Aide aux réfugiés Saint-Denis Montreuil

En Seine-Saint-Denis, deux incubateurs permettent à des réfugié·e·s de devenir entrepreneur·euse·s

Depuis deux ans, les villes de Montreuil et de Saint-Denis accueillent sur leur territoire un incubateur qui accompagne dans leur projet de création d’entreprise des personnes ayant le statut de réfugié. Un dispositif en plein essor piloté par The Human Safety Net, la fondation du groupe Generali, en collaboration avec le réseau d’accompagnement La Ruche.

Il y a Lulwa, Sonila, Nidal, Mohammad, Josiane et des dizaines d’autres encore. Ils ont 30, 40 ou 50 ans. Leur point commun ? Ils possèdent un statut de réfugié et ont intégré récemment un programme d’accompagnement dédié à la création d’entreprise. Ce dispositif, mis en place par The Human Safety Net (THSN), la fondation de la compagnie d’assurances Generali, et la Ruche, un acteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) qui forme les personnes qui souhaitent entreprendre, a vu le jour il y a deux ans. Deux incubateurs ont été créés, l’un à Montreuil (depuis octobre 2019), l’autre à Saint-Denis (depuis février 2021) grâce à l’obtention d’une subvention du Plan d’investissement dans les compétences (PIC) délivrée par le ministère du Travail. « Nous avons fait le choix de nous installer en Seine-Saint-Denis car Generali est très attaché à ce territoire, du fait de l’implantation de son siège à Saint-Denis depuis près de vingt ans, explique Elise Ginioux, présidente de THSN France et en charge de la communication, de la RSE et des affaires publiques chez l’assureur. De plus, Montreuil et Saint-Denis sont des villes particulièrement dynamiques en matière d’entreprenariat – elles comptent un nombre croissant d’associations et de startups – tandis que de nombreuses nationalités, dont des personnes réfugiées, s’y côtoient. »

Accompagnements individuel et collectif

Pour faire partie des bénéficiaires, quelques prérequis sont demandés : jouir de la protection internationale (statut de réfugié), avoir une idée de projet de création d’entreprise ou d’association, avoir un niveau minimum de français (le programme comprend de toute façon des cours enseignés par un « binôme de langue »), mais surtout « être motivé », pointe Sina Josheni, responsable de l’incubateur de Montreuil, qui abrite actuellement dans ses locaux de la place de la République une quatrième promotion - celui de Saint-Denis, sis dans les bureaux du collectif d’associations Pont CommUn, en est à deux.

Chaque promotion compte quinze incubé·e·s suivis durant neuf mois. La prestation porte sur un accompagnement individuel, qui comprend un suivi au quotidien et un rendez-vous mensuel pour faire un diagnostic d’avancement, ainsi qu’un accompagnement collectif, soit huit ateliers animés par les équipes de bénévoles et d’experts de La Ruche chargés de transmettre leurs connaissances en matière de méthodologie, de business model, de chiffrage de projet, de marketing, de communication, etc.

Accompagner un·e entrepreneur·se réfugié·e « nécessite beaucoup d’agilité, précise Sina. Certains d’entre eux ont une activité professionnelle à côté, alors on s’adapte aux horaires de chacun en proposant des masterclass le soir ou le week-end. » A La Ruche, les intervenant·e·s aiment à répéter qu’ils·elles exercent un rôle de médecin généraliste. « Si on considère que les personnes incubées ont besoin d’un spécialiste pour régler des problématiques d’ordre juridique ou de comptabilité par exemple, on les oriente vers notre réseau d’experts », signale le responsable qui rappelle que l’objectif est que chaque entrepreneur·se devienne autonome à l’issue des neuf mois de formation. Et si le projet n’aboutit pas, ce qui peut évidemment arriver, les bénéficiaires ne sont pas laissés sur le bord de la route. « Il existe d’autres sorties positives, comme décrocher un emploi ou une formation », mentionne Sina.

