La médiathèque Annie-Ernaux, nouvel outil d’« émancipation »
Le 8 mars, la médiathèque Annie-Ernaux a été inaugurée à Villetaneuse, en présence de l’écrivaine. Ce nouvel équipement, qui prend le relais des deux précédentes médiathèques, propose désormais 20 000 ouvrages, ainsi qu’un auditorium flambant neuf. Reportage.
Naguesevary attend patiemment dans la file de gens venus se faire dédicacer un livre d’Annie Ernaux. Enfin, c’est son tour. La jeune femme de 30 ans, originaire d’Epinay – ville voisine de Villetaneuse – échange quelques mots avec l’écrivaine qui lui laisse également un mot dans son carnet. « Elle m’a mis : « pour écrire, il faut prendre une heure par jour, seule, et laisser courir ses mots sur le papier », lit la jeune femme, qui explique être venue demander des conseils d’écriture à l’auteure de « La Place » ou de « L’Evénement ». « Je ne l’ai jamais lue, mais ce qu’elle a dit sur l’importance des bibliothèques et de la culture m’a touchée », poursuit-elle.
En ce mardi 8 mars, l’inauguration de la nouvelle médiathèque de Villetaneuse, qui porte désormais son nom, aura aussi ému Annie Ernaux. « Je voudrais insister sur le rôle émancipateur de la culture auprès de toutes les femmes. », a notamment souligné l’autrice résolument féministe lors de sa prise de parole. Magazines, romans, DVD, albums musicaux : 20 000 ouvrages attendent désormais les usager·ère·s du nouveau lieu, qui prend le relais des deux anciennes médiathèques Max-Pol Fouché et Jean-Renaudie qui avaient fait leur temps.
« Je vais venir y emprunter des BD et des animés. Peut-être aussi quelques contes que j’aime bien, comme la Petite Sirène », affirmait Mamou, élève de 6e, scolarisée au collège Jean-Vilar qui jouxte le nouvel édifice. « Cette médiathèque, c’est une bonne nouvelle pour la ville. C’est ma fille, adepte de livres sur les sciences et l’espace, qui tenait à ce qu’on soit là pour l’inauguration. Moi, je vais en profiter pour prendre des ouvrages sur l’éducation, psychologie de la petite enfance », expliquait de son côté Jessie, habitante de Villetaneuse.
Salle de visionnage, coins de lecture colorés et même cuisine pédagogique : l’espace, qui aura au total coûté 8,5 millions d’euros financés par la Ville, l’État, Plaine Commune et la Région, a tout du « lieu de vie et de partage » souhaité par Annie Ernaux. L’auditorium, baptisé Zaïma-Hamnache, était aussi l’occasion de saluer une autre grande dame des livres. Décédée en 2020, cette pédagogue hors pair, qui a grandi en Seine-Saint-Denis, n’aura cessé toute sa vie durant d’oeuvrer à l’accès à la lecture pour tous et toutes, dès le plus jeune âge.
Lieu de vie, la médiathèque va le devenir très vite puisque dès son ouverture au public, samedi 12 mars, aura lieu l’inauguration de l’exposition des dessins d’habitant·e·s conçue en compagnie de Chloé Wary. Cette autrice de BD, dont la résidence à Villetaneuse est financée par le Département, aura travaillé avec les habitant·e·s sur les mutations de la ville. La naissance de cet équipement public en est une belle. Qu’on se le dise : la médiathèque Annie-Ernaux est désormais dans la place.
Christophe Lehousse
Photos : ©Nicolas Moulard
Annie Ernaux : « La culture ne doit pas être quelque chose de triste »
Vous qui avez été enseignante avant d’être autrice, j’imagine que vous êtes fière de voir une médiathèque porter votre nom...
Oui bien sûr, la fierté est grande. Mais il y a aussi de l’étonnement. Jamais je n’aurais pensé vivre ça. J’ai l’impression d’avoir vécu ma vie sans avoir de grandes ambitions. J’ai écrit avant tout parce que j’en avais besoin et il se trouve que j’ai eu un public. D’un seul coup, je fais le lien entre la petite fille que j’étais, qui entre dans une bibliothèque à Yvetot et ce soir. Bon, moi petite fille, j’avais été plutôt mal reçue : on nous avait fait sentir à moi et à mon père que nous n’étions pas assez bien pour un lieu comme celui-là. Mais les choses ont fort heureusement évolué. Je trouve ça formidable que ces lieux-là existent.
A quoi aimeriez-vous que ressemble la médiathèque Annie-Ernaux ?
Le livre est l’élément principal. Mais il y a maintenant d’autres sources de culture aussi : des salles numériques, des livres audio. Cette médiathèque, c’est un lieu de vie et de partage. J’aimerais aussi insister sur un point : le savoir, la culture, ce n’est pas triste. Il faut qu’on ait envie d’aller dans cette médiathèque.
Vous, quels ont été vos premiers souvenirs forts de lecture ?
C’est « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell, que j’ai lu à 8 ans. Ma mère l’avait acheté et en parlait avec les clients de son café-épicerie. Je m’étais jetée sur ce livre, mais forcément à 8 ans, je n’avais pas tout compris. Ce livre évoquait la guerre de Sécession, mais je ne savais pas du tout de quel côté il fallait que je me place. A l’époque, je prenais bien sûr fait et cause pour Scarlett (sudiste). Ce n’est qu’après que j’ai découvert que c’était sujet à caution.
La lecture, c’est une habitude, qui n’est pas toujours évidente à prendre. Comment fait-on pour faire aimer les livres à quelqu’un qui en est a priori éloigné ?
Je dirais qu’il faut trouver le livre qui va vous faire rentrer dans cette habitude. Il y a forcément un livre qui vous intéresse. Mon père par exemple n’aimait pas lire, il me disait d’ailleurs une chose terrible : « les livres, c’est bon pour toi ». Mais même lui aimait Guy de Maupassant, parce que ses histoires se déroulaient en Normandie, dans des endroits qu’il connaissait. Il faut qu’un livre vous parle quelque part, sauf à avoir pris l’habitude de se dépayser. Il n’y a pas à mon avis de mauvaise lecture. Les BD ou les mangas dont sont friands certains jeunes, ça peut par exemple être une bonne porte d’entrée vers la lecture.
En ce jour du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, quels sont selon vous les terrains qui sont encore à conquérir pour une égalité femmes-hommes ?
D’abord vous dire que je déteste cette journée. Le jour où elle disparaîtra, je serai heureuse, ça voudra dire qu’il n’y en a plus besoin, mais je ne le verrai pas de mon vivant. Ensuite, ces terrains sont multiples. On peut citer la monopolisation de la parole par les hommes ou encore l’égalité salariale. Tant de choses sont à faire.
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