Musique Aubervilliers

Mohamed Gholam, Archi-vidéaste

Encore étudiant en architecture, cet habitant d’Aubervilliers s’est mis a réalisé des vidéos sur les bâtiments mal-aimés. Diffusé sur Youtube, Le Nouveau Programme nous emmène de Créteil à Montparnasse et jusqu’à São Paulo. Après avoir filmé le Centre national de la Danse à Pantin (CND), la Cité Pierre Sémard au Blanc-Mesnil et la piscine Tournesol des Lilas, cet ambassadeur du In Seine-Saint-Denis veut montrer que son département regorge d’exemples merveilleux d’architecture. Interview.

Vous êtes originaire de Seine-Saint-Denis ? Connaissez-vous bien votre département ?

J’ai grandi aux Lilas et je vis à Aubervilliers depuis deux ans. Je ne dirai pas que je connais le département sur le bout des doigts. Je connais plutôt bien la partie proche couronne (Pantin, Romainville, Le Pré-Saint-Gervais, Saint-Denis, Montreuil, Bagnolet, Noisy-le-Sec) mais un peu moins ce qui est au fond du département. Cette émission m’a aidé à mieux connaître les territoires car les bâtiments filmés en Seine-Saint-Denis étaient ceux devant lesquels je passais mais que, à mon goût, je ne connaissais pas assez. En faisant les recherches, j’analyse les territoires, les comprends pour pouvoir les expliquer.

Vous êtes Ambassadeur du In Seine-Saint-Denis…

C’est une fierté de pouvoir montrer qu’il y a des choses à voir au-delà du périphérique. En ayant grandi aux Lilas, on a un rapport assez particulier avec la Capitale. J’ai toujours ce débat avec des amis qui viennent de plus loin, en Seine-et-Marne : « toi tu habites à Paris ». « Non, je leur dis. Il y a une vraie différence entre habiter aux Lilas et habiter à Paris parce qu’on est en Seine-Saint-Denis et qu’on se sent appartenir à ce territoire. On a un rapport extérieur à la capitale ». C’est une belle chose que de représenter ce territoire dans lequel on vit : la Seine-Saint-Denis, qui est le Grand Paris mais qui n’est pas Paris.

Quelle est votre formation ?

A Paris, il y a 4 écoles d’architecture. Chacune apporte un regard différent sur le métier de l’architecte, sa responsabilité ou non dans la société. Je suis diplômé depuis juillet 2021 de l’école nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette. Au-delà du fait qu’elle soit proche géographiquement du lieu où j’ai grandi et où aujourd’hui j’habite, elle porte un engagement pour le rôle social de l’architecte et ça se traduit par les sujets sur lesquels on travaille.

Vos années d’étude vous ont-elles justement mené en Seine-Saint-Denis ?

Oui, j’ai travaillé notamment sur le quartier de Crève-Cœur à la limite entre Aubervilliers et La Courneuve, là où il y a le RER B La Courneuve-Aubervilliers. J’étais en troisième année, et le projet de logements cherchait à s’intégrer et à respecter ce quartier maraîcher devenu ouvrier. Il y a eu aussi un projet sur la parcelle d’un entrepôt situé juste à côté du CND où se trouvent à présent des logements… Les 2 agences d’architecture dans lesquelles j’ai travaillé avaient elles aussi des projets en Seine-Saint-Denis. A cette occasion, j’ai pu y suivre un chantier.

Avez-vous envie de construire en Seine-Saint-Denis votre maison ou votre lieu d’habitation ?

Construire ma maison, ce n’est pas un rêve, ni un objectif que je poursuis. Je suis issu du logement collectif et j’ai un attachement au logement collectif et je dirais même à la tour. C’est génial parce que le département regorge de ce type de morphologie urbaine qui donne des vues et dont les dispositions à l’intérieur des logements sont souvent intéressantes. J’aimerais revenir un jour en agence d’architecture et éventuellement pouvoir construire dans le département. Pour l’heure, avec Le Nouveau programme, je me dirige vers une application de mon diplôme d’architecte qui est différente de celle de la maîtrise d’œuvre.

Avec le Nouveau programme, vous inventez votre propre métier ?

J’aimerai raconter la genèse de ce projet : comment j’en suis arrivé à faire cela. Déjà, j’avais un attrait pour la vidéo et la réalisation depuis le collège. Quand je suis parti en Erasmus, il y a 4 ans, à Sao Paulo. J’avais cette idée de faire des petites vidéos dynamiques, rapides, qui nous permettent de découvrir des bâtiments dans le détail de manière didactique. Avec des plans, la maquette, la coupe, de manière compréhensible.

Que vous a permis votre émission sur Youtube ?

J’ai participé en avril au festival startup, un dispositif de la mairie de Paris qui soutient des projets artistiques et culturels. Dans le cadre de ce festival, j’ai pu avec le Nouveau Programme organiser une exposition, deux visites guidées -le CND et la cité de Pierre-Sémard- et une projection en avant-première de ma nouvelle vidéo qui est sur le musée d’art de Sao Paulo justement.

Qu’avez-vous découvert à Sao Paulo, un peu de Seine-Saint-Denis ?

