Le son au coeur de la Cité
« La Cassette » devrait commencer à tourner au second semestre 2020. Aux confins d’Aubervilliers et de Pantin, ce nouveau « tiers-lieu » imaginé par des amoureux de la radio est dédié à la création sonore. Il abritera la jeune école de radio du collectif « Transmission », gratuite et ouverte à tous.
« Les studios d’enregistrement sont rares à Paris, et bien souvent, je finissais par m’enregistrer sous ma couette », expose la belle voix timbrée de la journaliste et documentariste radio Sarah Lefèvre. En septembre 2020, l’ouverture de « La Cassette », dont elle est, avec d’autres passionnés de radio, à l’origine, devrait remédier à ce problème. Dans ce nouveau tiers-lieu de cent mètres carrés à deux pas de la station Quatre Chemins, côté Aubervilliers, on pourra boire son café en écoutant le dernier podcast avec un casque sans fil, blotti dans un pouf, avant d’aller enregistrer le commentaire de son reportage dans une des deux cabines individuelles d’enregistrement insonorisées, ou de débattre à bâtons rompus dans le studio d’enregistrement prévu pour cinq places. On pourra croiser des jeunes, des vieux, des scolaires du coin venus s’initier au micro à l’occasion d’ateliers, mais aussi des artistes en résidence. A la tombée du jour, pour lutter contre le silence, on pourra participer à des séances d’écoute collectives, et jacter jusqu’à des heures indues. Et peut-être même écouter de la musique, pour changer de la parlotte.
Les grands mots
A l’origine de cette utopie radiophonique « dédiée au développement de la culture et des savoirs-faire en narration sonore », le collectif Transmission, fondé par des professionnels et des passionnés de radio dont un illustre Albertivillarien, Ziad Maalouf.
Depuis deux ans, le collectif propose une école de radio libre et gratuite à une quinzaine de stagiaires. Parmi elles et eux- la promo 2019 comptait 21 filles sur 25 élèves- Nora Bennarosh-Orsoni, anthropologue en reconversion professionnelle. « On se demandait comment créer des archives orales avec un collectif pour des archives LGBT. Alors je me suis inscrite à la formation. Une fois le casque sur les oreilles et le micro en main, j’ai compris que c’est ce que je voulais faire comme métier », explique la jeune femme. Après des formations à l’enregistrement, des discussions sur le choix du type de narration, elle se lance et enregistre « Tout de suite les grands mots », « le service après-vente d’un mauvais rencard hétéro », autour de la question du consentement. « Avant de s’y mettre, on imagine pas ce que c’est que de fabriquer un enregistrement. Contrairement à l’enregistreur, nos oreilles et notre cerveau filtrent ce qui est important ou pas. Lorsqu’on enregistre, il faut parfois demander à nos interlocuteurs d’éteindre leur frigo pour laisser toute la place à la voix », explique Nora Bennarosh-Orsoni. A la fin de la session de formation, en juin 2019, les « écoutes publiques » organisées au squat dionysien du Landy Sauvage réunissent 300 personnes.
Grâce à son podcast, l’élève-documentariste reçoit un prix au festival Longueur d’Ondes, le Cannes de la radio. C’est le second prix du collectif « Transmission », qui en avait également remporté un l’année précédente avec « Kebbab blues » de Zoé Perron qui, à travers un concert de voix, mettait au jour les ressorts de l’inertie face au racisme du quotidien. La créativité narrative marque la signature du collectif : « Ces dernières années, avec les podcasts, on a vu débarquer sur les ondes un afflux de formes narratives, à la première personne. Mais il y a plein d’autres formes à créer avec le son, et c’est cela qu’on essaye d’explorer avec les stagiaires », explique Sarah Lefèvre.
Vitrine
Grâce à La Cassette, l’école compte multiplier les promotions d’apprentis documentaristes et les créations sonores, car elle ploie sous les candidatures, stimulées par l’explosion du podcast. Avec l’aide de la mairie d’Aubervilliers : « Nous lançons des appels à projets pour occuper les rez-de-chaussée des programmes immobiliers qui n’ont pas encore trouvé de commerces preneurs. Ce projet a un fort ancrage territorial, il est très innovant car il n’existe pas pléthore de dispositifs ainsi destinés au son, et répond à un critère important du cahier des charges : proposer une vitrine aux artistes et plasticiens albertivillariens », explique Samia Khitmane, responsable du pôle « Arts visuels » de la commune. Dans la vitrine de La Cassette, des artistes plasticiens pourront en effet aussi exposer leurs œuvres, parmi lesquelles se trouvera aussi une partie du fonds d’art contemporain du Département. « Pour l’instant, la convention d’occupation de La Cassette est prévue pour deux ans, mais je suis convaincue que le projet pourrait être pérenne », poursuit la directrice de pôle. Aidés également par une bourse de « l’Arc de l’innovation », et la fondation Véolia, il manque encore des moyens au collectif pour aménager le lieu. Il a donc ouvert une cagnotte, et organise le 21 mars une soirée de solidarité au théâtre de La Commune autour du thème « L’avenir de la radio, entre esthétique et politique ». On leur envoie de bonnes ondes !
Elsa Dupré
Photos : ©Sarah Lefèvre
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