Autofictions, la Seine-Saint-Denis en mode sensible
Lauréate du concours photographique Territoire(s) in Seine-Saint-Denis, la plasticienne et photographe suisse Valérie Frossard affiche ses « Autofictions » à la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis à Bobigny jusqu’au 15 novembre. Une découverte poétique et humaine d’un quartier de Pierrefitte et de ses habitant·e·s. Visite commentée avec l’artiste.
Quand la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis et le In Seine-Saint-Denis, marque de territoire s’associent pour casser les clichés sur le 93, cela donne « Territoire(s) In Seine-Saint-Denis », un concours de création photographique. Lequel avait l’objectif de « donner à voir une autre image du département, en sélectionnant un·e artiste photographe qui porte un regard singulier sur ce territoire. » Et c’est la plasticienne et photographe suisse installée à Montreuil, Valérie Frossard, qui est la première lauréate avec sa série « Autofictions », un projet construit dans le cadre d’une résidence CLEA (1) menée entre 2016 et 2018 à Pierrefitte-sur-Seine. Une "aventure humaine" qu’elle nous raconte en nous commentant la genèse de cette expo et la petite histoire cachée de 5 des 15 portraits emblématiques de ses « Autofictions », à découvrir jusqu’au 15 novembre dans le hall de la MC 93 de Bobigny.
« Être une passeuse d’identités »
"Cette série intitulée « Autofictions », c’est l’adaptation d’un genre en littérature qui mêle autobiographie et fiction. Ce qui m’intéressait en mêlant photo et arts plastiques, c’était de construire un récit un peu personnel des personnes rencontrées pendant ma résidence au centre social et culturel Maroc-Châtenay-Poètes de Pierrefitte entre 2016 et 2018. Chacune des personnes s’est racontée à sa manière en se mettant en quelque sorte un masque, bien avant que ne surgisse la crise du coronavirus ! Parce que se raconter, c’est aussi se présenter un peu comme on le veut. C’est pour ça que toutes les personnes photographiées dans le cadre de cette expo "Autofictions" à la MC 93 restent anonymes, je ne donne aucun prénom. Surtout, ce que j’ai voulu faire, c’est ne pas imposer mon point de vue, en laissant un maximum de place aux personnes photographiées. Même si au départ, ils ou elles me disaient : « Je n’ai aucune idée de ce que je veux faire, en parlant avec eux, on arrivait à aboutir à une idée, à une mise en scène. En fait, l’idée de cette série de portraits, c’est d’arriver à être une passeuse d’identités et d’intensité, de raconter de cette façon un peu de la Seine-Saint-Denis. »
« Un équilibre entre deux cultures »
« Pour cette photo, on s’est débrouillés en collant ensemble des canettes de Coca, c’était très artisanal. Et l’alliance entre le tissu en wax très en vogue en Afrique et le Coca était un moyen pour la personne photographiée d’exprimer son appartenance à deux cultures, l’une très européenne et l’autre très liée à ses origines africaines. Et, cet équilibre très précaire entre ces deux cultures est donc symbolisé par cette cascade de canettes qu’elle tient en équilibre sur sa tête. »
« Toi, tu as la tête dans les nuages ! »
« Ce cliché, c’est en fait mon autoportrait. Il raconte ma rencontre avec une des femmes qui avaient rejoint ma résidence de Pierrefitte-sur-Seine. Lorsque je lui ai raconté mon projet artistique, ce que je voulais faire au sein du centre social, elle s’est exclamée : « Toi, tu es un peu dans les nuages ! » C’était un peu déconcertant et surtout surprenant parce que mon entourage a plutôt tendance à penser que j’ai les pieds bien sur terre, que j’ai une vie un peu réglée. Mais cela prouve surtout que nos identités sont multiples et qu’elles ne sont pas perçues partout de la même manière. Pour finir sur ce cliché et pour l’anecdote, le nuage qui cache mon visage est constitué d’une structure en grillage pour cages de poules et du coton dont on fait les rembourrages de coussins. »
« Un loup qui hurle dans la nuit... »
« Cette personne avait envie de me parler de sa schizophrénie, c’est pour cela qu’on a créé cette tête avec des cachets et des personnages Playmobil qui symbolisent les voix qu’elle entend régulièrement. Et puis, les post-it qui parsèment son visage symbolisent les notes qu’elle prend après chaque crise : elle écrit en fait ce que les voix lui disent. Le loup qui figure sur son pull n’a pas été choisi à dessein, c’est elle qui est venue avec le jour de la prise de vues. Mais c’est un peu symbolique de ce qu’est la schizophrénie, un loup qui hurle dans la nuit... »
« Un système D, made In Seine-Saint-Denis »
« Ce cliché raconte l’histoire d’une mère de famille rencontrée chez elle qui m’a raconté comment elle se recroquevillait parfois dans sa cuisine comme une tortue pour se protéger du monde extérieur. Lorsqu’elle ne veut pas voir certaines personnes, elle dit qu’elle se réfugie dans cette cuisine où elle aime pourtant tellement préparer à manger pour les autres. Pour jouer sur cette idée de la tortue et composer la photo, on a coupé des sortes d’écailles en carton et assemblé des cuillères avec du fil à nylon et du double-face. Cette série Autofictions, en fait, c’est beaucoup de système D et de bricolage, un peu à l’image de la Seine-Saint-Denis où les gens ont le sens de la débrouille. »
« Démolir un peu de la théorie des genres »
« Ce portrait, c’est celui d’une jeune femme qui m’a raconté sa passion pour les voitures et celle de la marque Mercedes en particulier. Avec elle, j’ai voulu jouer le contrepoint entre le pneu qu’elle tient devant son visage et les accessoires très féminins qui se glissent dans ses tresses : le vernis à ongles, la trousse de maquillage. Pour elle, ce travail photographique était une manière très forte de démolir un peu, à sa manière, la théorie des genres. De dire oui, on peut être féminine et aimer les voitures, les moteurs, la mécanique. Et comme elle le dit dans le texte qui accompagne son portrait : « Ceux qui disent le contraire sont des idiots. »
Photo de une et portrait : ©Franck Rondot
Autres : ©Valérie Frossard
(1) Contrat local d’éducation artistique, mandaté par la Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France et le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.
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