« Les Contes noirs du chien de la casse », portrait sombre d’une jeunesse de quartier
Dans la bande dessinée « Les Contes noirs du chien de la casse », Christophe Tardieux alias Remedium dépeint en noir et blanc quelques destins d’un quartier défavorisé, inspiré de la cité des Tilleuls du Blanc-Mesnil où il a enseigné de nombreuses années.
La banlieue est très souvent racontée en film, beaucoup moins en BD. C’est le pari qu’a fait Christophe Tardieux, alias « Remedium », son nom d’auteur. Après 11 ans d’enseignement au Blanc-Mesnil, cet instituteur – désormais en poste à Tremblay – a souhaité montrer les codes de la cité façon bulles, de manière crue mais juste.
Composés de 7 histoires au noir et blanc tranchant, « Les Contes noirs du chien de la casse » déroulent ainsi sans détours les trajectoires de plusieurs personnages confrontés à la violence policière, à l’enfermement de la cité ou encore au poids des traditions. Le tout compose le portrait d’une jeunesse en difficulté, sombre mais pas dénué d’espoir ou tout au moins de tendresse. « Ces histoires m’ont surtout été inspirées par les 3 ans que j’ai passés à l’école Jean-Macé, au coeur de la cité des Tilleuls du Blanc-Mesnil... », commente Remedium. « Certains des gamins que j’y ai croisés étaient attachants, mais j’ai malheureusement dû constater que c’était dur de les tirer de leurs difficultés parce que sitôt sortis de l’école, ils étaient rattrapés par l’entourage du quartier ».
Déterminisme ou révolte
Se déroulant sur fond de cité, ces 7 « Contes noirs » sont aussi reliés entre eux par un autre fil rouge : la détermination des personnages à échapper en permanence au « mektoub », à un destin irrémédiable. « Aucun mektoub là-dedans », s’acharnent ainsi à répéter d’histoire en histoire les différents protagonistes, là où un rappeur comme Kery James dirait encore : « On n’est pas condamnés à l’échec ». Une affirmation du libre-arbitre à laquelle Remedium croit bien entendu, mais qu’il pondère par ce constat : « on part toujours du principe que tout le monde peut s’en sortir, que chacun a ses chances, mais il faut aussi dire qu’il y a un déterminisme social qui nous pousse parfois à prendre telle ou telle décision, sans même qu’on en soit conscient. »
Déterminisme ou révolte, c’est dans cet entre-deux que se débattent les héros de l’auteur, avec déjà ce dilemme proposé au personnage dès la couverture : la tentation entre le livre ou le flingue, la culture ou la violence, l’éducation ou la rue. Un peu caricatural ? « Je ne crois pas, non. Beaucoup des gamins que j’ai pu croiser avaient le désir de s’en sortir, mais ils étaient plombés par un tas de problèmes liés à l’environnement de la cité, à l’absence de modèles ou juste à l’autocensure ».
Et c’est vrai que les clichés sur la banlieue, l’auteur qui a lui-même grandi dans un quartier populaire à Bondy - « cité des Fleurs, près du stade Léo-Lagrange mais attention, c’est gentil en comparaison » - les évite plutôt bien. En témoignent les mots qu’il met dans la bouche de ses personnages, qui proposent souvent une vraie poésie du bitume. « Je ne voulais surtout pas donner à penser qu’en banlieue, on ne sait pas parler. Au contraire, pour moi, c’est là que la langue s’enrichit aujourd’hui. Avant, c’était chez les titis parisiens, aujourd’hui c’est dans les quartiers », affirme ce fan du groupe de rap « La Rumeur » ou de certains slameurs.
Au fait, pourquoi Remedium comme blaze à bulles ? « Ca vient d’une locution latine « remedium timoris » qui signifie « un remède contre la peur ». C’est le sens que je donne à la création artistique. Pour moi, c’est une manière de se soigner face à la désespérance de la vie, à la crainte de la mort. Mais ça soigne juste, ça ne guérit pas, hein », glisse l’auteur de 36 ans, dessinant un sourire sous son fin collier de barbe.
Un amour des mots allié à une passion pour le scénario. Il n’en fallait pas plus pour que Christophe Tardieux se lance dès son plus jeune âge dans la BD. Et comme sa prise de fonctions comme instituteur en 2005 coïncide avec l’explosion des émeutes en banlieue, cet autodidacte choisit rapidement la BD engagée. Son premier gros travail, « Obsidion » sera une chronique sans concessions des « mensonges et contre-vérités » affirmés au sujet des émeutes par certains politiques et médias.
Des enfants à valoriser
Le regard acéré, il fait lui toujours la même analyse au sujet des banlieues, souffrant à son avis d’un « abandon délibéré de nombreux pouvoirs publics ». « Depuis 2005, ça n’a fait qu’empirer : quand on voit qu’il y a une justice à deux vitesses, des politiques de la ville qui arrivent bien trop tard, une police défaillante dans certains quartiers, on se dit qu’aucune leçon n’a été tirée de ces émeutes. Dans le domaine de l’éducation qui me tient particulièrement à coeur, certaines écoles du 93 sont moins bien dotées que certaines écoles parisiennes, quand l’urgence sociale y est bien plus grande. Vous trouvez ça normal ? »
Alors pour ne pas être gagné par le sentiment d’impuissance ou cette fameuse « timoris », Remedium s’en remet comme toujours à la BD, mais cette fois avec ses élèves. « Quand je suis arrivé aux Tilleuls, j’ai été frappé par le manque d’ambition des enfants : à 7-8 ans, ils étaient déjà blasés. Quand on leur demandait ce qu’ils voulaient faire plus grands, ils n’osaient pas dire « vétérinaire, médecin, policier ». A les entendre, ce n’étaient pas des métiers pour eux. Alors, l’idée m’est venue de les faire travailler sur une BD, pour faire appel à leur créativité, restaurer leur confiance en eux », raconte-t-il. « Pour certains, ça a marché. Avec l’émulation, ils arrivaient à faire des choses formidables et pour une fois ils se sentaient valorisés ». Oui, aucun mektoub là-dedans, il faut juste avoir les bons profs, et les moyens qui vont avec…
Photos : @Jean-Luc Luyssen
– « Les Contes noirs du chien de la casse », sortie septembre 2017, édition Des ronds dans l’O, 15 euros
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