La révélation Fatima Daas
La jeune romancière clichoise Fatima Daas a réalisé fin 2021 une résidence d’écrivain aux Ateliers Médicis, un espace de création artistique soutenu par le Département. Celle qui a animé des ateliers d’écriture avec des jeunes de Seine-Saint-Denis sur le thème « trouver sa place » a désormais trouvé la sienne dans la programmation culturelle du territoire et le paysage littéraire français. Rencontre avec une écrivaine sensible qui conjugue les identités au pluriel.
« J’ai essayé d’être ultra à l’écoute des désirs des élèves de l’école de cinéma Kourtrajmé avec qui j’ai travaillé dans le cadre des restitutions d’ateliers du projet Chroniques documentaires de la Seine-Saint-Denis ». Après une dizaine de séances avec les apprenti∙e∙s cinéastes, la romancière a eu le plaisir fin novembre de voir leurs textes sur le corps, la sexualité, le mensonge ou la volonté de se réinventer... joués sur scène et applaudis par le public des Ateliers Médicis. Cette mise en abîme a beaucoup ému Fatima Daas, autrice de la très remarquée autofiction « La petite dernière » publiée fin 2020 aux éditions Noir sur Blanc.
Passer de l’anonymat à la célébrité
Révélation littéraire à tout juste 25 ans, la jeune femme a écumé les plateaux de France Inter, Arte, France Info et a fait l’objet d’innombrables portraits dans la presse quotidienne nationale comme Le Monde, Libération, Le Point... Son autofiction âpre et puissante raconte les tiraillements d’une adolescente élevée dans une famille musulmane pratiquante où l’amour et la sexualité sont tabous, qui découvre progressivement son attirance pour les femmes. Première autrice à avoir décrit le déchirement intérieur entre sa foi sincère et une vie sentimentale réprouvée par la religion, elle choisit « une plume libératrice » pour assumer ses contradictions, sans renoncer à ses identités multiples.
Une banlieusarde entre deux cultures
Née dans une famille nombreuse installée à Clichy-sous-Bois, Fatima est « la petite dernière » d’une fratrie de trois soeurs toutes nées en Algérie sauf elle. Moins à l’aise qu’elles en arabe dialectal, l’adolescente va vite se constituer une double culture entre voyages « au bled », prêches familiaux et influence hip-hop de ses camarades. Au lycée, elle accepte difficilement son homosexualité et participe à des ateliers d’écriture conduits par l’écrivain Tanguy Viel « sans doute pour dépasser certains non-dits dans (sa) famille ».
Bonne élève, la jeune fille est admise dans une classe préparatoire parisienne et subit des discriminations de la part des professeurs qui mettent maladroitement en cause sa féminité et ses capacités scolaires. Mal à l’aise dans cet univers, la clichoise intègre le Master de Création littéraire de l’université Paris 8 et se lance dans l’écriture de son autobiographie romancée, encouragée par l’écrivaine féministe Virginie Despentes.
« J’ai voulu employer un ton très direct, de l’ordre de l’oralité, pour exprimer mes tiraillements entre plusieurs influences : mon attachement à la France et à mes racines, ma religion et mon mode de vie... » déclare-t-elle, en espérant que son récit permettra à d’autres de trouver plus facilement leur place.
Un roman unique scandé comme du slam
Le roman initiatique « La petite dernière » permet surtout d’entrer dans la tête de Fatima Daas et de mieux comprendre son étrange « corps-à-corps avec Dieu ». Éduquée par un père violent et une mère aimante mais effacée, l’autrice a baigné pendant longtemps dans un rapport tabou à la sexualité. « À la télévision, il suffisait que la main d’un homme frôle celle d’une femme pour que mon père dise khmaj et change de chaîne illico presto. Khmaj, ça veut dire pourriture » écrit-elle dans un style presque rappé.
Entrée en littérature, la jeune femme assume la complication en refusant de condamner une religion pourtant hostile au lesbianisme. Fatima, encensée pour son livre personnel, déroute les journalistes en affirmant sur un plateau radio qu’elle est « une pécheresse et que c’est OK, personne ne pouvant être parfait... », déclenchant des critiques sur les réseaux sociaux. La polémique a vite été dépassée au vu du succès exceptionnel de son livre, vendu à plus de 30 000 exemplaires et traduit dans six langues.
Rassurée par la réception ultra-bienveillante du public, l’écrivaine qui multiplie les rencontres et les ateliers d’écriture, intervient régulièrement dans des collèges du département pour faire connaître la littérature contemporaine aux plus jeunes.
Très attachée à son territoire, la jeune femme rend hommage dans la presse « à la chaleur des habitants du 93, en particulier les Clichois qu’elle ne quitterait pour rien au monde ». Celle qui réalise aujourd’hui des tournées de promotions internationales a paradoxalement trouvé la sérénité en révélant ses tourments existentiels. À 27 ans, elle anime aujourd’hui une chronique sur France Inter et vient de signer l’adaptation de son roman au cinéma. On lui souhaite tout le bonheur du monde.
Fatima Daas, le photographe Baptiste Lignel et les étudiant·e·s de l’école de cinéma Kourtrajmé
Crédit-photo : Jean-Louis Bellurget
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