Une BD sonde le mal-être des instits
Dans « Cas d’école », Christophe Tardieux, alias Remedium, dresse un constat sans appel sur le malaise actuel des instituteurs et institutrices. Cet auteur de BD sait de quoi il parle : il est lui-même professeur dans une école élémentaire de Tremblay.
Quatorze histoires glaçantes, quatorze « cas d’école » qui font froid dans le dos. Dans son dernier ouvrage, l’auteur de BD Christophe Tardieux alias Remedium a choisi de rappeler le mal-être d’une profession qu’il connaît par coeur : celle d’instituteur. Et pour cause, c’est la sienne : après 11 ans passés dans diverses écoles du Blanc-Mesnil, le voici depuis 5 ans dans une école élémentaire de Tremblay.
Lui qui avait déjà puisé dans son vécu ou ses relations pour ses derniers ouvrages – comme « Les contes noirs du chien de la casse », récit aigre-doux sur la vie des cités – a donc cette fois-ci souhaité témoigner directement de sa propre profession. « Cela fait un moment que cela me trottait dans la tête, mais je ne savais pas trop comment aborder la chose, tellement j’avais de choses à dire. Ce qui a été un déclic, c’est l’affaire Jean Willot (cet enseignant qui s’était suicidé en mars 2019 à Eaubonne après avoir été accusé à tort par une mère d’élève de « violences » sur son fils, sans avoir été épaulé par sa hiérarchie, ndlr). Cette affaire me semblait contenir un peu tout ce que je voulais raconter : le rapport hiérarchique, le lien avec les parents, le sentiment d’être souvent seuls, le poids des responsabilités. »
Son histoire, qui ouvre le recueil, donne en même temps le ton à l’ensemble de l’ouvrage, factuel et simple, presque minimaliste, mais d’un constat implacable : le malaise dans la profession est profond.
Une profession qui doute
En quatorze récits désarmants, Remedium tisse ainsi le portrait d’une profession qui doute, déstabilisée par sa perte de prestige social, fatiguée par l’ampleur de tâches administratives toujours croissantes, et très souvent minée par l’absence de soutien hiérarchique quand elle se retrouve confrontée à des problèmes.
« Très vite, entre les histoires relatées par la presse, les histoires que je connaissais directement et les témoignages que j’ai pu recueillir, je me suis retrouvé avec trois fois trop de matière. J’ai essayé de « sélectionner » les récits pour montrer divers aspects : le côté ultime de la souffrance au travail, les histoires de racisme drapé en laïcité qu’il peut parfois y avoir, le mépris hiérarchique aussi... »
Il y a ainsi Annie, directrice d’école brutalement renommée enseignante remplaçante à son retour d’un cancer, Fatima, mère humiliée par un élu d’extrême droite pour avoir accompagné son enfant en sortie scolaire alors qu’elle était voilée ou… Christophe. Car l’auteur s’est inclus dans cette galerie. Et quand on lit son récit bouleversant – encore enseignant à Blanc-Mesnil, lui et sa classe s’étaient sentis abandonnés par l’administration alors qu’une de ses élèves venait d’être assassinée par son père – on comprend qu’il écrit depuis une souffrance intime.
Du reste, si six des histoires exposées émanent de Seine-Saint-Denis, ce n’est certainement pas qu’une question de proximité géographique… « Comme sur n’importe quel autre sujet, les situations sont exacerbées dans le 93. Les problèmes y sont démultipliés, parce qu’il y a un manque de moyens, on est constamment sur un fil… », regrette cet enseignant de 39 ans. Et de citer entre autres problèmes les très fréquents non-remplacements en cas d’absences de profs, les manques en matière de psychologues et de médecins scolaires…
Autant d’aberrations que dénonçait aussi Christine Renon, directrice d’école à Pantin qui s’est suicidée l’année dernière dans son école, et qui fait évidemment partie des sinistres « cas d’école » évoqués dans l’ouvrage. « Elle s’est sacrifiée pour dénoncer une évolution pernicieuse : les changements de programme incessants, le manque de moyens dans des endroits pourtant défavorisés, la paperasse toujours grandissante pour les directeurs d’école… Résultat ? Un an après, on en est toujours au même point. », déplore-t-il. Un chiffre, pour ceux qui douteraient encore que « le plus beau métier du monde » est dans la tourmente : en un an, entre les rentrées de 2018 et 2019, 58 agents de l’Education nationale se sont suicidés en France.
Pour les enfants
Dans « Cas d’école », la question du confinement/déconfinement durant la phase aigüe de Covid est elle aussi abordée, avec là encore le même sentiment d’avoir été laissés pour compte, voire pris pour cible : « à un moment donné, le ministère nous a incriminés directement en disant que si les écoles ne rouvraient pas, c’était à cause des profs. Or la très grande majorité voulait revenir mais ne le pouvait pas parce que les moyens n’étaient pas réunis : soit c’était l’espace qui manquait en raison d’un protocole drastique, soit le personnel municipal. A Tremblay en tout cas, je peux vous assurer que tous les enseignants voulaient faire leur retour, parce qu’il n’y a rien de plus frustrant que de faire cours à distance », se souvient celui qui a été heureux de retrouver tous ses élèves à la rentrée.
Justement, qu’est-ce qui le fait encore tenir, au milieu de cette dégradation de sa profession ? Il n’hésite pas longtemps : « Les enfants, bien sûr. Quand tu penses à tous les à-côtés, à ces bras de fer perpétuels avec la hiérarchie, c’est sûr que tu as envie d’arrêter. Mais face à la classe, ce sentiment s’évanouit. Après, pour beaucoup d’entre nous, ce ratio mal-être/plaisir a tendance à s’inverser. Mais bon… encore plus ici, en Seine-Saint-Denis, on se dit qu’on fait partie du lien social, qu’on est utile à quelque chose… » Un discours très similaire à celui de beaucoup de soignants, qui faisaient toutefois remarquer au plus fort de l’épidémie de Covid que le dévouement perpétuel a aussi ses limites.
- Cas d’école. Histoires d’enseignants ordinaires. Editions des Equateurs. 15 euros
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