Chloé Wary, la Saison des bulles
Cette jeune bédéaste anime toute l’année une résidence à Villetaneuse dans le cadre du programme départemental « Ecrivains en Seine-Saint-Denis ». Médiathèques, collèges, maisons de quartier, partout elle pose ses crayons et libère la créativité des habitants, en attendant l’inauguration de la nouvelle médiathèque de la ville en mars prochain.
« Ouah Madame, je savais pas qu’on pouvait dessiner le ciel comme ça ! » Soraya, 11 ans, est bluffée par l’art qu’a Chloé Wary de dessiner au feutre des couchers de soleil enfiévrés. « Mais attention, hein, c’est un secret de fabrication que je ne révèle qu’à vous », plaisante la créatrice de 25 ans, en atelier ce jour-là au collège Jean-Vilar de Villetaneuse.
Toute cette année scolaire, l’autrice de « La Saison des Roses » et de « Beethov-sur-Seine » va écumer les médiathèques, collèges et autres centres sociaux de la ville dans le cadre du dispositif « Ecrivains en Seine-Saint-Denis ». Le thème de sa résidence : les mutations de la ville, décidé en concertation avec la collectivité territoriale de Plaine Commune qui inaugurera en mars prochain une nouvelle médiathèque qui prendra le relais des actuels espaces Jean-Renaudie et Max-Pol Fouchet.
« Ce thème, ça me plaît parce que la ville est l’environnement dans lequel je baigne au quotidien et les habitants que je croise aussi. Quelque part, la BD sur laquelle je travaille actuellement, « Rosigny Zoo », parle aussi de ça : 4 personnages évoluent dans une ville imaginaire, Rosigny-sur-Seine, qui est un peu un mix des villes dans lesquelles j’ai grandi : Chilly-Mazarin et Savigny-sur-Orge ».
Des zones pavillonnaires, des grands ensembles, des personnages qui prennent le RER : la banlieue est en effet la toile de fond quasi permanente des ouvrages de Chloé Wary, même si celle-ci n’en fait pas un sujet en soi. « Ce que je veux raconter, ce sont surtout des vies de jeunes adultes et comment les mutations de la ville peuvent entraîner des choses positives et négatives : des pertes de repères, un questionnement sur la mémoire, sur la transmission… »
Ce mercredi matin d’octobre, Chloé Wary propose donc un petit exercice de création à des 6e du collège Jean-Vilar. Cette grande observatrice, qui se réclame du naturalisme d’un Zola, a apporté des planches de BD aux cases vides, à l’exception de quelques photos du décor urbain de Villetaneuse. A charge pour les élèves de remplir le reste. « Eh cette tour, je la reconnais, c’est là où vit ma soeur ! », s’exclame Aminata. « Et là, c’est le KFC ! », renchérit Syheme. « Allez-y lâchez-vous : vous n’êtes pas obligés de raconter une histoire, ça peut être un simple trip graphique », les incite Chloé qui passe de table en table pour résoudre quelques problèmes de dessin ou répondre à des questions.
Hamdi, qui aimerait devenir « soit dessinateur de mangas, soit pilote d’avion », veut par exemple savoir « comment elle a fait pour devenir autrice de BD ». Après l’avoir félicité pour son utilisation du terme « autrice », la jeune femme lui brosse en quelques traits son parcours : « Petite, je ne faisais que dessiner et inventer des histoires. Au départ, je ne savais même pas qu’on pouvait en faire un métier et ensuite j’ai fait une école pour me perfectionner. Si c’est ce qui te rend heureux, fonce ». L’air de rien, Hamdi s’empare de la Saison des Roses, BD de la principale intéressée sur le foot féminin. Et ses mains commencent à tourner les pages…
Personnages principaux féminins
Un peu plus loin sur les étagères, on trouve un autre album de Chloé Wary, « Conduite interdite », son ouvrage de fin d’études quand elle est sortie diplômée du lycée des arts appliqués Auguste-Renoir (18e arr). L’histoire vraie de Nour, l’une des 47 femmes à avoir manifesté en 1990 en Arabie saoudite pour obtenir le droit de conduire. On l’aura compris : Chloé Wary est un peu féministe sur les bords. Elle qui joue depuis 2016 dans l’équipe féminine du FC Wissous comme défenseure centrale, s’indigne à juste titre qu’on puisse encore employer l’expression « sport de garçon ». Et s’emploie à créer des ouvrages avec des personnages principaux féminins, ce qui a manqué à son époque. « Ado, je ne lisais pratiquement que des shojos, des « mangas pour filles », très genrés. Aujourd’hui, je serais un peu en colère contre l’ado que j’étais, mais en même temps, ça vient aussi du fait qu’il y avait peu d’héroïnes dans la BD francophone. »
Celle qui a aussi accompagné pendant plusieurs mois l’orchestre classique « Insula Orchestra » basé à la Seine Musicale de Boulogne-Billancourt pour sa BD sur Beethoven considère que la curiosité est surtout affaire de maturité et de rencontres. « Je trouve ça super d’arriver à piquer la curiosité des jeunes alors que les sollicitations pour eux sont multiples : les écrans, les jeux vidéo… Souvent la meilleure passerelle, c’est un proche ou une rencontre fortuite. Après, ce n’est pas le genre de choses qui se commande », glisse-t-elle.
Michel, penché sur sa feuille où il raconte une super course-poursuite avec un fantôme dans les rues de Villetaneuse, lève le crayon un instant pour l’écouter. « Je lis, mais je n’ai pas l’habitude d’aller à la médiathèque. Mais là, Chloé m’a donné envie d’aller à la nouvelle, quand elle ouvrira. », souffle-t-il. Avec notamment une grande exposition des dessins de tous les habitants croisés lors de la résidence de l’autrice, dont ceux des 6e de Jean-Vilar.
Christophe Lehousse
Photos : ©Bruno Lévy
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