Moi, John, 19 ans, ex-mineur non accompagné
En proposant à 300 mineurs non accompagnés (MNA) des contrats jeunes majeurs une fois leur majorité atteinte, le Département de la Seine-Saint-Denis poursuit sa mobilisation en faveur de la protection de l’enfance.
John a 19 ans. Il vient de Sierra Leone. Ce mardi 21 mai, il est à Bobigny pour signer son troisième contrat jeune majeur avec les services de l’Ase (Aide sociale à l’enfance). Il arrive dans les locaux du Conseil départemental, accompagné par Bruno, son éducateur. Il est partant pour raconter son histoire, lui qui désormais étudie la plomberie dans un CFA de Saint-Denis, travaille pour une entreprise de Romainville et est suivi par l’association En Temps installée à Montreuil.
Costume bleu marine, mallette sous le bras, John sort de son cartable le trophée qu’on vient de lui remettre quelques jours auparavant pour avoir remporté le premier prix national de l’Avant-scène. Un concours de théâtre destiné aux apprentis où John a excellé en drôlerie et disponible sur YouTube.
Stéphane Troussel, président du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, l’écoute attentivement. « Je suis venu ici le 5 avril 2017. Comme je suis mineur, je suis pris en charge par l’Ase. Quand je suis arrivé, je ne savais pas dire bonjour, maintenant je veux dire merci » (ndr : la Sierra Leone est un pays anglophone).
Victime de persécutions, John fuit son pays précipitamment pour sauver sa vie. En arrivant à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, il n’a aucun papier d’identité sur lui. En zone d’attente, il demande l’asile afin d’être reconnu comme réfugié. Comme il est mineur à l’époque, il est confié à un foyer d’urgence puis rejoint le CDEF de Montfermeil, un foyer pour ados et jeunes majeurs jusqu’en février 2018.
Fuir pour survivre
Son histoire est tragique. « Un soir, tout le quartier est venu pour me tuer. Je reste dans ma chambre. Je pleure. Je n’arrive pas à sortir ». John se remémore les groupes d’hommes qui l’attendent dehors avec des bouts de bois, le menaçant de mort. Il les entend à travers la cloison. « Cette nuit-là, il n’y a pas de courant dans le quartier. Je cours. Je ne savais pas où j’allais. Je n’ai pas d’idée pour partir quelque part... Je suis allé voir un ami et un monsieur m’a aidé pour rentrer en France ». Le jeune homme très ému ajoute : « C’est pas facile chaque jour de parler de mon histoire. Ça m’a touché... bien. » Lorsqu’il se remémore son parcours, l’émotion l’étreint. Il reprend ses esprits avant de signer un nouveau contrat. Pour cela, les services de l’Ase vérifient si tout va bien et que les objectifs fixés lors du précédent contrat jeune majeur sont atteints. John gère-t-il bien son budget ? est-il sérieux à l’école ? a-t-il obtenu sa CMU (couverture maladie universelle) ? où en sont les démarches administratives pour obtenir la carte de séjour ?
Ce dernier tend un à un ses bulletins scolaires irréprochables, ses premières fiches de paye, son récépissé lui reconnaissant une protection internationale et même une invitation à participer à un casting pour jouer dans un spot publicitaire.
Aujourd’hui, John vit dans un FJT (foyer de jeunes travailleurs), joue au football tous les dimanches et sort avec ses amis. Alors, que signifie pour lui un contrat jeune majeur ? « Cela veut dire continuer à travailler, à réussir ce que j’ai déjà commencé. Je sais aussi que je vais faire plus. »
Stéphane Troussel connaît bien l’importance des contrats jeunes majeurs : « Ils sont indispensables pour accompagner les jeunes de 18 à 21 ans, et doivent être généralisés dans l’ensemble des Départements, avec un soutien financier fort de l’État. » Et regrette que la proposition de loi Bourguignon ait été vidée de son sens et exclut, de fait, quasiment tous les MNA. Très mobilisée sur ces questions, la Seine-Saint-Denis continue par ailleurs de refuser, aux côtés d’autres Départements, d’appliquer le décret de la loi Asile et Immigration qui organise le fichage des jeunes étranger·ères non accompagné·es qui arrivent sur le territoire.
Photos : ©Daniel Ruhl
Selon l’article L221-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), l’objectif du contrat jeune majeur est « d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique (…) aux majeurs âgés de moins de 21 ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (…) » ou, d’après l’article L222-5 dudit Code, « qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale, faute de ressources ou d’un soutien familial suffisant ».
https://www.filsantejeunes.com/le-contrat-jeune-majeur-19404
Extrait du discours de Stéphane Troussel le 7 mai 2019 lors des États généraux de la protection de l’Enfance, à propos des mineurs non accompagnés :
« Il est pour moi indispensable de parler des mineurs non accompagnés, qui ont le droit d’être protégés comme tous les enfants. Les Départements sont en première ligne pour accueillir et accompagner les mineurs non accompagnés. Aujourd’hui, 75 % des évaluations en Ile-de-France sont réalisées par Paris et la Seine-Saint-Denis.
Afin que nous puissions accomplir correctement cette mission d’intérêt général, nous avons besoin que la solidarité nationale fonctionne réellement, et que l’État donne aux Départements les moyens budgétaires pour agir. Je demande ainsi, une nouvelle fois, une juste compensation des dépenses que nous engageons à ce titre. Je demande aussi qu’une plateforme régionale commune d’évaluation soit mise en place avec les moyens de l’État.
Par ailleurs, il est indispensable que ces jeunes après 18 ans qui ont été accompagnés par l’Aide sociale à l’enfance puissent construire leur avenir en France sans être constamment sous le couperet d’une reconduite à la frontière.
En réalité, nous le disons, il revient à l’État d’assurer, à tous les MNA pris en charge à l’ASE et ayant engagé un parcours d’intégration, une régularisation de leur droit au séjour s’ils souhaitent poursuivre leurs études, leur formation et travailler en France.
Outre les désastreuses conséquences sur le plan humain et personnel, rendez-vous compte du gâchis absurde qu’il y aurait à investir via l’Ase auprès d’un jeune pendant tant d’années, si tout se conclut par un refus de titre de séjour !
A ce sujet, je ne peux que regretter la toute récente décision du Conseil d’État, qui a refusé de suspendre l’infamant décret de la loi Asile et Immigration autorisant le fichage des MNA. Avec Paris, nous avions déjà indiqué que nous refuserions d’appliquer ce texte qui place ces mineurs dans une situation de suspects potentiels, au lieu de les considérer comme ce qu’ils sont, c’est-à-dire des enfants à protéger. Nous ne pouvons que regretter que le Conseil d’État n’ait pas choisi de suivre les recommandations des associations de défense des droits de l’enfant et notamment de l’Unicef. »
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