Des « mentors » pour se constituer un réseau

De fait, le programme repose pour beaucoup sur les « coaches » (des étudiant·e·s, des retraité·e·s, des agent·e·s municipaux·les, etc.) et les « mentors » (lesquel·le·s connaissent parfaitement le domaine d’activité visé par l’accompagné·e) engagé·e·s sur la base du bénévolat et avec lesquel·le·s les réfugié·e·s entrepreneur·se·s vont « co-construire une relation de confiance et d’entraide », assure Sina. Dans le rôle du mentor, on retrouve des contributeur·se·s de chez Generali mais aussi d’autres entreprises partenaires du réseau : BNP Paribas, la fondation SNCF, Plaine Commune ou encore le Medef 93. Outre leur connaissance du terrain, ces dernier·ère·s permettent aux incubé·e·s, grâce à leur épais carnet d’adresses, de se constituer un solide réseau. « L’entreprenariat, et plus généralement l’emploi, sont des sujets qui nous tiennent à cœur, confie Elise Ginioux. Ce sont des facteurs de dignité et d’intégration. Ce programme d’incubateurs permet également de déconstruire certains préjugés. Le droit d’asile est souvent porteur de désinformation, de fantasmes, d’amalgames. » Rappelant soit dit en passant que les réfugié·e·s sont des personnes fuyant le risque de persécution ou de préjudice grave dans leur pays d’origine. Depuis le lancement des deux incubateurs en Seine-Saint-Denis, 79 entrepreneur·se·s réfugié·e·s ont été accompagné·e·s, 28 structures créées et 16 personnes se sont réorientées (vers un emploi ou de la formation).

Grégoire Remund
Photos : ©Nicolas Moulard

Portraits

Des réfugié·e·s entrepreneur·se·s aux origines, parcours et objectifs divers

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Eva Molina
Cette Vénézuélienne de 37 ans est arrivée en France il y a deux ans. Un pays qu’elle connaissait déjà pour y avoir étudié les langues étrangères plus jeune. Au Venezuela, elle s’était lancée il y a quelques années dans le métier de créatrice de bijoux. Une activité qu’elle a continué d’exercer en France mais qui, faute de financements et de business plan, peinait à décoller. C’est là qu’est entré en jeu l’incubateur de Saint-Denis. « J’ai présenté mon projet à la Ruche qui m’a accueillie les bras grand ouverts », raconte Eva. Sa formation, qui a commencé en début d’année, touche désormais à sa fin. « Aujourd’hui, je suis imatriculée au répertoire des métiers et j’ai installé un atelier de création dans mon domicile de Pierrefitte-sur-Seine. J’attends encore des financements pour investir dans des machines et des outils de fabrication. » Son objectif, à terme : créer un e-commerce et participer à des projets de boutiques éphémères « pour côtoyer d’autres créateurs ».

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Zina Al Halak
Née en Syrie il y a 47 ans, Zina Al Halak est une comédienne en exil. Diplômée de l’Institut supérieur d’art dramatique de Damas, elle est revenue en France en 2017 après y avoir vécu 7 ans il y a quelques années.. Et a obtenu son statut de réfugiée seulement un mois et demi plus tard. Une rareté. Son projet grâce à l’incubateur : créer une association qui favorise les échanges culturels entre la France et les pays dont les populations sont contraintes à l’exil. « A travers diverses activités artistiques (théâtre, cinéma, photographie…), je souhaite aider les nouveaux venus en France à s’intégrer, dit-elle. Ce pays m’a donné une force, une chance de revivre. Je me sens de nouveau considérée comme une citoyenne de premier rang. » Actuellement, elle prépare un projet d’atelier consacré à la fabrication de documentaires à la Maison Ouverte, à Montreuil. « Il ne me manque que les financements », avertit-elle.

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Kinan Al Koudsi
Après avoir traversé six pays pour fuir son pays en guerre, la Syrie, Kinan a débarqué en France en 2014. Le jeune homme de 33 ans a obtenu la nationalité française en mai dernier. Il a d’abord travaillé en tant que logisticien pour des ONG dans le cadre de projets d’aide au développement puis comme chargé de conformité bancaire (lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme) auprès de la Société générale. Mais aujourd’hui, le natif de Damas a d’autres plans, et c’est pour cette raison qu’il a sollicité l’aide des incubateurs : devenir traiteur événementiel, en proposant lors de soirées cocktail des spécialités syriennes vegan, mais aussi ouvrir un bar à mezzés à l’université Gustave Eiffel de Champs-sur-Marne (17 000 étudiants et 2 300 personnels à ce jour). Un projet qui avait fait l’objet d’un appel d’offres qu’il a brillamment remporté et qui, pour démarrer, nécessite une ultime validation de l’administration universitaire. Et d’analyser : « La Ruche m’a permis de trouver le statut juridique qui me correspondait le mieux et d’élaborer un business plan, j’espère maintenant que ces deux activités vont décoller. »
G.R


 
 

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