Le docteur Mukwege récompensé du Prix Nobel de la Paix
Le docteur congolais Denis Mukwege a reçu vendredi 5 octobre le Prix Nobel de la Paix, en compagnie de la Yezidie Nadia Murad. En mars 2016, ce spécialiste de la chirurgie réparatrice pour les femmes victimes de viol avait été invité par l’Observatoire départemental des violences envers les femmes à Bobigny pour témoigner de son expérience.
En République démocratique du Congo, le gynécologue Denis Mukwege est venu en aide à des milliers de femmes victimes de viol au cours de la guerre qui faisait rage au Sud-Kivu.
Qui êtes-vous, Docteur Mukwege ?
"De formation je suis gynécologue obstétricien. J’ai fait mes études à Angers. J’ai décidé de cette carrière après avoir constaté que les femmes de mon pays mourraient en donnant naissance à leur enfant."
Comment êtes-vous devenu « l’homme qui répare les femmes » ?
"En 1999, je découvre pour la première fois une femme qui a été violée avec une extrême violence. Elle avait de multiples fractures au niveau du bassin mais également son appareil génital était en lambeaux. Cela faisait quinze ans que j’étais gynécologue obstétricien dans la région et je n’avais jamais vu une chose pareille."
Qu’avez-vous pensé alors ?
"Que j’étais devant un drame commis par un fou. Trois mois après, 45 femmes que je soigne me racontent presque la même histoire : « J’étais chez moi. Des hommes en armes m’ont violée et après m’avoir violée ils ont introduit dans mon appareil génital un fusil, une baïonnette, un morceau de bois etc… » Aujourd’hui nous avons pris en charge médicalement 40 000 femmes avec des histoires similaires."
Vous appelez ces femmes des survivantes…
"Dès que cela arrive il y a une destruction de l’identité, une perte de l’identité. Souvent ces victimes nous disent : « Moi je ne suis plus une femme. » « Moi je ne sais pas pourquoi je suis née. » Les souffrances ne sont pas seulement physiques mais psychologiques. On amène ces femmes à devenir des survivantes. Elles deviennent même de véritables militantes des droits de l’Homme."
Vous demandez qu’un relevé d’ADN soit fait sur les victimes de viol désormais.
"Aujourd’hui on ignore si ceux qui commettent ces viols sont 10 ou 1 000. Avec une banque ADN, on pourrait tracer les bourreaux. Notre doléance est aussi d’obtenir un tribunal pénal international pour juger les crimes commis. Notre défi est de briser le silence comme vous le faîtes en Seine-Saint-Denis avec l’Observatoire des violences envers les femmes. Félicitations à ce Département de permettre aux gens de savoir : si ça se commet, ça se saura."
Même dans les pays en paix, de nombreuses femmes sont victimes de viol.
Je regardais hier les statistiques en France. 83 000 femmes violées en France. Une femme tuée par son partenaire tous les trois jours. Nous n’acceptons pas la femme comme un humain, nous la traitons comme un objet. Comment continuer à considérer que nous sommes un monde civilisé ? Tous les hommes devraient s’engager et pas seulement les féministes. Parce que c’est inacceptable."
Est-ce un combat universel que vous menez ?
"Nous n’avons pas intégré l’égalité entre homme et femme. Pourtant c’est la seule solution pour notre humanité. Les viols avec extrême violence commis en temps de conflit sont le résultat de ce qui se vit dans nos sociétés sous forme latente. C’est pour cela que le combat devient universel."
Interview réalisée en mars 2016 par Isabelle Lopez
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