Guaté Mao, le monde dans un pochoir
Les portraits de ce street-artist, réalisés au pochoir, ornent les murs de Saint-Denis, d’Aubervilliers ou de La Courneuve. Rencontre avec un citoyen du monde qui a fait de la Seine-Saint-Denis son chez-lui.
Ses portraits urbains disent tantôt la beauté qui s’ignore, tantôt une vie de labeur, tantôt l’innocence perdue. Si vous vivez en Seine-Saint-Denis, et en particulier à Saint-Denis ou Aubervilliers, il est probable que vous ayez déjà croisé le travail de Guaté Mao, sur un mur craquelé ou du mobilier urbain. Sa dernière création de grand format se situe à l’arrêt du tramway T1 Hôtel de ville de la Courneuve, où une réplique du tram enjolive un mur d’une vingtaine de mètres, avec à bord les fameux visages de jeunes ou d’adultes réalisés au pochoir.
« Là, il s’agit principalement d’habitants de la Seine-Saint-Denis, mais le plus souvent il n’y a pas de lien direct au département. En revanche, ce sont toujours des gens existants, que j’ai croisés au cours de mes voyages », explique Guaté Mao dans le calme de son atelier. Citoyen du monde, le jeune homme de 26 ans a en effet besoin de prendre régulièrement le pouls de la planète pour, comme dirait le poète, « voir comment les hommes vivent ». En 2019, ses pas et son appareil photo l’ont ainsi mené en Iran ou encore au Portugal.
C’est de ces pérégrinations qu’il ramène ces visages qui finissent par embellir les murs de Seine-Saint-Denis. Pourquoi eux plutôt que d’autres ? « Je ne sais pas. Je suis avant tout sensible aux regards, à ce qu’ils disent. Un regard d’enfant notamment en dit parfois plus long qu’un grand discours. Je crois que je veux surtout transmettre une certaine ouverture à l’autre », lâche le street-artist, qui, aussi mystérieux que son pseudo, ne veut pas tout livrer.
Ces visages - qui racontent le monde - résonnent en tout cas à merveille avec un département au métissage intense. Ce territoire que Guaté Mao a découvert il y a 6 ans en provenance de Montpellier et auquel il s’est naturellement attaché. Dévié dans ses vélléités de conquérir Paris par des loyers exorbitants, le Sudiste se souvient encore de son arrivée à Saint-Denis : « je sors sur le parvis de la gare RER et je vois ces stands de brochettes, cette animation. J’ai tout de suite compris que Saint-Denis me ferait toujours voyager. C’est là que je me suis dit qu’il n’y avait pas que Paris… »
Bien lui en prend : le territoire, qui a déjà connu un premier âge d’or du graff avec le collectif des 93 MC et les inspirations de Marko 93, est justement à la recherche d’un second souffle. Les visages de Guaté Mao, version discrète et colorée de ceux du photographe JR, tombent donc à point nommé.
De portrait en portrait, celui qui se donne pour mission de « refaire du beau sur du moche » commence à faire sonner son pseudo. Au point d’intéresser aussi les collectivités territoriales, qui font appel à lui, comme Saint-Denis pour la Street Art Avenue ou donc La Courneuve.
Question de regard
Pas sectaire, habitué à jongler entre les commandes publiques, associatives et les expos, le jeune homme semble à l’aise dans tous les milieux, comme en témoigne aussi cette anecdote. « Une fois, raconte-t-il, la mairie d’Aubervilliers m’avait chargé de repeindre un pilier de l’autoroute A86. Problème : ce pilier portait déjà la signature d’un type du nom de Staz, un graffeur pur jus qui taguait à tout-va. Je me suis dit : à la minute où mon portrait sera sec, il va tout recouvrir de son nom. Alors, je l’ai appelé pour lui proposer de faire son portrait, où on le verrait assis sur son propre nom. Ca a marché, il a accepté. Preuve aussi que graff et street art ne sont pas si inconciliables que ça... »
Cette même chaleur et générosité, il en fait aussi usage au cours des ateliers scolaires qu’il anime régulièrement. Comme au lycée Louise-Michel d’Epinay où il a organisé l’année dernière une exposition avec de jeunes décrocheurs scolaires. « Ensemble, en bossant une semaine complète avec moi, ils ont vendu pour 1200 euros d’œuvres. Eux qui ont parfois du mal à croire en eux, je peux vous dire que c’était super valorisant. Ce n’est évidemment pas la solution à tout, mais se rendre compte qu’on peut faire du beau, c’est un premier pas… », dit-il sobrement.
Curieux de ce que font ses alter-ego, Guaté Mao ne rechigne pas non plus à faire dialoguer ses œuvres avec d’autres. Depuis début octobre, il fait ainsi partie, aux côtés de 25 autres street-artistes du projet « Fenêtre sur rue », monté par l’association Le Mur 93 et l’office de tourisme de Plaine Commune Grand Paris et visible jusqu’à l’automne 2020. « Ce parcours artistique consiste à placer les portraits de 70 habitants de Saint-Denis dans des fenêtres murées du centre-ville. En même temps, ces habitants livrent aussi leur regard sur leur quartier dans un livret qui accompagne le projet », explique Malo Garnier, l’un des initiateurs de l’expo. Encore une question de regard.
Toutes les œuvres sont de ©Guaté Mao
Photo du haut : ©Nicolas Moulard
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