Bande dessinée Pantin

Du bitume et des bulles

Trois sociologues et trois auteurs de BD présentaient leurs ouvrages portant sur les habitants des quartiers populaires, samedi 3 novembre, aux Docks B à Pantin. L’occasion de débattre de la manière de représenter nos banlieues...

« Notre travail est à 1000 kilomètres « d’Inch’Allah » », martèle Solenne Jouanneau. Le sous-titre du livre d’enquête qui fait le buzz depuis quelques semaines, « l’islamisation à visage découvert », hérisse les trois sociologues et leurs alter ego dessinateurs de bédés. Et ce sont des loopings qu’ils ont fait lorsqu’ils ont entendu Gérard Davet et Fabrice Lhomme, commanditaires de ce « livre évènement », se distinguer des sociologues qui se feraient « des nœuds au cerveau ». « Ils utilisent le slogan « 0% idéologie, 100% faits », comme si notre travail était pétri d’idéologie, et pas le leur », riposte Jérôme Berthaut.

Assis derrière la table basse qui sert de tribune, en cette fin d’après-midi, samedi 3 novembre, trois binômes sociologue/dessinateur. Sur la table, leurs trois bédés, éditées dans la collection Sociorama, dont le principe est de publier des fictions dessinées adaptées de thèses en sociologie. Il y a là « La banlieue du 20h », de Jérôme Berthaut et Helkarava, « La petite mosquée dans la cité », de Solenne Jouanneau et Kim Consigny, et « Vacances au bled », de Jennifer Bidet et Singeon. « Nous sommes réunis ce soir parce que nos trois ouvrages portent sur les habitants des quartiers populaires par d’autres prismes que ceux de la délinquance, du terrorisme, ou de l’islamisation », introduit Jérôme Berthaut. A l’opposé du livre « Inch’allah », qui, en évitant de donner une définition précise du phénomène sur lequel porte l’enquête - l’islamisation-, fourre dans le même sac le fait que des habitants du 93 fassent le ramadan de plus en plus jeunes, qu’ils partent en Syrie faire le jihad, qu’ils recourent de plus en plus à la médecine prophétique. Façon patchwork.

Ce soir, donc, nos sociologues et bédéastes font la promotion d’une manière alternative de parler de la banlieue. « La collection Sociorama est née d’un séminaire qui rassemblait des sociologues épris de bd, et des bédéastes ayant envie de populariser le travail des sociologues. A la tête de ces derniers, Lisa Mandel, qui avait notamment chroniqué en bédé la jungle de Calais. Elle est devenue la cheffe de la collection », explique Jennifer Bidet. Depuis, une dizaine d’ouvrages est sortie, adaptant des thèses sur le travail dans le BTP, l’industrie du porno, le sexisme des médecins ou même la série Plus belle la vie.

« L’enjeu, c’est de créer une fiction permettant de transmettre les principaux enseignements de la thèse. C’est plus court, moins chiant, car on crée des procédés narratifs, l’utilisation de personnages rend le propos plus vivant », détaille Jennifer Bidet. L’écueil de l’exercice serait de trop s’éloigner de la thèse, et de perdre ainsi en rigueur scientifique. « C’est pour cela qu’un comité de chercheurs suit notre travail », explique Solenne Jouanneau. Les dessinateurs sont aussi amenés à se poser cette question de la représentation du travail sociologique, de la fidélité à la thèse lorsqu’ils synthétisent en un seul personnage les propos de différents interlocuteurs, en questionnant le message envoyé par leur manière, par exemple, de représenter la banlieue. Une manière d’apprendre, de se divertir, sans tomber dans la candeur, ni se faire peur.

La petite mosquée dans la cité

La petite mosquée dans la cité est une adaptation d’une thèse basée sur l’entretien de Solenne Jouanneau avec trente imams. Pour mettre en scène les enjeux au cœur desquels sont placés les mosquées et les imams, les deux auteures choisissent de raconter la vie de Moussa, imam d’une petite mosquée qui doit superviser la construction d’une nouvelle. « Il se passe finalement dans les mosquées des choses très ordinaires, et il fallait raconter cette banalité. Je voulais aussi montrer la manière dont le ministère de l’Intérieur faisait des mosquées un enjeu, l’attention portée à ces lieux de culte dans un Etat laïc, la manière dont les fidèles eux-mêmes blaguent de cette surveillance. Faire de trouvailles dans des cartons d’archives des histoires était un défi ».

La banlieue du 20h

Jérôme Berthaut est à l’origine de la thèse adaptée sous le titre la « Banlieue du 20 heures ». Journaliste reconverti en sociologue, il veut comprendre pourquoi, malgré des polémiques régulières sur le traitement médiatique des banlieues dénoncé par les habitants, les journalistes continuent de tomber dans les mêmes représentations stigmatisantes. « J’ai fait mes terrains d’observation à la Dépêche du Midi et au JT de France 2, où j’ai suivi les journalistes de la commande du sujet par leurs rédacteurs en chef à la diffusion du reportage, et je décris à travers la vie de Jimmy, un personnage inventé, la manière dont on apprend aux jeunes journalistes à rentrer dans le format », explique Jérôme Berthaut. Le dessinateur, Helkarava, a lui-même fait un stage à France 2 pour y trouver des inspirations.

Vacances au bled

Enfin, « Vacances au bled » raconte le retour de descendants d’immigrés en Algérie pendant les vacances d’été. « Choisir ce sujet permettait de sortir les habitants des quartiers populaires de la banlieue, de montrer qu’il y a aussi de la mobilité, d’autres rapports que ceux au quartier. Les vacances au bled sont-elles une parenthèse qui permet de souffler, de ne plus subir les pesanteur de l’exploitation au travail, de la stigmatisation du quartier, ou sont-elles un moment où l’on est tout de même renvoyé à son identité, à ses appartenances ? », problématise Jennifer Bidet. A travers des portraits croisés de vacanciers, Singeon et Jennifer Bidet montrent comment à la douane, devant un match de foot, à la plage, ces questions d’identité sont sans cesse renvoyées aux Franco-algériens.

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