Par ici les concerts cultes !
Sa proximité avec la capitale et son statut de banlieue populaire où la culture se devait d’être aussi accessible qu’exigeante ont fait de la Seine-Saint-Denis une terre de concerts exceptionnels. Plongée au cœur de quelques moments d’anthologie !
Des Pink Floyd à la Grande Nef de l’Île-des- Vannes à Saint-Ouen en 1972 à Beyoncé et Jay Z au Stade de France en 2018, il y a 46 ans d’histoire de la banlieue rouge de Paris qui défilent entre ces deux dates et lieux. Mais un point commun relie ces événements : des stars mondiales ont fait leur show en Seine-Saint-Denis et laissé des souvenirs indélébiles aux fans venus en voisins ou des quatre coins de France.
Le secret de notre territoire pour détenir ce record des concerts incroyables ne réside pas seulement dans le fait d’abriter sur son sol des structures hors du commun. Ses nombreux festivals à résonance internationale et des politiques culturelles ambitieuses ont créé les conditions d’un tel foisonnement menant à des moments de grâce.
Pour certain·e·s, le réveillon de Noël ne rime pas avec fête ou retrouvailles familiales : Africolor a eu la bonne idée de clôturer son festival les 24 décembre. C’est ainsi qu’une Nuit mandingue mit le feu au public et réchauffa bien des cœurs et des corps enfiévrés par la danse et la musique africaine à la fin des années 80.
La MC93 à Bobigny se souvient encore de ses propres fièvres : celles de Nuits du raï organisées en janvier 1986. L’enthousiasme et la ferveur étaient tels que les passant·e·s entendaient les cris de joie jusqu’à dans les rues alentour, les décibels de bonheur s’échappant du chaudron de musique maghrébine qu’était devenue cette grande scène nationale.
The Genius à Sevran
Et puis comment ne pas évoquer Banlieues Bleues ? De Michel Petrucciani (le premier concert en 1984) à Miles Davis, de Nina Simone à Miriam Makeba, ses 39 éditions en ont vu passer des légendes ! En juillet 1987, c’est la ville de Sevran qui, en toute simplicité, recevait... The Genius, aka Ray Charles, pour un spectacle inoubliable ! Une icône qui joue un récital digne du Carnegie Hall à New York pour le prix d’un ticket de cinéma sur les Champs-Élysées : la Seine-Saint-Denis, c’est aussi ça !
Des nonnes et des coussins
Et quel autre grand festival de musique classique que celui de Saint-Denis pouvait réunir dans le trésor architectural où est né l’art gothique un chœur de nonnes polonaises, un ensemble arabo-andalou et la chanteuse transgenre israélienne Dana International, gagnante de l’Eurovision ?!
En 2002, la création de Goran Bregovic Mon cœur est devenu tolérant sur la réconciliation entre les trois grandes religions monothéistes, avec son Orchestre des mariages et enterrements, avait créé une ambiance telle que, à la fin du concert, le public lançait les coussins en l’air dans la basilique... Du jamais vu de mémoire royale !
Et vous ? Quel est votre meilleur souvenir de concert en Seine-Saint-Denis ?
Merci à Sylvie Dorr et Georges Makowski pour leurs souvenirs de concerts en Seine-Saint-Denis
La Courneuve, cœur battant de concerts mythiques !
De 1960 à 1965 puis de 1971 à 2021, La Courneuve aura été l’écrin de concerts mythiques grâce à la Fête de l’Humanité. En 1979, le groupe qui fait sensation s’appelle Téléphone. Ces trublions décident de monter sur scène en portant les masques des figures politiques du moment : Marchais, Chirac, Giscard et Mitterrand. Scandale assuré et concert rentré dans l’histoire du rock français !
Du parc des sports en passant par le parc départemental pour se conclure à l’Aire des vents, la Fête de l’Huma aura présenté les plus grands artistes de chaque époque et fait vibrer le public pour une poignée de francs ou d’euros, le prix de la vignette d’entrée. Jean Ferrat, Joan Baez, Chuck Berry, Bernard Lavilliers en duo avec Léo Ferré, Johnny Clegg... pour ne retenir que quelques noms d’une liste aussi monumentale que la foule au pied de sa grande scène.
