Marcher sur le fil
Marine Quennehen est une équilibriste. Fidèle au CA Montreuil 93 depuis toujours, championne de France du 3 000 m marche et doctorante en sociologie, elle aime travailler à pousser ses limites, quitte à prendre des risques. Après tout la marche, c’est avancer en rattrapant une chute à chaque pas...
On ne choisit pas un sport par hasard. On est toujours attiré par ses spécificités, les qualités qu’il demande, sa complexité parfois. La marche athlétique est un sport un peu à part. On doit aller vite, longtemps, mais les règles vous ralentissent. En deux mots, le marcheur doit obligatoirement avoir en permanence au moins un appui au sol. Une discipline qui demande de la réflexion, de la ténacité, de l’application. Et c’est ce sport que Marine Quennehen a choisi et qui lui va comme un gant.
Le long du canal de l’Ourcq
A quinze ans, Marine pratique l’athlétisme depuis trois ans au CA Montreuil 93. Comme tous les jeunes, elle a touché un peu à toutes les disciplines de l’athlétisme, et s’est finalement spécialisée dans le demi-fond. Les résultats ne sont pas mal, mais pas aussi bons qu’elle l’espère. On lui propose alors la marche, et ça colle ! Devenir marcheuse, c’est aussi accepter d’être un peu à part des autres athlètes. Certes on reste dans la grande famille de l’athlé, mais on sort tout de même du grand cercle des coureurs. Pas facile à l’adolescence de sortir du groupe, de se distinguer. Surtout avec cette foulée si caractéristique des marcheurs. Marine doit avoir un mental solide pour continuer de tourner autour du terrain malgré les moqueries des footballeurs, malgré les insultes lorsqu’elle s’entraîne le long du canal de l’Ourcq.
Mais elle s’accroche et les résultats suivent : vice championne de France junior, une première sélection nationale… Au fur et à mesure, elle augmente sa charge de travail, organise son emploi du temps avec ses études : « Jusqu’à junior 2, j’étais à 3 à 4 entraînements par semaine, à partir d’espoir je suis passée à cinq. En espoir 2 j’étais encore en licence de sociologie, j’avais pas mal de temps. Certes il fallait travailler en plus des cours, mais mon emploi du temps était assez flexible, et je ne faisais pas énormément de kilomètres. Mais je n’étais pas excellente non plus, entre la cinquième et la dixième place nationale. » Marine Quennehen part alors étudier un an en Italie, et met un peu la marche entre parenthèses. A son retour, elle pleine d’entrain, autant pour les études que pour le sport. Mais elle ne progresse plus autant, s’essouffle un peu, abandonne pour la deuxième fois aux championnats de France , se demande s’il n’y a pas autre chose à faire dans la vie que marcher, marcher …
Mais abandonner, sachant qu’il y avait peut-être moyen de faire mieux, qu’elle n’avait pas encore tout donné, ce n’est pas dans le caractère de Marine Quennehen. Tout en restant fidèle au CA Montreuil, elle quitte Jean-Pierre Dahm son entraîneur de toujours pour Laurent Heitz, entraîneur national. Il varie les types de séances, insiste plus sur la qualité que la quantité, et ça fonctionne ! En deux ans, elle passe de 1h42 aux 20 km à 1h35, un bond en avant ! Laurent Heitz commence à lui parler des Jeux Olympiques… Mais cela veut dire plus d’entraînement, plus d’attention au quotidien, moins de fêtes… Et cela alors que Marine est parvenue après un an d’effort et demandes successives à décrocher une bourse pour rédiger une thèse de sociologie ! « C’est difficile, je suis toujours en train de me questionner. Est-ce que je me donne assez dans l’athlé ? Est-ce que j’en fais suffisamment pour la thèse ? » Deux activités qui prennent énormément de temps. Pour réussir, un marcheur doit aligner des séances d’entraînement parfois biquotidiennes, six jours sur sept, dormir huit heures, aller régulièrement chez le kiné, soigner son alimentation… Et rédiger une thèse est aussi un travail à plein temps ! Marine a décroché une bourse de L’Institut National des Etudes Démographiques, ce qui implique un travail scientifique, rigoureux, exigeant. Mais la jeune femme est brillante, et parvient à résoudre l’équation. « Généralement lorsque la marche est en réussite, la thèse également, et inversement. C’est un équilibre entre les deux. »
Marine évolue constamment sur le fil. Elle qui d’un naturel souriant, enthousiaste, elle peut très vite plonger dans le doute, le pessimisme suite à une ombre, une contrariété, une injustice. Ce qui lui joue des tours y compris lors de compétitions.
L’an dernier, lors des championnats de France du 5 km, la favorite abandonne et Marine est en tête. La victoire lui semble promise, elle avance dans son rythme et la seconde est loin derrière. Seulement, Marine commence a réaliser que le titre est là, tout proche. Et à chaque fois qu’elle passe devant les juges, sa belle mécanique se dérègle. Sa technique hésite et elle accumule les avertissements, jusqu’au carton rouge de disqualification, à 500 mètres de l’arrivée. Un véritable coup de massue, dont Marine aura bien du mal à se relever. Le doute s’est installé et deux autres disqualifications entacheront sa saison 2017. Marine travaille sur elle-même, fait de la sophrologie pour évacuer cet échec. Toujours le travail pour s’en sortir, sans indulgence avec soi-même.
Et ça fonctionne ! En février de cette année, à 26 ans Marine remporte son premier titre Elite, le 3 000m en salle !
Du caractère
Pour se recentrer, elle s’est aussi concentrée sur sa thèse. Un sujet difficile sur la paternité des personnes incarcérées. Lorsqu’on la questionne sur le choix de son sujet elle répond : « Le point de départ est peut être lié à mon père. Il est photographe et un de ses reportages qui m’a le plus marquée traitait des prisons pour mineurs aux Etats-Unis. Ensuite, étudiante en master de sociologie, j’ai eu la chance d’obtenir un stage au service psychiatrique de Fresnes. C’est là que j’ai choisi de travailler sur la paternité en prison. Car lorsque je discutais avec les psychiatres et leur équipe, ils me répondaient « Si ça les intéressait d’être parents, ils ne seraient pas en prison. » Le fait que tout le monde trouvait ce sujet étrange et incongru m’a confirmé que je devais le traiter. »
Du caractère, il en faut pour digérer les histoires des détenus. « Ma thèse, j’y pense sans arrêt. Mais l’athlé permet une mise à distance. Après 5 km, la thèse est loin. Je ne pense qu’à des détails liés à la marche : mon rythme cardiaque, mon chronomètre, la température, la météo. Parfois même j’ai des absences, je ne pense à rien. Je m’aperçois que j’ai fait 5 km et je ne m’en suis pas rendu compte ! »
Personne ne peut dire si Marine Quennehen parviendra à participer aux Jeux Olympiques, si elle pourra continuer de conjuguer sport de haut-niveau et recherche scientifique. Mais ce qui est sûr, c’est que cette marcheuse n’a pas fini d’avancer, pour conserver son bel équilibre.
Photos : @Sylvain Hitau
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