Le Département et des chercheurs s’allient pour un focus sur les mineurs non accompagnés
Depuis 2016, la prise en charge des mineurs non accompagnés incombe exclusivement aux départements. Historiquement, la Seine-Saint-Denis a toujours consacré des efforts importants à l’accueil de ces migrants de moins de 18 ans, en dépit d’un abandon progressif de la part de l’État. Dans une démarche assez inédite, le Département a ouvert ses archives à des chercheurs de l’Institut Convergence Migrations, ce qui a donné lieu à un colloque les 9 et 10 décembre dernier.
Qui sont les mineurs non accompagnés ? Quels sont les différents acteurs qui les aident ? Quels dysfonctionnements existe-t-il encore dans leur prise en charge ? C’est pour répondre à ces questions et bien d’autres encore que le Département a mis en place le projet MINA 93, un programme au cours duquel les services départementaux d’accompagnement des mineurs non accompagnés ont ouvert leurs portes pendant plusieurs mois à des chercheurs de l’Institut Convergences Migrations, basé depuis 2019 au Campus Condorcet d’Aubervilliers. Le tout ayant donné lieu à la mi-décembre à un colloque de deux jours.
« On a pris le parti d’ouvrir nos dossiers des mineurs non accompagnés aux chercheurs - dans le respect évidemment de la confidentialité - parce que c’est valorisant pour nos professionnels et qu’ils peuvent ainsi avoir un plus grand recul sur leur pratique, commentait Pierre Stecker, directeur de l’Enfance et la Famille au Département. Et puis, cela nous permettait aussi de répondre aux attaques dont on est parfois l’objet : nous voulons montrer aux associations de défense de droits de l’homme, qui nous reprochent parfois de contester juridiquement les obligations de prendre un mineur que l’on estime majeur, que le Département accomplit tout de même ses missions. Quand on se compare à d’autres départements, on n’a pas à rougir : depuis 2018, on a ouvert 900 places d’accueil, mis en place un parcours dédié... Et à l’extrême droite, nous disons que nous ferons toujours fièrement ce travail d’accueil des MNA. »
Depuis 2016, la prise en charge des mineurs non accompagnés – autrement dit des jeunes venus de pays en guerre ou en situation de pauvreté, et sans référent adulte – incombe en effet aux Départements, au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). En Seine-Saint-Denis, leur nombre a augmenté au fil des années, passant d’environ 500 en 2015 à 1800 cette année. Or, l’État couvrant de moins en moins les dépenses liées à cet accueil, cela a mis les départements en tension, au premier rang desquels la Seine-Saint-Denis : sur les 57 millions d’euros consacrés à leur accueil, seulement 8 % étaient ainsi compensés par l’État, pourtant lié par sa ratification de la Convention internationale des Droits de l’Enfant.
Valoriser les professionnels de la protection de l’enfance
Après deux jours de colloque, plusieurs constats ressortaient : l’implication des personnels pour commencer. Travailleurs sociaux, gestionnaires, infirmière, psychologue, les 35 membres de la Camna - la Cellule d’accompagnement pour les mineurs non accompagnés, spécialement créée par le Département en novembre 2018 - déploient tous les jours des efforts considérables pour accompagner au mieux les MNA qui leur sont confiés. « Avec eux, on travaille leur projet professionnel, on fait les démarches administratives pour qu’ils obtiennent leurs papiers, on se préoccupe de leur santé physique et psychique », explique Nathalie Séguineau, assistante de service social à la Camna. « On reçoit tous les jours des jeunes dont beaucoup ont vécu des traumas dans leur pays d’origine ou au cours de leur parcours migratoire », renchérissait Etienne Fromont, psychologue à la Camna.
Au cours de ces deux jours, ces mêmes travailleurs sociaux auront dit leur détermination, mais aussi parfois leur désarroi, aidés par la parole universitaire pour mettre des mots sur les frustrations ressenties. « On parle d’une situation où les besoins sont sans commune mesure avec les moyens qui existent. S’ajoutent à ça des politiques migratoires étatiques qui sont restrictives et des politiques départementales qui visent à protéger des enfants. Donc on a une tension qui met les travailleurs sociaux dans une grande souffrance. », résumait Yasmine Bouagga, sociologue et coordinatrice scientifique de MINA 93.
Un constat qui allait de pair avec un autre : la volonté farouche qu’il faut en tant que migrant non accompagné pour faire face au parcours du combattant menant à une prise en charge. Après un parcours migratoire souvent traumatisant – dans le 93, la majorité des MNA proviennent du Mali et de Guinée-Conakry - il leur faut en effet se soumettre souvent à plusieurs évaluations de minorité, des entretiens effectués par la Croix-Rouge. Si l’évaluation est concluante, le sollicitant rentre dans le dispositif ASE. En revanche, s’il est rejeté, il retourne à la rue, ce qui concerne une grande majorité : en 2021, sur les 2700 sollicitants, seuls 300 ont au final été reconnus mineurs. La possibilité d’un recours a beau exister, ces jeunes déboutés sont alors souvent en complète perte de repères, comme l’a encore souligné un rapport de Médecins Sans Frontières qui pointait le fait que 50 % des 400 adolescents accueillis dans son centre d’accueil de jour de Pantin présentaient des troubles réactionnels liés à la précarité.
« Ça fait partie des points sur lesquels le système doit s’améliorer, convenait Pierre Stecker. Même si l’ASE n’y peut rien, il doit pouvoir exister des solutions pour les jeunes reconnus majeurs, qui bien souvent se mettent en danger et sont la proie de tout type de trafics. Une autre volonté du Département est de diminuer la part d’hébergement en hôtel des jeunes suivis, dans la mesure où une prise en charge en petits appartements est bien plus adaptée. Un effort a déjà été entrepris en ce sens : 338 jeunes sont actuellement en hôtel quand ils étaient 521 il y a un an, mais c’est encore trop… ».
Epée de Damoclès
Mais le labyrinthe administratif n’est pas encore terminé : à l’approche de sa majorité, le migrant non accompagné vit bien souvent avec l’épée de Damoclès de sa régularisation au-dessus de la tête. Se heurtant parfois même à l’absurdité des politiques migratoires qui le privent d’un titre de séjour quand il bénéficie pourtant d’une promesse d’embauche. « C’est vrai que parfois les politiques migratoires nous font baisser les bras. Quand on voit par exemple qu’un jeune qu’on a suivi pendant plusieurs années, qui a parfaitement joué le jeu, peut tout perdre parce que la préfecture refuse de lui délivrer son titre de séjour, on se pose la question du sens. Mais on essaie de prendre au jour le jour », témoignait Anissa Benmalek, éducatrice spécialisée à la Camna.
Au cours de ces deux jours, beaucoup de chiffres auront été cités pour décrire le phénomène des migrants non accompagnés. Mais comme le faisait remarquer Emeline Zougbédé, socio-anthropologue et l’une des organisatrices du colloque : « derrière les chiffres, on oublie malheureusement trop souvent qu’il y a des personnes. Il faut garder présent à l’esprit que ce sont des jeunes comme les autres. Peut-être plus fragiles que les autres, mais avec les mêmes envies : grandir, découvrir le monde, vivre leur vie ! »
Christophe Lehousse
(illustration : ©Emeline Zougbédé)
- Je voulais une chance de vivre, de Noémie Paté et Jean-François Roger sous la dir. de Claude Roméo : 11 récits de mineurs non accompagnés qui expliquent les raisons de leur départ, leur parcours migratoire et leurs difficultés à leur arrivée en France.
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