Le Gotha du graff s’expose à Saint-Denis
Jusqu’à dimanche, cette exposition gratuite propose de découvrir l’univers de 19 graffeurs-graffeuses dans la salle de la Légion d’honneur de Saint-Denis. Parmi eux, 5 artistes issus de Seine-Saint-Denis prouvent que ce département est encore une place forte du graff.
« Qui peut me dire ce que signifie le mot gotha ? » Thierry Grone attend que les doigts des élèves se lèvent devant lui. Pour la deuxième année consécutive, cet « agitateur de projets », comme il se définit lui-même, fondateur de l’association Culture de banlieue, a décidé de montrer une partie de son panthéon personnel en matière de tag et de graff.
Jusqu’à dimanche, 19 artistes graffeurs, choisis par ses soins, se côtoient donc dans « Gotha », une exposition montée à Saint-Denis avec le soutien du IN Seine-Saint-Denis, marque mettant en avant les talents du territoire. « C’est une sélection purement personnelle, motivée par des affinités et une reconnaissance de leur talent », explique ce passionné, tombé dans la culture hip-hop à l’adolescence et qui aura accompagné les meilleurs « crews » (équipes) de graffeurs à travers ses photos.
Parmi les artistes retenus, les représentants de Seine-Saint-Denis ne manquent pas : on peut y admirer les visages de comic strip de Kzper, les lettrages bariolés d’Acre, la spécial dédidace à NTM et son album « Paris sous les bombes » de Yellow, les fresques acidulées de Miaoutoo, et jusqu’aux dessins teintés de culture manga de Kawet, artiste en herbe dionysienne de 10 ans !
« Pour moi, Saint-Denis est et reste une vraie ville hip hop. Ca a commencé avec le 93 NTM, et ça s’est ramifié ensuite. Aujourd’hui encore, je lui trouve une énergie fantastique », commente Thierry Grone, qui a grandi à Grigny, mais qui a emménagé il y a 11 ans dans la ville dionysienne, hypnotisé par sa forte culture urbaine. Pendant qu’il nous parle, les élèves viennent vérifier auprès de lui les résultats d’un quiz qu’il a lancé à leur entrée dans la salle : trouver les quatre graffeuses (Lady Alezia, Kwim, Miaoutoo et Kawet) qui se cachent dans l’expo.
D’ailleurs, pourquoi insister tellement sur cet aspect transmission auprès des jeunes ? « Je me souviens très bien qu’ado, c’est le hip hop qui m’a ouvert l’esprit. Ca m’a fait rencontrer plein de gens, et fait découvrir des tas de choses. Donc avec ces enfants, j’essaie qu’il y ait une transmission. A mes yeux, cette expo, c’est une accroche vers le monde de l’art. Si ça peut être une porte d’entrée vers l’art plus classique, tant mieux. La richesse, c’est la diversité », détaille Thierry Grone, qui n’apprécie guère le cloisonnement des cultures.
Pas avare en explications, l’auteur du « Dicograff », un ouvrage de référence recensant les principaux graffeurs à travers toute la France, tente aussi de familiariser son jeune auditoire avec l’histoire de cet art contestataire : « Le hip hop et une de ses branches- le graff - est né aux Etats-Unis dans les années 70. Au début, c’était une manière de mettre un terme à la violence qui régnait dans les quartiers, d’en faire quelque chose de positif. C’est ensuite arrivé en France. Aujourd’hui, cela reste un art contestataire, de la rue, même si le talent de certains artistes est aussi reconnu à travers des entrées en galerie ou au musée. »
L’expo en tout cas fait mouche auprès des jeunes. « C’est trop bien », jubile Léonore qui a un faible pour une peinture à l’acrylique du graffeur PI80 : une bombe de peinture aux allures de personnage de cartoon. « On a fait venir les élèves ici car le graff est un art qui reprend une culture dont ils sont proches : certaines marques, les figures Marvel, un environnement urbain... », explique leur professeur Sébastien Girard. Et puis, on estime que c’est important de leur montrer que la banlieue produit aussi de belles choses, qu’elle est elle-même productrice de culture. »
Une maternelle, l’école de l’Estrée, a même fait le déplacement avec des enfants de 5 ans. « La couleur, le dessin sont quelque chose qui parle naturellement aux petits. Evidemment, on essaie de leur faire comprendre que peindre sur les murs n’est pas toujours possible, mais quand ça l’est, c’est jouissif », complète un instituteur de L’Estrée dont l’école a déjà mené deux projets avec la street-artiste Lady K et le pochoiriste dionysien Guaté Mao.
Pour les parents d’élèves aussi, cette initiative est une réussite. « C’est bien que les enfants se rendent compte que l’art n’est pas juste l’apanage de Paris intra muros. Dans le street art encore plus qu’ailleurs, les talents viennent souvent des quartiers populaires ! », s’exclame Fabienne, Dionysienne qui a accompagné sa fille Jeanne. Pour vous en rendre compte, n’hésitez donc pas à passer les portes de la salle de la Légion d’honneur jusqu’à dimanche.
Christophe Lehousse
- « Gotha », à la salle de la Légion d’honneur jusqu’au dimanche 24 février- entrée libre- 16, rue de la Légion d’honneur- Du lundi au vendredi de 9h30 à 12h et de 15h à 18h- Samedi et dimanche de 10h à 18h.
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