Les Magasins généraux à Pantin conçus comme une immense étagère
Le bâtiment des Magasins généraux à Pantin, qui accueille aujourd’hui l’une des plus grandes agences de publicité, a connu plusieurs vies. Construit en 1929 pour entreposer les marchandises les plus diverses, il devient, à la fin des années 90, la cathédrale du street art.
En 1928, face à l’explosion démographique parisienne et de sa proche banlieue, le Département de la Seine s’organise pour pouvoir continuer à approvisionner sa population en denrées alimentaires et en biens de toutes sortes. C’est ainsi qu’il accorde à la chambre de commerce de Paris le droit d’occuper pendant 50 ans un terrain attenant au nouveau port de Pantin. Sa mission : entreposer les marchandises sous régime de douane et celles qui arrivent de la France entière. Une concession, dans une zone stratégique, exceptionnelle de par sa durée.
Comblée, la chambre de commerce décide immédiatement de démarrer les travaux en bordure du canal de l’Ourcq. Il s’agit de construire un réseau d’égouts, de faire passer des canalisations pour amener l’électricité, de paver les chemins d’accès et de raccorder par voie ferrée le port à la gare de Noisy-le-Sec. Elle fait ensuite construire sur le site aménagé deux grands magasins et un dépôt à alcool. Louis Suquet, ingénieur des Ponts et chaussées et fils spirituel de Fulgence Bienvenüe (créateur du métro), sera mandaté pour penser, dessiner et suivre leur construction.
Pour l’historien Jean-Luc Rigaud, « bien que ses dessins ne soient pas signés », Louis Suquet est bien l’auteur de ces « deux bâtiments de cinq étages en béton armé et du bâtiment à rez-de-chaussée destiné à emmagasiner l’alcool », comme il l’explique dans son ouvrage Les Magasins généraux de Pantin. Histoires de mutations.
Il est aussi présent à chaque étape de leur construction, entouré de ses collaborateurs, ingénieurs de la direction du service technique de la Ville de Paris. Il faut dire que le chantier est d’ampleur : 41 000 m2 partagés en six plateaux identiques empilés, assis sur de puissants piliers capables de supporter tout le poids de l’édifice et son contenu.
Grues électriques, ascenseurs et monte-charges surpuissants
L’ingénieur a aussi pensé à équiper les Magasins généraux d’un outillage dernier cri. Pour déplacer les marchandises à l’intérieur des entrepôts, « un ascenseur de 1 000 kg de puissance, un grand monte-charge de 3 000 kg et quatre toboggans pour la descente des sacs » jusqu’au rez-de-chaussée. Les céréales en vrac bénéficient même d’une « manutention pneumatique », soient deux pompes à vide capables de propulser jusqu’à 25 tonnes de blé par heure dans des bateaux. Connectés aux trains, aux bateaux, les entrepôts héritent, à la demande de l’administration des Douanes en 1950, d’une gare routière.
Au milieu des années 60, les marchandises viennent de toute l’Europe et même des États-Unis : bois, charbon, fioul, tissus, papiers, plâtre, voitures, moteurs. Les Magasins généraux redeviennent incontournables pendant les Trente Glorieuses, durant lesquelles les importations sont légion.
Mais la simplification des procédures douanières dans les années 70 freine leur essor. Le personnel des entrepôts passe de 96 en 1974 à 25 en 1984. Finalement, c’est en 1999 que les entrepôts ferment leurs portes.
Le paquebot de béton attire cependant les artistes urbains. Dans les années 2000, le Brésilien Marcelo Ment, l’Américain Native, le Pantinois Da Cruz, le Montreuillois Artof Popof, M.Chat, Arone viennent réchauffer le béton de leurs couleurs. Sa façade est entièrement recouverte de tags, de graffitis. Une trentaine d’entre eux ont été conservés, comme un vestige du temps passé. Vous pouvez les retrouver sur le site internet : graffitigeneral.com
Remerciements à l’historien Jean-Luc Rigaud pour son livre Les Magasins généraux de Pantin. Histoires de mutations, paru en 2015 aux éditions Lieux Dits.
Le siège des publicitaires
Au printemps 2016, l’agence BETC, à l’étroit dans ses locaux parisiens du 10e arrondissement, devient locataire des lieux. La plus prestigieuse agence de communication française a un coup de cœur pour les 41 000 m2 des Magasins généraux.
C’est désormais à Pantin que ses 700 salarié·e·s imaginent le nec plus ultra des campagnes de publicité : souvenez-vous des bébés qui dansent sur une bande-son rock pour vendre de l’eau…
Une pub au succès mondial qui a récolté 180 millions de vues. Ce lieu de travail propose régulièrement des expositions photos et, deux fois l’an, des braderies au profit de Aides, l’association de lutte contre le sida.
Jusqu’au 13 mars : Formes du transfert, une exposition qui célèbre 10 ans de résidences d’artistes de la Fondation d’entreprise Hermès. Entrée libre.
Du mercredi au dimanche de 13 h à 20 h.
– Plan des anciens Magasins généraux de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, publié dans le Génie civil, le 11 octobre 1930
Isabelle Lopez
Illustrations Laurent Kruszyk / Région Île-de-France, Jean-Louis Bellurget
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