Katerina Christidi, une artiste résolue
La collection départementale d’art contemporain vient d’acquérir une œuvre de l’artiste grecque Katerina Christidi. Un travail tout en nuances au dessin exempt de lignes, brillant comme une paroi de graphite. Venez la découvrir à l’exposition « Poudres et forêts » jusqu’au 4 octobre, à Vaujours, dans le Parc départemental de la Poudrerie à Sevran, au Pavillon Maurouard. Interview dans son atelier de Pantin.
Vous avez toujours travaillé le fusain ?
Non, j’ai commencé par la peinture mais sans jamais beaucoup utiliser de couleurs. Même si je l’apprécie chez les autres peintres, la couleur me parait trop forte pour moi. Son impact est si grand qu’elle m’empêche de me concentrer pour travailler. Elle m’empêche de regarder vraiment les formes.
Si en Grèce les couleurs sont fortes, ici à Pantin, il y a du gris, du gris clair, du beige...
C’est parfait pour le travail que je fais ! J’adore la lumière du Nord, elle est idéale pour les fusains. Elle permet un travail en nuances. C’est aussi pour cela que je préfère travailler tard même en hiver, avec la lumière naturelle, avant que la nuit tombe. Les formes émergent d’une façon plus soutenue.
Votre geste est fait d’une succession de traits verticaux. Cela donne une texture qui est proche du bois.
Ce n’est pas voulu. Ce qui m’intéresse c’est de ne pas délimiter les formes. Les surfaces travaillées se posent l’une sur l’autre. Je remplis d’abord complètement la surface de la toile avec ce geste répétitif de même intensité, vertical. Et je commence à travailler les formes. Petit à petit, je fais une deuxième couche. Puis une troisième couche et les formes commencent à émerger presque comme un procédé photographique.
Vous faites disparaître les dessins de la première couche avec la seconde et ainsi de suite. Ces dessins qui disparaissent vous touchent-ils ?
Je ne sais pas si c’est une question émotionnelle. Pour moi c’est plus cérébral. Comme je n’efface pas ces dessins, leurs traces se superposent et créent la profondeur de la toile. Ces dessins disparaissent, mais quelque part, ils sont là derrière et donc ils créent l’histoire. Ils s’inscrivent en elle. C’est plutôt le fait qu’il en reste toujours quelque chose qui me touche. Et puis c’est dans le processus artistique. C’est comme les peintres qui mettent du jaune, du rouge, et par-dessus une autre couleur. Ils effacent, ils reprennent. Ils font un travail monumental pour le détruire parce qu’ils trouvent autre chose.
A combien de centimètres de la toile vous positionnez-vous ?
Pas très près car il faut que je fasse des liens entre la surface travaillée et tout ce qui se passe autour. C’est une question de distance physique, je m’approche, je recule. Je perds quelque chose. Je regarde ce que je fais. Je ne dessine pas frénétiquement. Je passe mon temps à regarder, à imaginer des formes. Je cache des choses. Je fais en sortes d’en ramener d’autres. Beaucoup de formes émergent de cette façon pendant la création. Je suis comme les enfants qui regardent les nuages, je trouve des formes qui nous ressemblent. Quand j’étais petite, je regardais le tapis de mon grand-père. C’était abstrait. C’était des ornements. Moi je créais des histoires. C’est un peu ce qui se passe en regardant beaucoup, j’arrive à choper les formes qui apparaissent.
Racontez-vous des histoires dans vos toiles ?
Je commence par faire quelque croquis sans vraiment mettre en place de narration. Je pose une figure qui présente des caractéristiques élémentaires. Une figure élémentaire, je pourrais dire. La seule histoire que je me raconte, c’est que cette figure se trouve dans un univers familier et étranger en même temps. Les deux à la fois dans de multiples réalités. Elle trouve sa place à mesure que le travail avance. D’autres formes s’incrustent alors et créent de nouvelles tensions. Je ne me raconte pas d’histoires, c’est la toile qui me raconte des histoires et la façon dont elle avance. C’est la matière, la peinture qui me raconte une histoire.
Est-ce que ces figures élémentaires ont une existence ?
Je ne sais pas. Elles existent dans la toile. Je dirai que ces humains élémentaires -car ce sont des humains- sont surpris d’être là. Ils regardent le spectateur. Il y a une théâtralité, toujours une mise en scène.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Je m’appuie sur des émotions réelles. Ces personnages sont une traduction de mes émotions. Ils sont un peu troubles. Ils ont des secousses à l’intérieur. C’est la vie dans son étrangeté qui m’inspire. Comme disait Thomas Mann la vie peut être absurde si elle grandit dans un champ absurde. Voilà.
Votre travail me fait penser à la pièce de Samuel Beckett « En attendant Godo »
L’idée de Godo m’intéresse beaucoup. On est là. On attend. Qu’est-ce que je fous là ? Il y a une absurdité d’attendre Godo qui ne vient jamais. Il y a une adresse au spectateur, quelque chose qui l’appelle. Il y a une théâtralité.
Je reviens à votre geste, répétitif et artistique, qui m’évoque le compositeur Steeve Reich. Qu’est-ce qu’il vous procure ?
