« Swagger » d’Aulnay à Cannes
Invité au départ en 2012 au collège Claude-Debussy d’Aulnay-sous-Bois pour y animer des ateliers cinéma, le réalisateur Olivier Babinet y a prolongé son séjour pendant 3 ans et choisi de consacrer un docu-fiction aux élèves du lieu. « Swagger » a été présenté samedi 14 mai à Cannes, dont Babinet a monté les marches avec les protagonistes du film. Interview.
@SIPA
Pourquoi avoir voulu consacrer un film à ces collégiens d’Aulnay-sous-Bois ?
« C’est simple : j’ai vraiment eu un coup de coeur pour ces jeunes, ils m’ont touché, j’aimais bien le contact qu’on avait ensemble. Initialement, je suis arrivé au collège Claude-Debussy en 2012 pour y travailler avec des collégiens sur le film fantastique. Et puis, de fil en aiguille, les projets se sont enchaînés. Je suis ensuite resté en résidence là-bas pendant un an à l’initiative du Conseil départemental. Et là, tout à coup, je me suis dit que je voulais montrer qui étaient ces jeunes dont on parle souvent dans des termes méprisants alors qu’ils sont tout l’inverse. Je voulais faire un film où ils aient la parole et où moi et mes fantasmes de réalisateur passeraient ensuite. Et ça a donné Swagger. »
Qu’est-ce qui vous a touché chez eux ?
« Tout. Je me retrouvais à la fois chez eux à leur âge et en même temps je voyais certaines différences. Je me suis rappelé à quel point j’étais révolté à leur âge et je suis arrivé avec l’idée que si moi je l’avais été, eux avaient encore plus de raisons de l’être, du fait de certaines difficultés sociales. Et en fait non… Ils ont des indignations bien sûr, mais ils ont surtout l’envie de tracer leur route, comme ils disent. C’est ça que j’avais envie de montrer. »
Votre film s’intitule « Swagger ». Pourquoi ? Avoir le swag est une de leurs préoccupations ?
« Non. Je dirais que c’est plus un clin d’oeil. J’ai donné ce titre au documentaire parce que quand je suis arrivé au collège, c’est quelque chose que j’entendais beaucoup. « Lui, il a trop le swag, ou c’est un swagger ». Pour faire vite, ça veut dire quelque chose comme : avoir la classe ou avoir du style. Ironiquement, quand j’ai voulu donner ce titre au film, trois années avaient passé et les jeunes m’ont dit : « mais Monsieur, ça se dit plus depuis longtemps ça… Maintenant on dit swaggologue. » Je me suis amusé à faire des recherches et j’ai découvert que la première occurrence du mot est chez Shakespeare, qui utilise le mot comme synonyme de « fanfarons ». je me suis dit que ça faisait sens par rapport à leur volonté d’exister vis-à-vis de Paris, qui est la capitale détestée ou fantasmée depuis la banlieue. »
Devant votre caméra, les ados se livrent beaucoup et on sait que ce n’est facile pour aucun jeune. Comment les avez-vous convaincus de parler d’eux, de leurs envies, de leurs préoccupations ?
« Moi aussi ça m’a étonné qu’ils acceptent finalement de se livrer autant. Ca m’a vraiment touché qu’il m’accorde autant leur confiance. Pour le tournage, on a essayé de ne jamais faire de casting, de prendre vraiment tous ceux qui voulaient. On avait déjà procédé de la sorte pour un clip que j’avais tourné dans ce même collège en 2013, « Life on Earth » (sur une musique de Jean-Benoît Dunckel, qui signe aussi la BO de « Swagger , ndlr) ». Ensuite, on leur a expliqué qu’on voulait les amener à se confier pendant 6h, seuls, face à deux caméras, sur leurs rêves, leurs ambitions. Forcément, à ce stade, certains étaient déjà moins partants. Au final, on a quand même eu 11 volontaires qui ont accepté de jouer le jeu à fond. »
Qu’est-ce qu’ils disent d’eux-mêmes ?
« Des choses très sincères, très directes, dures parfois. Certains ont des situations familiales compliquées, d’autres parlent du racisme qu’ils ont subi. Mais on n’est pas non plus dans le misérabilisme, loin de là : tous ont envie d’aller de l’avant, de vivre leur vie. Régis par exemple, l’un des protagonistes du film, ne vit que pour le monde de la mode. Il veut absolument devenir styliste et est super débrouillard : depuis qu’il est en 4e, il se fait des faux CV pour pouvoir entrer à la fashion-week, il a des photos de lui avec Kim Kardashian. On sent véritablement sa passion. Et puis, on n’est pas non plus dans l’angélisme : sur le chapitre racisme, eux-mêmes donnent parfois dans les discriminations, en ayant des propos extrêmement durs sur les Roms, dont un camp existait juste à côté du collège. C’est un portrait de la jeunesse quoi. »
Comment les jeunes ont-ils accueilli le film quand vous le leur avez projeté pour la première fois ?
« Là encore, c’était émouvant. Ils se sont marrés aux moments drôles et à d’autres qui l’étaient moins. Mais ce qui était bien, c’est qu’ils n’ont jamais ri aux moments vraiment durs. Ils ont eu un respect de ce que l’autre racontait à l’écran. En fait, j’ai ressenti qu’une communauté s’était formée autour du film. Les protagonistes de ce documentaire sont tous très différents : ils n’ont pas forcément la même religion, les mêmes origines, les mêmes envies, mais on sentait que tous, ils partageaient le fait d’avoir osé se confier, donner leur témoignage. Une autre réaction, celle d’un habitant d’Aulnay, m’a aussi plu. Il m’a dit que ce qui était touchant, c’est que le film montrait que ce n’est pas parce qu’on grandit en cité qu’on ne peut pas avoir des rêves. De fait, un des jeunes du film veut devenir président de la République. »
Est-ce que le tournage leur a aussi rendu le monde du cinéma plus accessible ?
« Je pense, oui. En tout cas, ils ont vu que le cinéma, ce n’était pas que du rêve, mais aussi des métiers très concrets. Leur évolution face au monde du cinéma a d’ailleurs été intéressante. Au départ, ils venaient me voir en pensant que j’étais Spielberg et ils voulaient tous être acteurs. Moi je me suis toujours efforcé de les démystifier un peu, de leur montrer que le cinéma, c’était souvent tout autre chose que paillettes et compagnie. Et puis, la rencontre avec l’équipe de tournage a été formidable. Beaucoup ont tout de suite accroché avec différents métiers. Nazario, qui apparaît dans le film, voulait toujours aider les machinos à porter les lumières. Et Aïssatou, une autre élève du film, restait avec moi pour voir les faux raccords. Pour ceux qui étaient intéressés, on a essayé de leur trouver des stages, c’est la moindre des choses. Pour certains, ça a marché : par exemple, j’ai eu récemment des nouvelles d’une élève qui avait flashé sur les ateliers de Stop motion que j’avais organisés. Elle m’a dit qu’elle venait d’entrer aux ateliers de Sèvres (école de cinéma d’animation, ndlr). Ca, ce sont des nouvelles qui font vraiment plaisir. »
Propos recueillis par Christophe Lehousse
N.B : Présenté au festival de Cannes dans le cadre de la sélection ACID, la date de sortie de « Swagger » n’est pas encore connue.
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