Mélonin Noumonvi : Frère de lutte
A 34 ans, le lutteur Mélonin Noumonvi a tout connu ou presque : 26 ans de carrière dans le même club, le Bagnolet Lutte 93, champion du monde 2014, trois participations aux Jeux... Il se relance pour un dernier défi : les championnats du monde à Paris en août.
Vous participerez à partir du 21 août aux Mondiaux de Paris. Finir sur un titre à la maison, ce serait le rêve absolu ?
« Oui, c’est sûr, ce serait le pied. Etre sacré une deuxième fois champion du monde, mais cette fois-ci à la maison, ce serait top. En plus, cela ferait un joli clin d’oeil à mon entraîneur en chef Patrice Mourier, sacré lui aussi champion du monde en gréco-romaine il y a 30 ans. Et un 21 août en plus… Après, pour répondre à votre question, je n’exclus pas totalement de faire encore une année supplémentaire. »
A 34 ans, qu’est-ce qui vous motive encore ? Vous avez une longévité exceptionnelle…
« C’est vrai que des lutteurs qui ont mon grand âge, il n’y en a pas beaucoup ! Peut-être un peu plus dans les catégories lourdes, où les régimes sont moins contraignants. Je ne sais pas, la lutte, j’aime ça, depuis toujours, c’est une belle école de la vie. Et puis, depuis l’âge de 8 ans, j’ai fait toute ma carrière au sein d’un seul et même club : le Bagnolet Lutte 93. »
Justement, parlez-nous un peu de ce club. Beaucoup de lutteurs de l’équipe de France en sont issus. Quel est son secret ?
« C’est tout simplement un des plus gros clubs de lutte en France. Et puis, vous savez, c’est un club convivial, sans chichis. On vient tous plus ou moins des quartiers, l’ambiance est bon enfant, il n’y a pas d’embrouilles… »
Votre club, c’est aussi un melting-pot, avec des lutteurs de toutes les origines…
« Oui, c’est vrai qu’on a des gens qui viennent d’un peu partout : des Géorgiens, des Russes, des Moldaves, on a aussi eu des Africains et des Cubains. Mais finalement, c’est pas mal à l’image de la Seine-Saint-Denis aussi, qui est une terre de métissage. »
Comment expliquer le succès des sports de combat – la lutte, la boxe ou le judo - en Seine-Saint-Denis ? C’est parce que la vie aussi est un sport de combat ?
« Oui, la vie est une lutte, comme on dit. Les lutteurs qui viennent des pays du Caucase ou de Cuba ont faim de réussite car ils savent que leur sport peut être une planche de salut. Eh bien nous, toutes proportions gardées, c’est pareil… Dans certains endroits, il y a des situations sociales compliquées en Seine-Saint-Denis. Des gens qui auraient pu déraper placent leur volonté de réussite dans leur sport, ça me semble un bon moteur... »
Petit garçon, on rêve quand même rarement de devenir lutteur. Vous, qui vous a initié à ce sport ?
« Mon grand-père, Louis Moratin, dit « Coco ». J’ai grandi en Afrique, au Togo. Petit garçon, je ne pensais qu’au foot, parce que là-bas c’est foot foot foot. Quand je suis arrivé en France à l’âge de 6 ans (il a été adopté par une famille d’accueil sans pour autant rompre le lien avec sa famille biologique), j’ai fait un an de foot aux Rigondes à Bagnolet. Ensuite, mon grand-père m’a incité à suivre mes frangins qui faisaient déjà de la lutte. J’ai essayé une fois, et je n’ai plus jamais remis les crampons. »
Vous qui avez fait toute votre carrière dans le département, est-ce que l’image négative dont souffre la Seine-Saint-Denis ne vous semble pas parfois caricaturale ?
« Si, c’est vrai. Et quand on vous colle une image sur le dos, c’est dur de s’en débarrasser. C’est injuste, parce que la Seine-Saint-Denis a beaucoup changé, même s’il reste quand même des quartiers assez pourris, ça non plus il ne faut pas le passer sous silence. Ce que je vois en tout cas, c’est que les jeunes autour de moi ont plus confiance en l’avenir. Ils investissent et s’investissent, ils croient davantage en leurs chances, et ça c’est positif. »
Est-ce que des Jeux qui se dérouleraient en 2024 en Seine-Saint-Denis seraient une bonne nouvelle pour le département ?
« Oui, carrément. On sait que les Jeux, quand ils sont bien organisés, créent de la richesse et de l’emploi. Ce serait aussi l’assurance d’avoir le Grand Paris Express livré en temps et en heure, et ça, c’est important. De toute notre série de candidatures, c’est clairement notre meilleur dossier. J’espère vraiment qu’on les aura. »
Votre sport souffre d’une sous-médiatisation. C’est rageant ?
« Oui quand même. D’autant que si on compare à d’autres pays, elle saute clairement aux yeux. En Allemagne par exemple, où je fais des piges (à Köllerbach, dans la Sarre) en complément des compétitions avec mon club français, il y a un engouement incomparable. Les finales ont lieu devant 7000 spectateurs alors qu’en France, si on a 500 personnes c’est déjà bien. Ça a aussi évidemment des répercussions sur nos sponsors... »
Vous, la lutte, vous avez pu en vivre quand ? A partir de votre première participation olympique ?
« Non, ce n’est pas ça qui a été déterminant. J’ai la chance d’avoir été soutenu par la fédération, mon club et d’avoir eu un poste d’employé municipal, détaché de mes heures pour pouvoir m’entraîner. Vous savez, nous sommes une poignée de lutteurs en France à bénéficier de telles conditions. C’est parfois dur parce qu’on fait en plus un sport qui demande beaucoup de sacrifices. Pour mon titre de champion du monde, j’aurais eu une rente à vie si j’avais été azerbaïdjanais. Là, j’ai eu 16 000 euros. Après, je suis conscient qu’être français a aussi plein d’autres avantages, évidemment. »
Et l’après-carrière, vous le voyez comment ?
« J’aimerais rester dans le monde de la lutte, je m’y sens bien. J’ai déjà obtenu un DESS ici à l’INSEP spécificité lutte et j’ai repris mes études de professorat de sport. J’aimerais à terme intégrer le staff des Bleus et entraîner, partager mon expérience avec la jeune génération. »
Propos recueillis par Christophe Lehousse
Retrouvez aussi le portrait de Koumba Larroque, jeune espoir française de la lutte qui vient de signer au Bagnolet Lutte 93.
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