Street-Art Hip hop

Thierry Grone, l’archiviste du graffiti

Le graff, Thierry Grone est tombé dedans quand il était petit. Cet habitant de Saint-Denis vient de publier un beau dictionnaire sur cet art de la rue, rebelle et éphémère. Son ouvrage donne la parole à une centaine de graffeurs de toute la France. Portrait.

A 38 ans, Thierry Grone vient de publier son « Dicograff, un monde du graffiti de A à Z ». D’"adrénaline", "anonymat", jusqu’à "zonard" et Zulu Nation en passant par les noms des différents dépôts de trains et les différentes pièces des bombes de peinture, un lexique de la discipline underground débute ce voyage dans le monde du graff.

Puis, sur du beau papier glacé, explosent couleurs et formes. Thierry Grone présente cinq graffeurs par lettre de l’alphabet, soit par les photos de leurs œuvres immortalisées sur les murs, soit par de petites interviews restituant leur parcours et leur vision de cet art. Parmi eux, des graffeurs du 93 bien sûr (voir encadré), mais aussi Reso de Toulouse, ou Gris 1 de Marseille. L’archiviste du graffiti a mis une dizaine d’années à récolter les documents qui font du Dicograff la fresque historique du volet graphique du hip-hop.

L’"Essunivers"

« Le hip-hop est ma compagne, elle m’a accompagné, fait grandir, m’a trompé, trahi, est revenue, mais ne m’a jamais lâché », improvise le passionné. Son histoire commence en bas des tours de la Grande Borne, à Grigny, au bas desquelles il ne peut repasser sans un pincement au cœur. « C’est là que j’ai fondé ma première association, « Verbal Connexion », l’année de ma majorité. C’était un moyen d’obtenir une salle pour faire du rap avec mes potes », se souvient-il.

La musique scandée n’étant pas son fort, il devient bientôt manager des fameux potes, organise des concerts, des festivals, et, surtout, lance « l’Essunivers », un magazine sur la scène hip-hop dans le 91. Et commence à faire des interviews de graffeurs, de rappeurs, de danseurs.

Missions

« Mes potes me racontaient leurs missions graff. Ils disaient que c’était dommage qu’il n’y ait pas de photos ou de films pour un art par définition éphémère. Moi j’avais un appareil photo, je leur ai dit que je voulais bien le faire. Mais je ne pouvais pas aller la nuit dans les tunnels, mes grands frères m’auraient tué ! », poursuit le compagnon de route. Après un DESS « projet culturel » et une thèse sur les cultures urbaines à l’université de Créteil, il se lance dans son grand oeuvre sur le graff en 2003.

« Les employeurs m’ont toujours mis dans la case hip-hop. Et comme celui-ci dépend toujours des services jeunesse, plus que des services culturels... Je suis devenu directeur de structures jeunesse, à Morsang-sur-Orges, puis Epinay et La Courneuve », regrette celui qui a migré à Saint-Denis il y a huit ans. Il y a organisé les deux éditions du festival « Banlieusard, et alors ? », qui mixait des concerts de rap, des expositions de graffitis, mais aussi des masterclass ou des réalisations de court-métrages sur les villes d’Aubervilliers, Saint-Denis et La Courneuve. « Nous avions accueilli Youssoupha la première année, et Sexion d’assaut et Dry la seconde », peut s’enorgueillir Thierry.

Ramène ta pizza

« J’ai eu trop d’idées », se désole l’hyperactif qui a eu son label de musique, managé Swift Gad, organisé sept ou huit expositions. La dernière, au 6B, s’intitulait « Ramène ta pizza ». Elle consistait à présenter des boîtes de pizzas décorées par les graffeurs. Ou encore « Home street home », qui proposait des ustensiles de cuisine eux aussi customisés par des artistes de la bombe. Cet amoureux des cultures urbaines a aussi scénarisé la websérie « Qui met le coco » dont la troisième saison sera disponible sur OKLM radio, la radio de Booba. Il a désormais l’ambition de publier deux livres sur le graff par an grâce à sa maison d’édition « Pas vu, pas pris ».

La Seine-Saint-Denis assure grave dans le graff

Arnak93, Relax, Marko93, Swen… Sur une centaine de graffeurs interviewés dans le Dicograff de Thierry Grone, ils sont une bonne poignée à être originaires de Seine-Saint-Denis ou à avoir choisi le 93 pour terrain de jeu principal. Pour la majorité d’entre eux, ils ont commencé tôt, à l’époque du collège et souvent en autodidactes.
Leurs motivations ? Le graffiti comme contre-culture, mais aussi souvent comme expression d’une créativité. « Pour moi, le graffiti est une culture qui m’a aidé à m’orienter, j’ai grandi avec. Il te dirige vers d’autres choses car il s’est énormément démocratisé », témoigne par exemple Kzper, graffeur qui a arpenté Saint-Denis de long en large pendant 10 ans. D’autres, comme Relax, originaire de Sevran, le comparent même à un sport : « Quand je rentrais dans le quartier, les mecs me regardaient avec des gros yeux, du genre « il perd son temps ». Mais pour moi, le graff c’est un sport ! » Dans un monde très masculin, la Seine-Saint-Denis peut même s’enorgueillir de compter une des rares graffeuses femme : Lady K. Aussi à l’aise dans l’art du tag – bomber son pseudo au moyen de lettrages élaborés – que dans celui des fresques à thème, cette jeune femme a même fait les Beaux-Arts. Balayant toute la France, le Dicograff donne en tout cas largement la parole à la scène du graff dans le 93, comblant ainsi le souhait du Séquanodionysien Swen : « Des regrets ? Peut-être de ne pas avoir pris de photos. Il n’y avait pas cette notion d’archives (…) Pas de stratégie, juste du graffiti. » Avec le Dicograff, voilà cet oubli réparé.

CL

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