J’ai découvert plein d’architecture moderne, récente. Cette expérience Erasmus m’a ouvert le regard sur mon département car Sao Polo est une ville qui s’est largement développée entre les années 50 et 70… là-bas, cette architecture est érigée en monument alors qu’elle ressemble à là où j’ai grandi, une cité avec des tours, aux Lilas, dans le 93. J’ai découvert que les bâtiments en Seine Saint Denis qui avaient une mauvaise image pouvaient être des monuments quand on les regardait différemment. Le béton, ce n’est pas moche et ce n’est pas mauvais. C’est un formidable matériau avec lequel on peut faire des choses merveilleuses pour autant qu’on les entretient bien et qu’on les regarde avec un regard aimable.

Vous vous sentez toujours architecte ? ou youtubeur ?

Je me sens toujours architecte. Et je ne serais pas le seul dans ce cas-là à être formé en architecture et à appliquer mon diplôme dans d’autres activités. Il y a plein de gens qui font de l’édition, de la revue, du design, de l’expo. Moi, je réalise des vidéos, mais je suis architecte, j’ai un regard d’architecte. Et il n’est pas impossible que je redevienne maître d’œuvre. Ce nouveau métier, youtubeur, commence à prendre forme officiellement. Moi je n’aime pas trop cette appellation parce que YouTube est plus un moyen pour moi qu’une fin. Je ne cherche pas à être un youtubeur connu. J’invente mon métier. C’est assez beau de le faire mais ça reste beaucoup de travail puisque c’est une fusion de réalisateurs producteur éditeur monteur technicien tout en même temps.

Vous en vivez, de ce nouveau métier ?

Difficilement. Maintenant que j’ai réussi à gagner en abonnés, je dois trouver un producteur, des sponsors ou un modèle économique qui me permette de continuer à long terme.

Sur votre liste de courses, quels sont vos prochains sujets Seine-Saint-Denis ?

Le prochain épisode sera sur le parc de la Villette. Ce n’est pas la Seine-Saint-Denis mais on est un petit peu à l’interface. On imagine l’année prochaine une saison orientée autour des jeux olympiques pour nous ancrer dans l’actualité. Probablement un épisode à Saint-Denis. Très probablement un épisode à la porte des Lilas puisque la piscine est un héritage des jeux olympiques de 1924. La tour des Lilas plus connue sous le nom de tour de Romainville, un bâtiment surprenant trop peu connu, car caché par la colline, La Maladrerie, Oscar Niemeyer qui a construit 2 bâtiments dans le 93 : un à Bobigny et un à Saint-Denis dans le quartier de la basilique, la cathédrale du Raincy construite par Perret tout en béton, le conservatoire de Montreuil... Le département regorge d’exemples merveilleux d’architecture.

Il y a aussi un mouvement des élèves en archi sur leurs conditions d’études. Des anciens élèves de votre école ont été reçus à l’Élysée pour que ça bouge, les soutenez-vous ?

Personnellement, évidemment je soutiens cette lutte. Cette lutte est ancienne. Elle existait dès le début de mes études, en 2015. L’école d’architecture de la Villette est toujours dans des locaux provisoires, depuis 1969. On y fait du bricolage pour la maintenir en l’état. Il manque des ressources pour les enseignements. On a des TER enseignants qui ne sont pas payés ou qui mettent des mois avant d’être payés. C’est une mobilisation de longue date et je suis content qu’elle prenne cette ampleur-là.

Aviez-vous mené ce combat lorsque vous étiez étudiant vous-même ?

En 2020, juste avant le COVID, il y avait eu la même manifestation devant le ministère de la culture. On y avait jeté des maquettes et tout ça, mais ça n’avait pas donné de suite donc j’espère que ça donnera des suites parce que l’architecture ça nous concerne tous, c’est partout autour de nous. Les gens veulent de bonnes villes, de la bonne architecture. Je trouve ça dommage qu’on puisse former les architectes dans de si mauvaises conditions. C’est l’État le responsable. Cela témoigne aussi de l’état de la profession. Architecte est une profession plutôt prestigieuse qui demande six ans d’études quant au sortir du diplôme les architectes sont mal payés. Comparé à d’autres cursus en bac +5, on est vraiment mal payé. Il y a souvent des plages horaires de travail qui dépassent le cadre légal.

Et l’architecte doit répondre à des appels d’offre pour pouvoir construire sans être payé pour ce travail…

Le commanditaire ne peut pas payer les 200 personnes qui répondent au dossier d’appel d’offre. Mais c’est un vrai sujet. Pour le même nombre d’année d’étude, c’est comme si on disait aux médecins qu’ils continuent à faire des consultations mais qu’ils seraient payés seulement quand ils trouveraient une maladie.

Malgré tout, la profession d’architecte est respectée. Non ?

Dans le monde de la construction, l’architecte est aujourd’hui limité dans ses potentialités d’action. Désormais et c’est très bien, on a des programmistes. Tout un tas de professions annexes encadrent beaucoup, en amont et en aval, le travail des architectes en produisant des rapports. Cela empêche parfois la réflexion. Par exemple, l’Anru (l’agence nationale de la rénovation urbaine) démolit beaucoup, souvent sur des décisions politiques mais sans avoir au préalable vraiment ouvert la question aux architectes. Les architectes Lacaton et Vassal qui ont reçu l’an dernier le prix Pritzker (ndr équivalent au prix Nobel en architecture) défendent qu’on arrête de démolir les bâtiments. Ces architectes ont du mal à se faire entendre. Leurs revendications sont pourtant à la fois écologiques et de bon sens. Réhabiliter un bâtiment permet de conserver du logement social et de générer moins de nuisances.

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Crédit photo : Jérémy Piot

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