hui, je peux enfin en vivre », révèle celui qui a récemment élu domicile à La Courneuve. A défaut de pouvoir en dire plus son prochain long, « le scénario est encore en gestation, les personnages pas bien définis », le réalisateur préfère livrer une anecdote croustillante, qui le rend très fier : jusqu’à maintenant, tous les premiers rôles de ses films (courts et long confondus) ont été joués par des acteurs originaires de Seine-Saint-Denis. Ainsi de M’Barek Belkouk (Aubervilliers), Steve Tientcheu (Aulnay-sous-Bois), Harrison Mpaya (Bobigny) et Soufiane Guerrab (Rosny-sous-Bois). « Je vais essayer de perpétuer cette tradition dans le prochain », confie Yassine, tout sourire.
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