Le fait de répéter ce geste provoque chez moi de l’énervement, de la fatigue, un état méditatif et du plaisir. Je suis, comme les personnages de la toile, là et pas là. Présente et extraite à ce que je fais. Je peux penser à autre chose comme si mon esprit allait vraiment ailleurs. Et parfois, je suis complètement absorbée. Il y a les deux à la fois.
Pourquoi dessiner sur une toile aussi grande au fusain ?
Le fusain est un matériau que je connais bien. En Grèce, je l’ai beaucoup utilisé pour préparer les Beaux-Arts. Il n’était pas cher à l’époque et facile à travailler, à effacer, à reprendre. Il produisait très facilement des contrastes dramatiques. J’avais pour lui une appréhension et une attirance.
Je voulais le travailler en retenu pour obtenir quelque chose d’un peu plus sourd, étouffé pour permettre d’autres tensions. J’ai commencé en 2008 à lui enlever son côté immédiat, très franc, ses contrastes, ce noir très fort en dessinant sur la toile. Après l’avoir préparée en appliquant deux couches de colle, le fusain n’accroche toujours pas vraiment. La toile rejette le fusain, refuse de l’absorber. Je dois procéder par petites touches. Cette tension-là m’intéresse beaucoup.
Comment réussissez-vous alors à faire tenir le charbon sur la toile ?
Je mets beaucoup de fixatif, énormément, peut-être 20 bouteilles. J’utilise des colles très chimiques. C’est très mauvais. J’aère, je porte un masque, je quitte la salle. Je reviens un quart d’heure après.
Et si votre dessin ne vous convient pas ?
Parfois je tamponne pour faire tomber un peu de matière. Mais je suis contrainte de continuer. La contrainte c’est que je ne peux ni effacer ni revenir en arrière.
Est-ce un combat avec la toile que vous menez ?
Parfois, je mets beaucoup de temps à terminer une toile. Celle-là, j’y ai passé trois mois non-stop. Celle-là, un peu plus. Idéalement, j’aimerai travailler plus vite, réaliser plusieurs toiles à la fois… Je commence à accepter que cela peut prendre beaucoup de temps.
Pour créer vos figures élémentaires, vous avez besoin d’une toile, de charbon et de colle. Cela vous suffit ?
J’ai besoin de peu de choses pour dessiner. J’aime bien la modestie des matériaux. J’aime qu’ils ne soient ni spectaculaires, ni très attrayants. Même si j’ai quand même envie que mes dessins plaisent.
Vous exposez actuellement à « Poudre et forêt », avez-vous l’impression parfois de travailler avec de la poudre, de la poudre à canon, à fusil ?
Non, je ne dessine pas avec la poudre. Le fusain devient poudre quand il frotte la surface de la toile. Le fusain laisse toujours des tonnes de poudre tomber sur le sol. J’en garde dans des pots depuis des années.
Est-ce que les forêts vous inspirent ?
Les forêts sont en nous. Quand j’étais enfant, on rentrait dans des forêts où tout était mystique et mystérieux. Les lumières rentraient. On créait des caves. C’était tout un monde. C’était assez sombre. Peut-être que j’en suis imprégnée mais ce n’est pas une référence immédiate.
Où trouvez-vous l’inspiration alors ?
Je suis plus intéressée par les rochers, par des matières où il y a des plis. J’ai des photos de plis. (Ndr Katerina Christidi montre des photos de statuaires grecques portant des toges) Cela crée des espaces avec des volumes, des lumières, du mouvement. Et à travers ces plis naissent les figures. Mais on est plus dans le minéral, dans les paysages des Cyclades que dans les forêts.
Ces images de statuaires grecques vous aident-elles à dessiner ?
C’est un choix récent et conscient. Une base. Avant je partais un peu plus sur des eaux complètement inconnues.
Vos toiles ont un aspect très minéral. L’art rupestre vous intéresse-t-il ?
Je pensais justement à visiter des grottes il y a peu. J’aime beaucoup cette idée qu’à l’époque préhistorique, pour découvrir les dessins dans les grottes, on passait avec une torche pour mieux voir certaines formes. La question de la lumière et de l’ombre m’intéresse. Elle est vraiment primordiale. Comment la faire apparaître derrière le noir ? Pourquoi est-elle plus absorbée par le noir ? Comment s’enfuit-elle parfois ? Elle disparaît... encore cette histoire de disparition.
Ces toiles ont été réalisées pendant le confinement. Comment l’avez-vous vécu ?
Pour vous dire toute la vérité, c’était génial le premier confinement. J’avais du temps infini. Je ne donnais pas de cours. Je ne voyais personne. Les musées étaient fermés. J’étais là dans mon atelier tout le temps. J’étais complètement absorbée et concentrée par le travail. J’ai très bien travaillé. Il y avait une sérénité, une tranquillité. La ville était silencieuse. Pour le deuxième, ça commençait à bien faire. J’ai besoin d’aller dans les musées, voir des galeries, ma vie est impossible sans eux.
savoir plus :
Rendez-vous à l’expo Poudres et forêt au Parc de la Poudrerie à Sevran.
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