Qu’il s’agisse d’artistes engagé·e·s ou de têtes d’affiches du moment, la diversité de la programmation aura permis à des millions de personnes de communier en musique lors de concerts devenus cultes pour nombre d’entre elles !
Le Stade de France, nouvel antre de concerts cultes !
Betty Sotot est fan de pop et rock depuis son enfance. Ado, elle tapissait déjà les murs de sa chambre de posters de groupes de hard rock comme AC DC ou Metallica sous les yeux ahuris et désarçonnés de ses parents qui ne comprenaient d’où venait cette passion pour cette musique tellement éloignée de leurs goûts.
Des concerts, Betty en a vu des dizaines "sans doute une centaine !" estime-t-elle, en région parisienne mais pas seulement. En 2009 elle puise dans ses économies pour réserver un billet et assister au grand come back de Michael Jackson à Londres. Hélas le King of pop décède subitement et ne remontera jamais sur scène.
Son souvenir le plus marquant ? La première fois qu’elle découvre Elton John à Paris dans les années 80, quand elle peut enfin écouter en chair et en os une des idoles qu’elle admire tant avec un récital "good vibes" dont Sir Elton a le secret !
Betty est dionysienne depuis 1973. Alors quand en 1998 le Stade de France sort de terre, elle est aux premières loges. 25 juillet, le SDF accueille son premier spectacle avec l’affiche la plus rock qu’il soit : les Rolling Stones ! Évidemment Betty vibre à l’unisson des champions du monde qui ont foulé cette même pelouse deux semaines auparavant.
Ce sont donc "Les pierres qui roulent" qui ont les honneurs de l’inauguration pour le volet scène musicale au grand damne de Johnny Hallyday qui malgré son statut chanteur le plus populaire de France devra attendre septembre pour rugir sur scène.
En fanatique de rock absolue, Betty a bien sûr vu "les Stones" plusieurs fois dans différents lieux mais pour elle, c’est au SDF que la magie fut la plus forte.
"Le Stade est magnifique et tout y est plus grand. La scène et les écrans sont gigantesques ! Peu importe que vous soyez installé sur la pelouse ou dans les gradins, vous ne pouvez manquer aucun des déhanchements de Mick !" s’amuse-t-elle. En plus, lors de cette soirée de juillet 98, l’artiste qui assure la première partie n’est autre que Jean-Louis Aubert. Or Téléphone avait déjà ouvert pour les Stones en 1982. Un vrai clin d’œil pour les fans de ces groupes respectifs. "Quand Aubert est arrivé sur scène avec un maillot de l’équipe de France à la main ce fut le délire dans le Stade ! En grande forme, il électrise la foule. Et puis le concert des Stones qui suit est phénoménal comme d’habitude ; déluge de son, de fumée, de lumière et le grand final avec confettis et feu d’artifice !" se souvient Betty.
24 ans après, elle a encore de l’émotion dans les yeux quand elle raconte ce moment. Mylène Farmer, Bruce Springsteen, George Michael, Depeche Mode, U2, Madonna, Paul McCartney... toutes les stars françaises ou internationales d’envergure s’y sont produites durant les deux dernières décennies imposant le Stade de France comme une place incontournable de concerts cultes !
Et le rap dans tout ça ?
Quand le rap a déferlé sur l’Hexagone aux débuts des années 80, la Seine-Saint-Denis était aux premières loges
Dès 1982, le New York City Rap Tour, rassemblant les rappeurs américains à succès, fait escale au Bataclan... et à l’hippodrome de la Porte de Pantin. Ni parlé, ni chanté, le rap, issu des quartiers populaires américains, parle aux banlieues françaises. Le concert fait salle comble. Mais c’est l’année 1984 qui fera date dans l’histoire du hip-hop. De janvier à décembre, l’émission H.I.P H.O.P animée par Sidney, popularise à grande échelle le mouvement hip-hop en donnant à voir un style de danse, de vêtements, d’art, de graffiti, et de musique. Même Pif Gadget offre aux moutards une « casquette de smurfers ». « Cette émission a été le vecteur qui a fait passer le hip-hop d’une avant-garde culturelle à la jeunesse populaire », explique Louis Jésu, auteur d’une thèse sur l’ancrage du hip-hop dans les quartiers populaires.
