Julie Deliquet, un théâtre en prise avec le monde
Possédant une formation de comédienne, cette metteuse en scène a pris la suite de Jean Bellorini à la direction du Théâtre Gérard-Philipe. Déjà artiste associée au lieu à l’époque de son prédécesseur, elle défend un théâtre qui reflète la société française d’aujourd’hui.
Vous avez pris vos fonctions en avril dernier, en plein confinement. Il y a plus facile j’imagine…
« C’est vrai que prendre la direction d’un théâtre qui fermait et gérer une crise sans précédent n’était pas simple, mais ça s’est fait avec un élan de solidarité. Sur le moment, tous les salaires ont été assurés et on a trouvé des solutions de report pour les spectacles ou les résidences. Mais à partir du moment où Avignon a été annulé, il y a eu une seconde vague d’inquiétude, qui dure encore. Tellement d’artistes, d’intermittents sont concernés... On ne sait pas jusqu’où ira l’onde de choc. »
Votre saison s’ouvre le 9 septembre, avec quantité de thématiques : des conflits de génération, les fantômes de la colonisation et des propositions participatives. Votre but, c’est de parler à tout le monde ?
« Oui bien sûr. Cette saison est celle du passage de relais avec Jean Bellorini - raison pour laquelle on retrouve par exemple la Troupe éphémère, un collectif de jeunes acteurs amateurs - et elle se veut en prise avec des thématiques actuelles : le féminisme, l’héritage colonial (Et le coeur fume encore, programmée fin septembre) et aussi l’idée du « prendre soin ». Prendre soin par rapport à la maladie, dans une situation de fin de vie (Olivier Masson doit-il mourir ?, en mars) ou à travers les premiers grands procès de la lutte pour les droits des femmes (Hors-la-loi, en novembre 2020). »
Vous mettez aussi en scène des pièces créées par votre collectif In Vitro. Pouvez-vous nous le présenter…
« In Vitro, ce sont des acteurs que j’ai connus lors de ma formation théâtrale (au Conservatoire de Montpellier puis à l’école du Studio-Théâtre d’Asnières, ndlr). On a décidé de se réunir pour donner naissance à plusieurs spectacles à travers le processus de répétition. Autrement dit, au fur et à mesure de la répétition s’élabore un spectacle qui présente la particularité de ne pas être écrit. C’est le cas de « Nous sommes seuls maintenant », un spectacle qu’on reprend cette année au TGP et qui a été pour nous assez fondateur. Douze acteurs sont en plateau à l’occasion d’un dîner à la campagne et interrogent l’héritage de leurs parents, la génération de Mai 68. S’en dégage une critique un peu tendre d’une génération qui a incarné une forme d’absolu de la jeunesse face à laquelle on ne pouvait que complexer. »
Mais il y a aussi la génération qui a 20 ans aujourd’hui, qui se positionne par rapport aux quadras…
« Oui tout à fait. Je dois dire que je suis admirative de la génération qui arrive, sur un plan artistique comme politique. Les jeunes aujourd’hui portent haut et fort des thématiques après lesquelles nous on court un peu : la question du genre, la question écologique, celle de nos racines. Ça nous force nous quadras à nous remettre en cause. C’est pourquoi j’ai aussi souhaité que la jeunesse occupe une place de choix dans la programmation : Candides, un grand projet adolescent, vise par exemple à faire travailler des jeunes et des jardins partagés de la ville autour de la fameuse maxime de Voltaire : « Il faut cultiver son jardin ».
Il est parfois difficile de faire venir au théâtre toutes les populations, pas simplement les catégories les plus aisées. Comment comptez-vous vous y prendre ?
« Au théâtre, notre mission est de représenter le monde. Or ce monde est dans une mutation sociétale profonde et il faut que nos plateaux soient un reflet de cela. Si les populations d’ici se sentent représentées sur scène, je pense que c’est déjà un bon argument pour qu’elles viennent. Et ça, c’est vraiment en train de changer à l’heure actuelle, sur les plateaux avec la diversité de la France d’aujourd’hui comme dans les thématiques retenues. Après, il n’existe pas de formule magique. Des projets faisant participer les habitants sont bien sûr essentiels, mais il ne faut pas que ça, il faut aussi l’adjoindre à une recherche théâtrale, qui soit totalement libre. »
Quel est votre regard sur la Seine-Saint-Denis, vous qui la connaissez déjà puisque vous avez été artiste associée au lieu à partir de 2014 ?
« Il y a d’abord cette jeunesse, qui est une force vive. On sent notamment que grâce à elle tout est possible. Ce territoire a aussi été extrêmement touché par la crise sanitaire, qui a en même temps confirmé son énergie : personne ne s’est posé de questions au moment où il fallait se montrer solidaire. Je dirais donc qu’il y a un vent d’espoir incroyable, mais aussi une fragilité qu’il ne faut pas ignorer. »
Enfin, allez-vous travailler avec d’autres structures, dans ce département qui est riche de nombreux lieux de création ?
« Oui bien sûr. C’est d’ailleurs ce que l’on avait commencé à faire avec « La Beauté du geste », un manifeste regroupant de nombreuses structures, écrit pour le lancement de l’Olympiade culturelle (mise en berne depuis en raison du Covid, ndlr). A la rentrée, nous comptons bien rencontrer les différentes compagnies de Saint-Denis et du territoire et les lieux qui vont avec. Car je crois beaucoup aux lieux de création, à leur énergie. Le Théâtre de Vanves a par exemple beaucoup compté dans mon parcours. Faire ensemble, c’est vraiment mon credo : ça ne m’intéresse pas de faire ce métier toute seule. »
Propos recueillis par Christophe Lehousse
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