Reconquérir une dignité perdue grâce au karaté
Depuis mars 2018, l’association Fight For Dignity (combat pour la dignité) propose des séances de karaté aux femmes victimes de violence, qui sont accueillies à la Maison des femmes, à Saint-Denis.
Ce jeudi d’octobre, elles sont quatre à enfiler le kimono et la ceinture blanche. Quatre femmes âgées de 27 à 43 ans ont choisi de rejoindre le cours de karaté proposé par l’association Fight for dignity. La séance a lieu au gymnase de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis. Juste à côté s’élève le bâtiment aux couleurs vives et rassurantes de la Maison des femmes. Cette structure unique en son genre, fondée par Ghada Hatem, accueille depuis 2016 les femmes victimes de violences psychologiques et physiques. Dans leur parcours de soin et de reconstruction, en fonction de leur santé et de leur histoire, médecins ou sages-femmes leur proposent de participer à des groupes de paroles, des ateliers de théâtre, de danse ou de karaté…

Se réapproprier son corps
Depuis mars 2018, Fight for dignity, fondée par Laurence Fischer, triple championne du monde de karaté, propose un programme accessible et adapté à ces femmes victimes de violence. D’abord initiée en République Démocratique du Congo, avec le soutien du docteur Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes », l’association met en pratique son expérience à Saint-Denis. Objectif : permettre aux femmes meurtries de retrouver une estime d’elle même en se réappropriant leur corps car le sport participe à retrouver une dignité perdue. « La plupart de ces femmes n’ont jamais fait de sport, explique Cécile Giornelli, la professeure de karaté. Chacune arrive avec son histoire dont je ne sais rien, mais on n’est pas là pour parler de ce qu’elles ont vécu mais pour qu’elles ressentent leur corps. C’est un moment pour elles, rempli de bienveillance où elles peuvent se relâcher, se détendre. Lors d’un exercice de respiration, une dame m’a dit je prends mes problèmes et je les balance ».

La séance d’1h30 débute par des échauffements. On trottine, on s’étire. Les participantes font ensuite des exercices de respiration et de posture. « Au karaté, on doit être vertical.e, c’est la base », souligne Cécile. Etre vertical.e pour pratiquer ce sport, c’est aussi adopter une nouvelle posture dans sa vie quotidienne avec des épaules relâchées et le regard droit. C’est l’inverse de la posture de la victime qui se courbe et baisse les yeux. Une fois cette posture adoptée et le souffle maîtrisé, c’est le moment de pratiquer du karaté pur. Les femmes donnent des coups de poing, d’abord dans le vide puis contre des cibles. Elles accompagnent ce mouvement d’un « kiaï », un cri qui témoigne que toute l’énergie du corps est mise dans le coup porté. Le coup de poing et le cri sont libérateurs « même si ici nous ne sommes pas dans une pratique où on va apprendre aux femmes à se défendre contre un agresseur », souligne Sabine Salmon, la directrice de Fight for dignity. Notre objectif c’est de rendre accessible le sport à des femmes victimes de violence et de démontrer que le sport agit positivement dans leur parcours de reconstruction. Cela passe donc par tout ce travail sur la respiration, la posture et la relaxation ».
"Ça libère de crier"
Après la séance, celles qui le souhaitent rejoignent la Maison des femmes pour partager un goûter et son ressenti. La professeure les félicite pour leur « grande implication ». « Le kiaï, ce cri, vous avez osé le faire, bravo ! Une très belle énergie se dégage de ce cours », se réjouit Cécile Giornelli. Les réactions sont instantanées. « C’est la rage qui nous fait ça parce qu’on s’est tellement fait frapper par les hommes qu’on a la rage. Ça sort, on évacue, on en a besoin, ça libère de crier », s’exclame cette dame pourtant si discrète depuis le début du cours. « J’ai commencé le karaté en septembre, poursuit-elle, après la séance je me sens mieux. Cela me procure un bien-être et je sais que jeudi prochain mon corps va me redemander de venir ». La pratique sportive développe des endorphines, alors le corps en redemande et tant mieux. « On transforme la fatigue réelle, la mauvaise fatigue en bonne fatigue, c’est la vertu du sport. On améliore aussi le sommeil, c’est un cercle vertueux », souligne la professeure.
"J’oublie tout ce qui est stress"
Certaines rangent leur ceinture blanche de karaté au fond de leur sac à main, d’autres la laissent sur place, préférant sans doute garder secrète cette pratique sportive. Qu’importe, l’essentiel est qu’elles repartent « légères » comme le glisse une jeune participante avant de s’en aller. « C’était mon deuxième cours, ici j’oublie tout ce qui est stress, je suis bien »…
Photos @ Géraldine Arasteanu
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