Après décembre 1984, le hip-hop disparaît totalement des médias main-stream. Pourtant, dans les halls d’escaliers, dans les centres commerciaux, aux Halles, les jeunes banlieusards répètent inlassablement les gestes « vus à la télé », s’entraînent, adaptent, innovent. Sur la friche de La Chapelle, DJ Dee Nasty animateur sur une radio pirate, organise des « Block Party » réunissant des graffeurs, des danseurs et des rappeurs, bien souvent venus, en RER B, de la banlieue nord. Parmi eux, les jeunes Kool Shen et Joey Starr.
Le rap réémerge sur la scène médiatique dans les années 1990 avec la sortie de la compile Rapattitude, où figurent notamment les titres de Suprême NTM, de Saint-Denis, et de Tonton David, de Bobigny. L’album fait un tabac. Trois dates de concert d’NTM* sont programmées le 26, 27 et 28 octobre 1990. Bien que les concerts se finissent dans des ambiances apocalyptiques (lire témoignage ci-dessous), force est de constater que quelque chose se passe. « Personne n’avait pris la mesure de l’ampleur du phénomène », concède Alex Monville. Il est l’un des jeunes animateurs socio-culturels qui s’emparent du sujet dans les villes de la banlieue « rouge ». Il officie en tant que chargé des pratiques culturelles de la jeunesse à Bobigny, un cas d’école. « En faisant le tour du quartier, pour sonder les envies et les besoins, on se rend compte que tous les jeunes veulent faire du hip-hop. Nous avons alors produit une compile avec les jeunes. On encourageait chaque quartier à fonder son association, et on voulait transformer les bagarres de cités en défis artistiques. »
En mai 1996, les jeunes du Consortium Paul-Eluard, une des associations de quartier, veulent monter un festival. En juin, XXL Performance est sur pied : Menelik, un enfant du quartier, auteur du tube Quelle aventure en 1993, enflamme la fosse tandis qu’Abd Al Malik, jeune rappeur strasbourgeois, y fait une de ses premières scènes. « Pendant les années Mitterrand, l’État finance massivement les activités culturelles. Jack Lang est même surnommé « le ministre du hip-hop », il y a une véritable volonté de promouvoir ce qu’on va progressivement appeler les musiques actuelles. Les villes de banlieue programment des cafés musique, qui vont progressivement se transformer en salles de concert, telles que Le Cap à Aulnay, Canal 93 à Bobigny, ou Le Deux Pièces Cuisine à Blanc-Mesnil, La Pêche à Montreuil », détaille Séverin Guillard, doctorant en géographie, qui prépare une thèse sur « La ville au prisme du rap : représentations et pratiques des espaces urbains dans les scènes locales en France et aux Etats-Unis ».
Lire l’intégralité de cet article sur la culture Hip hop en France ici
Remerciements aux partenaires pour l’article et crédits photos :
Illustrations
Festival de Saint-Denis.
Affiche du Festival Africolor de 1989 (crédits Quentin Bertoux / JM Courreye).
Service des archives de la ville de Bobigny.
Service des archives de la ville de Sevran.
Corine Marienneau du groupe Téléphone, en concert à la Fête de l’Humanité. La Courneuve, 08 septembre 1979.
Gauthier Gil/Mémoires d’Humanité/Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (83Fi/725 3).
Fête de l’Humanité : Jean Ferrat sur la grande scène de la Fête de l’Humanité lors de son concert. La Courneuve, septembre 1972.
Jean Texier/Mémoires d’Humanité/Archives départementales de la Seine-Saint-Denis ( 97FI/720058 B1, 97FI/720058 B4).
Vue depuis la grande scène de la fête de l’Humanité de la foule rassemblée lors du concert de Chuck Berry à La Courneuve, 8-9 septembre 1973.
Mémoires d’Humanité/Mémoires d’Humanité/Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (98FI/900464 5).
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