« L’homme en noir » pleure son créateur Némo
Le pochoiriste montreuillois Némo est décédé en mi-septembre à l’âge de 74 ans. Considéré comme un des pionniers du street art en France, il a essaimé pendant quarante ans ses silhouettes en ombres chinoises - et le fameux « homme au pardessus noir » - sur les murs de Paris et de la Seine-Saint-Denis. Les graffeur·euse·s qui l’ont connu lui rendent un dernier hommage.
C’est un tweet de son congénère Christian Guémy qui a dévoilé la triste nouvelle. Némo - Serge Faurie sur le registre de l’état civil - s’en est allé comme il a vécu, dans une discrétion absolue. Aussi énigmatique que son personnage de prédilection, le père de la silhouette à l’imperméable et au chapeau mou a bombé sa créature dans les rues du monde entier : Bogota, Valparaíso, New York, Tanger... Ce faisant, il a créé un véritable langage visuel, qui a inspiré des générations entières de graffeur·euse·s.
Il débute pour distraire son fils
Élevé à Montreuil où il retourne vivre, Serge Faurie pratique longtemps le métier de professeur de mathématiques puis informaticien pour l’Éducation nationale. En 1973, il découvre le personnage de Little Némo de Windsor McCay en lisant des histoires pour endormir son fils. Quelques années plus tard, il décide de pocher le petit héros sur le chemin de l’école de son fils et prend le pseudonyme de Némo.
Six ans plus tard, le père affectueux monte une entreprise et peint une grande cloison à l’entrée du local. Il imagine alors un personnage urbain fédérateur qui pourrait être confondu de loin avec un véritable passant. La silhouette noire se voit enrichie d’une valise, d’un parapluie ou d’un cerf-volant et lâche souvent dans les airs un ballon rouge, symbole fétiche inspiré d’un film d’Albert Lamorisse.
Le pochoiriste, qui souhaite que « l’art soit gratuit, accessible à tous, sans le souci d’être à la mode » a rempli de poésie les murs abîmés ou les fenêtres murées de Belleville et de Ménilmontant. Très attaché à la Seine-Saint-Denis, il peint quatorze peintures murales sur les chemins qui mènent au Stade de France (avenue du président Wilson). Longtemps associé avec les street artistes Jérôme Mesnager et Mosko, il peint des scènes amusantes ou oniriques au détour des rues de Montreuil et de Bobigny. Son personnage partira aussi en voyage avec son créateur sur plus de 160 murs à Bogota en Colombie, puis dans les villes du monde entier : Buenos Aires, Santiago de Cuba, Lisbonne... et se posera même sur les flancs d’un cargo.
L’hommage des graffeur·euse·s du territoire
Aux yeux des amateur·rice·s de street art, Serge Faurie est un véritable virtuose du pochoir, précurseur avec Miss Tic, Jef Aérosol, Blek le Rat... de la déferlante de la peinture de rue. Les artistes qui l’ont connu ou se sont inspiré de ses oeuvres sont en deuil et lui rendent un hommage appuyé entre autres sur les réseaux sociaux.
Jérôme Mesnager
Je suis triste. Triste à l’infini. Pendant des années, nous avons peint ensemble tous les jours. Nous avons conçu des peintures à deux en jouant sur le noir et le blanc avec des compositions très élaborées. C’était un rêveur, un grand poète, qui travaillait dans la discrétion et portait un très joli regard sur le monde. C’était une âme pure, vraiment.
Gérard Laux, alias Mosko
J’ai rencontré Némo en 1996. Il fait partie de ceux qui m’ont poussé à me mettre à peindre dans la rue. C’était un ami qui s’en va et un pilier de l’art urbain. On a fait le « zoo » de Ménilmontant, rue du Retrait ensemble avec Jérôme Mesnager. Une toute première collaboration. Ensuite, c’est une amitié de 25 ans. (...) C’était un libertaire, un militant de la poésie. Il laisse l’interprétation de son oeuvre à tout un chacun. Il était très attaché à la rue. L’engagement des années 80 était tourné vers le public, le partage avec les gens. Il y a une dimension sociale dans son travail.
Christian Guémy, plus connu sous le nom de C215
Némo est un artiste qui a fait le lien entre la vague du pochoir dans les années 80 et le renouveau auquel on peut m’assimiler dans les années 2000. Il savait mener des projets qui s’adressaient vraiment au grand public et a créé un langage en faisant voyager son personnage avec soi sous forme de cartes postales un peu à la façon d’Amélie Poulain. (...) La célèbre « Petite fille au ballon » de l’artiste anglais Bansky est directement inspirée de « L’homme en noir » de Némo. Si Bansky ne l’a jamais reconnu, c’est le moment de lui rendre justice.
Touché par son univers onirique, l’écrivain Daniel Pennac lui a pour sa part consacré la publication « Némo par Pennac » en novembre 2006. L’auteur de « La fée Carabine » a dévoilé récemment son chagrin. « Je suis tombé amoureux du travail de Serge Faurie et je voulais rendre hommage à ce créateur de peintures fugaces. Par ce livre, j’ai voulu conserver une trace de son art, tout en saisissant les raisons de ma passion pour son oeuvre. L’effet poétique de ses pochoirs impromptus, leur pouvoir d’évocation inouï sur les murs de la ville, déclenche toujours chez moi de grandes rêveries. Pour moi, Némo, c’était la quintessence du talent ».
Crédit-photo : Marc Menou/ Le Parisien
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