Une commémoration du 17 octobre 1961 à l’initiative du Département
Mardi 17 octobre, la MC93 de Bobigny a accueilli une table ronde sur le massacre d’Algériens perpétré par la police française le 17 octobre 1961 à Paris, sur fond de guerre d’Algérie. Une commémoration souhaitée par le Département qui annonce d’autres actions cette année autour de cet événement tragique.
« Vers le métro Bonne Nouvelle, j’ai vu des policiers qui tapaient les gens, qui tapaient partout. J’ai moi-même été sauvée par une femme qui m’a tirée sous une porte cochère et obligée à rester à l’abri. Encore aujourd’hui, je ne parle de cette date qu’à contre-coeur parce que c’est trop douloureux. » Djamila Amrane avait 27 ans le 17 octobre 1961. Comme des dizaines de milliers d’Algériens de l’époque, elle a participé à la manifestation pacifique réunie ce soir-là dans le centre de Paris à l’appel de la fédération de France du FLN (Front de libération nationale). Elle personnellement est partie de Saint-Denis, avec son bébé de 3 mois dans les bras, et une vingtaine d’autres femmes. Le but de leur mobilisation : obtenir la révocation d’un couvre-feu imposé alors à tous les Algériens, empêchés de sortir le soir entre 20h30 et 6h du matin. Une mesure raciste prise le 5 octobre par le préfet de police de Paris, Maurice Papon.
56 ans plus tard, c’est toujours la même difficulté à dire l’horreur qui submerge Djamila Amrane au moment d’évoquer l’histoire de cette manifestation réprimée dans le sang. On estime entre 150 et 200 le nombre de personnes assassinées ce jour-là. Or, si ce bilan ne fait plus guère de débat aujourd’hui, il aura toutefois fallu attendre les années 80 pour que la vérité émerge progressivement sur l’ampleur de ce massacre.
C’est pour porter la mémoire de cette journée tragique dans l’histoire de France et aussi construire plus sereinement l’avenir que le Département avait réuni mardi à la MC93 de Bobigny plusieurs acteurs : l’historien Gilles Manceron, l’actuelle présidente de l’association courneuvienne Africa Mimouna Hadjam et donc Djamila Amrane, co-fondatrice de cette même association.
Devant une assistance composée d’une cinquantaine de personnes, ils sont revenus sur l’histoire de « cette journée portée disparue », pour reprendre les termes de Gilles Manceron.
Triple occultation
Une dissimulation que cet historien attribue à plusieurs facteurs, selon le titre-même de son ouvrage « La triple occultation d’un massacre ». « Plusieurs camps avaient intérêt à cette dissimulation : le pouvoir français de l’époque bien sûr, qui organise immédiatement la censure de la presse. Certaines archives ont aussi été expurgées. Tout cela explique que le bilan officiel est très longtemps resté de 3 morts, alors qu’il s’agit en fait de la plus importante répression d’une manifestation pacifique dans toute l’histoire de l’Europe occidentale. »
Mais ce spécialiste de l’histoire de la colonisation identifiait aussi deux autres facteurs : la « faible mobilisation à l’époque des forces de gauche, et notamment du parti communiste, divisé sur la question algérienne. Et le nouveau pouvoir algérien qui avait aussi intérêt à ce que ce massacre reste dans l’ombre. Car en novembre 1962, c’est l’armée de Boumediène et Ben Bella qui s’accapare la légitimité de l’indépendance algérienne, les militants du FLN rentrant alors dans l’opposition. Et le nouveau pouvoir minore systématiquement les faits d’armes du FLN. Donc la manifestation du 17 octobre, organisée par la fédération de France du FLN, passe aux oubliettes de l’histoire. »
Parmi les acteurs qui ont finalement contribué à l’émergence de cette mémoire, il faut citer des historiens comme Jean-Luc Einaudi ou des romanciers comme Didier Daeninckx, qui en 1983 fut l’un des premiers à évoquer ce massacre du 17 octobre dans un roman noir, « Meurtres pour mémoire ». Mais la parole s’est aussi libérée grâce aux enfants des victimes ou plus globalement à la deuxième génération d’immigrés algériens.
Comme Mimouna Hadjam. Cette militante, co-fondatrice de l’association Africa avec Djamila Amrane, se souvient : « Cette date du 17 octobre et plus généralement les événements de la guerre d’Algérie faisaient l’objet d’un paradoxe dans la communauté algérienne. A la fois, ils sont très présents dans nos familles et en même temps, il y a toujours eu un silence pesant. Je me souviens par exemple qu’enfant, presque à chaque fête, il y avait ce moment où on entonnait la chanson du « Banni », de Akli Yahyaten, l’un des symboles de ce 17 octobre. Toutes les femmes se mettaient à pleurer et nous les enfants on n’y comprenait rien. Parce que nos parents voulaient nous épargner. Alors, nous, les enfants d’octobre 61, on n’a plus voulu de ces secrets, on a voulu mener cette bataille pour la revendication de notre histoire, mais en tant que Français, pas dans ce culte des martyrs de la patrie algérienne. »
A titre personnel, Mimouna Hadjam, figure de La Courneuve, lie aussi sa mobilisation autour du 17 octobre à la résurgence de violences policières dans les années 80, jamais condamnées. « Dans la cité des 4000, en l’espace de très peu de temps, 3 crimes racistes ou policiers ont eu lieu contre des jeunes d’origine maghrébine et à chaque fois il y a eu acquittement. A cette époque, le silence était assourdissant autour de ces affaires. J’ai alors eu l’impression que l’histoire se répétait et que cette fois, à l’inverse de nos parents, il était vital de parler. »
Les enfants du 17 octobre
Au fur et à mesure, des ouvrages, des films ont vu le jour : « Le Silence du Fleuve » de Mehdi Lallaoui, « Ici on noie les Algériens », de Yasmina Adi, sorti pour la commémoration du cinquantenaire. En 2002, l’association pantinoise Les Engraineurs apporte elle aussi sa pierre à cet édifice mémoriel en réalisant le documentaire « Mémoire du 17 octobre 1961 » montré à l’occasion de la table ronde. Avec toujours ce même enjeu : faire éclater la vérité du passé pour pouvoir mieux vivre l’avenir.
C’est aussi cette motivation qui animait le Département à l’heure d’organiser cette table ronde. « Si nous avons souhaité nous associer encore plus étroitement aux commémorations cette année, c’est parce que nous savons que certains habitants de notre pays ne se reconnaissent pas aujourd’hui dans le récit national. Et comment pourraient-ils s’y reconnaître si une partie de leur histoire familiale est niée ? », a souligné Stéphane Troussel, président du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. Avant d’estimer qu’il était « de la responsabilité » de son département de « porter un message mobilisateur : nous devons nous opposer aux actuelles crispations identitaires de manière à ce que tout le monde puisse trouver sa place dans la République. »
Outre cette table ronde, des parcours éducatifs et culturels seront donc menés sur la question auprès des collégiens du département. Une journée de sensibilisation pour les professeurs sera aussi organisée en partenariat avec le Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI). Enfin, une fresque de commémoration vient d’être commandée par le Département auprès de graffeurs le long du canal de Saint-Denis, l’un des lieux particulièrement marqués par la tragédie puisque c’est là que furent retrouvés de nombreux cadavres d’Algériens jetés à la Seine.
Christophe Lehousse
Photos de Une et en pied : @Georges Azenstarck / Mémoires d’Humanité - Archives départementales de la Seint-Saint-Denis
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