Hip-hop : une danse, un diplôme, un patrimoine
« Danseurs de Hip-hop. Trajectoires, carrières et formations », tel était l’intitulé de l’étude sociologique présentée ce 14 octobre au Centre national de la Danse à Pantin. 40 ans après sa naissance en Seine-Saint-Denis, la discipline est toujours tiraillée entre l’aspiration à la reconnaissance par l’Etat, et la revendication de son autonomie. Un entre-deux obstacle à la constitution d’un patrimoine.
Le hip-hop dansé a 40 ans. Né dans les rues de New-York, la jeunesse populaire s’est rapidement approprié cette danse, pratiquée sur les terrains vagues, dans les discothèques, sur les places publiques et les dalles des cités. Lieu emblématique de cette histoire, la Seine-Saint-Denis constitue dès les années 1980 une des terres où s’est forgée la danse hip-hop à la française.
« Le premier festival mettant l’univers à l’honneur a eu lieu lors de « Fête et forts » à Aubervilliers en 1984 » , détaille Louis Jésu, sociologue. Mais l’univers hip-hop a conquis l’Hexagone tout entier, et aujourd’hui c’est la danse qui attire le plus les jeunes amateurs. Pourtant, il n’existe toujours pas de diplôme de hip-hop reconnu par l’Etat, que ce soit pour les professeurs ou pour les interprètes. C’est dans l’ambition de créer un tel diplôme que le ministère de la culture a commandé une étude sur les trajectoires, les carrières et les formations des danseurs hip-hop aux sociologues Aurélien Djakouane et Louis Jésu. Ils présentaient le résultat de leur travail au Centre National de la Danse, à Pantin le 14 octobre.
Trois générations de danseurs
Trois générations de danseurs ont été distinguées par les sociologues. La première, les passeurs, nés entre 1965 et 1980 ont posé les fondements d’un hip hop à la française. « Outre la création artistique, le hip-hop était aussi un moyen de réhabiliter un groupe socialement stigmatisé », explique Aurélien Djakouane. « Le hip-hop, c’était un cri social. Je n’étais plus l’arabe, j’étais le danseur », témoigne dans leur brochure un danseur né en 1973. A cette époque, la pratique en collectif domine, et les danseurs qui intègrent des compagnies y restent longtemps. La seconde génération, née entre les années 1990 et 1995, bénéficie de l’ouverture institutionnelle et marchande vis-à-vis de cet art. La danse hip-hop s’autonomise par rapport à la danse contemporaine, des danseurs de la première génération ont fondé leurs propres compagnies, qui ouvrent des débouchés aux tenants de la seconde. Du côté marchand, l’industrie culturelle ouvre des opportunités dans le cinéma, la publicité, la comédie musicale dès le début des années 2000.
Cette diversité mène à un éclatement des carrières, qui amoindrit la possibilité de faire collectif, et les individualités sont plus mises en avant. La précarité se généralise, et les niveaux de rémunération sont très aléatoires. La troisième génération, qui entre sur le marché du travail entre 2010 et 2020, a accès à encore plus d’emplois. La discipline se professionnalise, et l’on voit éclore de plus en plus d’écoles et de cursus, qui incitent les danseurs à approfondir une spécialité : la danse de scène, le Battle ou les prestations commerciales. Quelles que soient les générations de danseurs, les parcours autodidactes sont une des spécificités du hip-hop : même les plus grands continuent de fréquenter des lieux de pratique du hip-hop ou les réseaux sociaux pour les plus jeunes pour continuer de se former tout au long de leur vie professionnelle. Dans le même temps, les carrières des danseurs s’allongent, passant de l’interprétation à la création chorégraphique, l’enseignement, la production d’événements ou la direction d’équipements culturels.
Section de hip-hop au collège Garcia-Lorca de Saint-Denis
Les sociologues détaillent les ressources nécessaires à la pratique professionnelle du hip-hop. L’inscription dans le temps de la danse hip-hop oblige à se poser de nouvelles questions. « Les corps sont mis sous pression, les carrières s’allongent. Il faut, pour affronter la concurrence, danser toujours plus, pour faire des vidéos, pour se faire connaître », souligne Aurélien Djakouane. Enfin, il faut, pour durer dans le temps, des ressources en terme de réseau, en terme scolaires- « On demande de plus en plus aux danseurs de parler de leur art, et pour cela, avoir fait des études est un atout », indique A. Djakouane, et des ressources économiques « pour ne pas être obligés de sauter sur toutes les opportunités, économiser son corps et passer les moments de creux ». Un ancrage local, proximité avec une mairie pour obtenir la mise à disposition de salles ou créer des formations, est également un plus. « Première spécificité du hip-hop, c’est la polyactivité de ses professionnels, qui conjuguent des « plans », des contrats dans l’institutionnel et le privé. Deuxième spécificité de la discipline : l’omniprésence de la question de la transmission, car les cours de hip-hop sont indispensables à l’équilibre économique de la plupart des danseurs, et cela répond à une forte demande », détaille Djakouane.
Institutionnalisation et underground
La réflexion autour des diplômes de professeurs et d’interprète est en cours entre le Ministère de la culture et les acteurs du hip-hop depuis plus de dix ans. « Pour les défenseurs du diplôme, un diplôme reconnu par l’Etat répondrait à des enjeux de sécurité, pour certifier les compétences des professeurs de hip-hop. Et aussi à un enjeu d’égalité pour que les professionnels puissent être reconnus et rémunérés comme les professeurs des autres danses. Cela garantirait aussi, du point de vue des employeurs, un certain niveau. Et enfin, cela permettrait d’enseigner le hip-hop dans les conservatoires au même titre que les autres danses, assurant un statut pour les professeurs, et un accès plus égalitaire pour les élèves », énumère Louis Jésu. Mais dans le milieu, des voix s’élèvent aussi contre cette institutionnalisation de la danse hip-hop, à l’origine une danse de résistance, de défiance vis-à-vis des institutions publiques, une danse underground. Si l’Etat définit la manière dont on forme un danseur de hip-hop, alors, il dit ce qu’est le hip-hop. Que resterait-il alors de l’autonomie de la danse ? Cela ne risquerait-il pas de la figer, d’éteindre sa vitalité ?
De la vitalité, en tout cas, la salle n’en manquait pas au moment de la discussion, abordant aussi d’autres problématiques, telles que les enjeux du rattachement du hip-hop au sport ou à la danse, notamment avec l’arrivée des JO de 2024, année où le break-dance deviendra sport olympique. « Cette étude atteint ses objectifs en offrant un cadre de réflexion pour poser toutes ces questions », se réjouit en fin de rencontre Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la culture. Louis Jésu en poursuit un autre, au second plan : « Du fait notamment de cette résistance à l’institutionnalisation, il existe très peu d’écrits historiques ou sociologiques sur le hip-hop. Les archives sont disséminées et finissent souvent par disparaître. Au delà de la question des diplômes, il y a un enjeu patrimonial à penser l’évolution du hip-hop français ».
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