Kei Lam croque l’âme de La Noue
L’autrice et illustratrice de bande dessinée franco-hongkongaise Kei Lam vient de publier "Les Saveurs du Béton", un ouvrage autobiographique dans lequel la jeune femme raconte son arrivée, à 10 ans, dans le quartier de La Noue, à Bagnolet. Des souvenirs teintés d’humour, d’autodérision mais aussi de désillusion. Rencontre avec celle qui vit désormais à Montreuil.
Kei Lam a quitté le quartier de La Noue, à Bagnolet, depuis une bonne dizaine d’années, mais la vie fait qu’elle habite aujourd’hui à quelques encablures, dans le centre-ville de Montreuil. Une ville qu’elle affectionne particulièrement pour ses parcs et ses divers lieux culturels, comme Le Méliès. C’est justement dans la cafétéria de ce cinéma d’art et d’essai (le plus grand d’Europe !) que l’autrice et illustratrice de bande dessinée nous donne rendez-vous pour parler de son dernier opus (le deuxième), "Les Saveurs du Béton". Un récit autobiographique dans lequel la jeune femme de 36 ans relate son emménagement à La Noue en 1995 alors qu’elle a 10 ans et les mois qui ont suivi. Ses souvenirs, Kei Lam les avait déjà exhumés dans un premier album, "Banana Girl", paru en 2017 et qui décrivait son arrivée en France à 6 ans. A l’époque, elle avait quitté Hong Kong avec sa mère pour rejoindre son père à Paris où il était parti pour tenter sa chance en tant qu’artiste peintre.
« Pour l’instant, je privilégie l’autobiographie pour mettre la lumière sur des personnes invisibles, en l’occurrence une famille d’immigrés chinois dont je suis issue et dont le parcours en France est semé d’embûches, mais aussi parce que je ne me sens pas légitime de faire autre chose, je crains par dessus tout le jugement que peut me réserver le public expert en bande-dessinée », confie celle qui était il y a six ans encore ingénieure en aménagement de l’espace public. Pour s’adonner à sa nouvelle passion, l’illustration, Kei Lam prend dans un premier temps des cours du soir mais face à la difficulté de mener de front ses deux occupations, elle décide de quitter son job, stable et grassement payé, pour intégrer l’école de Condé à Paris et vivre ainsi une nouvelle aventure. Pleine d’incertitudes celle-ci. « Jusqu’ici, je m’étais toujours construite par opposition avec mon père, un artiste peintre bohème et sans le sou. Je ne voulais surtout pas de sa vie, enfant je refusais qu’il m’apprenne à dessiner. J’ai fait des études scientifiques et fait le choix de la sécurité de l’emploi. Pour finalement tout abandonner, car au fond ce n’était pas moi. Aujourd’hui, je ne peux plus nier que je marche sur les pas de mon père. »
Cauchemar en préfecture
Dans "Les Saveurs du Béton", tout commence très bien. Elle et ses parents troquent leur chambre de bonne à Paris contre un trois pièces à La Noue, un quartier qui, avec ses tours et son échangeur desservant l’autoroute et le périphérique, lui rappelle furieusement son Hong Kong natal. « J’avais ma chambre et l’appartement offrait une vue magnifique, que demander de plus ?, questionne l’autrice. Mais les problèmes se sont ensuite accumulés très vite. » Pour ses parents - sa mère est femme de ménage, son père croque le portrait de touristes à Beaubourg -, les fins de mois sont difficiles. Aussi se retrouvent-ils vite en incapacité de payer les charges de l’immeuble et de la dalle qui la jouxte. « Dans la résidence, beaucoup de propriétaires se sont retrouvés dans la même situation », se souvient l’autrice. Résultat, les parties communes n’étaient pas entretenues et quand l’ascenseur tombait en panne, il le restait un bon moment. Pour rappel, situé à cheval sur Montreuil et Bagnolet, le quartier de La Noue fait depuis quelques années l’objet d’un projet de réhabilitation soutenu par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Classé « quartiers prioritaires de la politique de la ville » (QPV), le site, avec ses barres d’immeubles et ses dalles en béton, accueille régulièrement des tournages de films… sur la banlieue, pour la plupart.
« Ecrire pour moi est un acte d’engagement politique. Dans ce livre, j’ai voulu parler de ma condition de banlieusarde – la banlieue a forgé mon identité - mais aussi de petite fille d’immigrés asiatiques qui, trop souvent, sont la cible de propos et d’agressions racistes. Le cliché selon lequel les Asiatiques sont riches et possèdent sur eux de l’argent liquide a vécu. Un jour mon père s’est fait détrousser par une bande de malfrats alors qu’il n’avait jamais rien », déplore la Montreuilloise qui regrette par ailleurs que les minorités ne soient pas mieux représentées dans les médias.
Entre quelques anecdotes savoureuses sur ses camarades de classe ou la communauté chinoise, elle dépeint aussi, non sans sarcasmes, la difficulté que représente le renouvellement d’un titre de séjour pour un demandeur.
« Les rendez-vous en préfecture sont évoqués dans la BD à plusieurs reprises pour montrer à quel point la démarche, entre la lourdeur administrative et le mépris absolu auxquels les gens sont confrontés, est contraignante et ubuesque. Quand on s’y rendait, un sentiment d’injustice très fort m’envahissait », détaille Kei Lam, qui s’estime ni tout à fait française, ni tout à fait chinoise, ni tout à fait hongkongaise (Hong Kong est un territoire qui jouit d’un statut spécial). « Petite, je ne cherchais pas à savoir qui j’étais. J’ai commencé à me faire des nœuds au cerveau quand je suis devenue adulte et je n’ai toujours pas de réponse », dit-elle.
Pour La Noue, où ses parents habitent encore, elle éprouve un sentiment ambivalent, entre attirance et rejet. « J’ai pris mes distances avec ce quartier qui me renvoie une sensation d’échec mais auquel je suis quand même très attachée. C’est triste de le voir continuer à se dégrader année après année alors que tout autour le paysage est en mouvement, l’arrivée du parc départemental Jean-Moulin-Les Guilands étant l’exemple le plus frappant. » Le hasard faisant bien les choses, Kei Lam a été acceptée en résidence dans la Maison dudit parc, un espace culturel où elle va pouvoir dès la rentrée prochaine réfléchir à son troisième album, « un récit autobiographique évidemment. » Un projet financé par le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis qui fait suite pour elle à une série d’ateliers d’écriture menés au lycée Jean-Jaurès de Montreuil et soutenus par la région Ile-de-France. « C’est simple, sans toutes les aides que m’octroient les collectivités, je ne pourrais pas travailler », résume la bédéiste.
- Les Saveurs du Béton, de Kei Lam, éd. Steinkis, 20 euros
Photo : ©Bruno Lévy
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