Associations Santé & Prévention Pantin

Chiner contre le Sida

La braderie de la mode de Aides 2018 a eu lieu dans les Magasins généraux de Pantin. L’occasion rêvée de conclure de bonnes affaires tout en participant à la lutte contre le VIH. On vous explique exactement comment.

Tout est gris dehors : l’Ourcq, le ciel, et le gros bâtiment des magasins généraux de Pantin. Lorsqu’on y entre, le bruit de la pluie est remplacé par un bourdonnement. Sous les abats jours sphériques, autour de portants débordant de sapes, s’agitent des dizaines de fashionistas/tos. On passe en revue chaque pièce, détaillant la fringue, son prix, sa marque. On fouille dans des grands bacs de nippes. On se déshabille au grand jour, devant les miroirs posés sur le mur, pour essayer ses trouvailles. Bienvenue à la braderie de mode organisée par Aides, l’association de lutte contre le VIH.

Il y a les fans de shopping, comme Clara et Elise qui patientent dans la longue file en zigzag, un jean Sandro à 20 euros sur le bras. Les voisines, comme Alice, néopantinoise : « Sur facebook, j’ai vu les mots fringues/ Sida/Pantin... comme je ne travaille pas le vendredi, c’était un super bon plan ». Les compagnes de route : « On vient depuis la première braderie. On achète toujours un petit quelque chose pour soutenir la cause. J’ai vu ma gynéco il y a trois jours, elle était catastrophée. Les 20-25 ans pensent que le sida, c’est fini, et ils ne se protègent plus. Il faut ramener les filles et les fils de copains à la braderie, c’est sympa et ça permet d’informer en même temps. Moi j’ai deux amis qui vivent avec le traitement, c’est stabilisé. Pas encore guéri », raconte Fanny, la cinquantaine.

Indépendance

Si la braderie de la mode de Aides est née à la fin des années 90, elle en est déjà à sa 41e édition. « Il y en a une en décembre, une en juin, et une braderie du design en avril », détaille Adeline Chenevier, salariée aux manettes de l’évènement. Trois mois avant la vente, l’association collecte les vêtement auprès des grandes marques. « Comme le milieu de la mode et du design a été durement touché par l’épidémie, ça leur paraît évident de donner. Et puis donner les pièces de leurs anciennes collections permet de vider un peu le stock, sans jeter pour autant », poursuit la jeune femme. Il y en a pour toutes les bourses, de la marque Carrefour jusqu’à Maje, en passant par Guerlain et Gucci. Les vêtements sont revendus beaucoup moins cher par l’association, qui perçoit l’entièreté de la somme.

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100 bénévoles d’Aides attendent 3000 chineurs et chineuses pendant le week-end. « La dernière édition nous a ramené 222 000 euros, entièrement reversés dans la prévention et le dépistage. Les fonds publics se réduisent, donc nous avons de plus en plus besoin de ces fonds privés », explique Adeline. « Si l’Etat ne veut pas mettre en place un dispositif, ça nous permet de lui dire : « Très bien, nous avons l’argent de côté pour le faire nous-mêmes ». Ca nous permet aussi d’être indépendant des labos » , renchérit Dagmar, coordinatrice de l’association pour un arc allant de Montreuil à Versailles et passant par toutes les villes au nord de Paris, en vendant des caleçons vert pomme.

Journées de sensibilisation

Mais des fonds, une indépendance, pour quoi faire ? En Seine-Saint-Denis, Aides dispose de trois locaux à Montreuil, Saint-Denis et Bobigny. Ancien bénévole, Mathieu, 26 ans, est désormais salarié de l’association à Saint-Denis. « On tient une permanence tous les mercredi de 18h à 21h où l’on propose un dépistage. On organise aussi des groupes de parole pour les publics qu’on cible particulièrement. Pour les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, on fait des « apéromecs » thématiques, sur le coming-out, la PREP (un médicament qui permet d’avoir des rapports non protégés sans risque d’attraper le virus) ou encore les drogues », précise Mathieu. « Il y a beaucoup plus de gays qu’on ne le croit dans le 93. Seulement, c’est parfois plus caché. Or l’isolement accentue la prise de risques. C’est pour cela qu’on organise des journées de sensibilisation. On en a fait une à Saint-Denis le 13 novembre dernier, on a mis des passages piétons aux couleurs de l’arc en ciel, et contrairement à Paris, ils n’ont pas été détériorés », raconte Mathieu.

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Mais l’association ne se contente pas d’attendre le chaland. « Avec nos camping cars, on se rend sur les lieux où la prévalence du sida est importante. Pour savoir où, on travaille avec les maires et médecins du monde. On se pose sur le parvis de la gare de Saint-Denis, rue Alfred Dreyfus, à Montreuil, Sevran Beaudottes, Noisy-le-sec etc », détaille Dagmar. « Une fois posés, grâce à Grindr, l’application de rencontres gays géolocalisées sur notre tablette, on informe les garçons dans notre périmètre qu’on est là et qu’ils peuvent venir se faire tester. Il n’y a pas de bars ou de sauna gays dans le 93, alors on se débrouille pour aller vers les populations exposées », détaille Mathieu.

Epidémie cachée

La Seine-saint-Denis est, après Paris, le département où le VIH est le plus présent. « D’abord il y a un problème de ressources de santé. Ensuite, c’est moins facile d’être homo à Saint-Denis que dans le Marais, donc, on se cache un peu, donc on est moins exposé à la prévention et à la contamination... Enfin, les populations migrantes et en grande précarité y atterrissent. Et ces populations sont contaminées la plupart du temps une fois en France. Par exemple, les femmes, sans argent et sans travail, sont hébergées par des messieurs en échange de services y compris sexuels. Comme elles sont dépendantes, elles ne sont pas en position d’exiger la capote. Et c’est aussi un département où il y a un problème « d’épidémie cachée », c’est-à-dire que les gens vivent avec le VIH sans le savoir eux-mêmes, et donc en risquant de transmettre la maladie. C’est pour cela qu’il y a un vrai enjeu à devenir visible dans le 93, à dire, sans agressivité, qu’on fait partie de la vie. Il faut qu’on parvienne à détruire les clichés », conclut Dagmar.

Elle vous invite donc demain, à profiter de la fermeture des commerces du cœur de Paris pour lutter contre l’épidémie en faisant votre shopping à la grande braderie de la mode de l’association Aides. Pour une fois, vous saurez où passe la fortune que vous dépensez pour Noël. Vos enfants ne pourront que redoubler de remerciements...

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