« Désobéir », un hymne à la jeunesse française
Porté par quatre comédiennes pleines de vie, cette pièce créée au Théâtre de La Commune d’Aubervilliers fait entendre la voix de jeunes femmes issues de l’immigration. Leur point commun : avoir dû s’opposer pour se construire, face à leur milieu familial, au poids des traditions ou au regard de la société. Une pièce forte, qui montre le visage de la France d’aujourd’hui.
Elles s’appellent Charmine, Lou, Séphora et Ava. A elles quatre, elles portent ce texte plein de vie et d’esprit de rébellion qu’est « Désobéir », mis en scène par Julie Berès. Créée dans le cadre des pièces d’actualité du théâtre de La Commune, cette pièce se nourrit du vécu de chacune des quatre comédiennes, mais aussi des témoignages de 40 autres jeunes femmes des quartiers populaires, mises à contribution pour l’écriture de ce texte. « A l’époque de l’écriture, on avait lancé plusieurs appels à témoignages, auprès du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers, de l’association La Brigade des Mères de Sevran, via des journaux aussi. Le texte final comporte des ingrédients de chacun de ces parcours de vie, sans que l’on puisse les attribuer spécifiquement à une jeune femme », explique Julie Berès. La metteuse en scène de la compagnie Les Cambrioleurs s’est entourée pour ce projet de l’auteur Kevin Keiss et d’Alice Zeniter, prix Goncourt des lycéens pour son magnifique roman « L’art de perdre ».
Mais pourquoi parler exclusivement de femmes d’ailleurs ? Une partie de la réponse est peut-être donnée par Charmine elle-même dans la pièce : « Les femmes, c’est un peu comme si toute notre vie, on devait prouver. »
« Ces 4 jeunes femmes, d’une manière ou d’une autre, ont su s’inventer en posant un non dans une société qui n’est égalitaire ni paritaire, elles ont su chacune à leur façon faire bouger les lignes des assignations sociales, politiques, culturelles et traditionnelles », poursuit Julie Berès.
« Désobéir », c’est d’ailleurs le premier mot qu’écrivent – évidemment sur un mur - les quatre jeunes comédiennes. Désobéir à l’entourage familial comme cette jeune femme d’origine iranienne, élevée dans l’idée fixe de la tenir loin des hommes. Désobéir à la religion comme cette Franco-Turque, dont le ressenti est d’avoir appris le Coran comme un automate. Mais désobéir aussi face au racisme ordinaire de la société française : à ce discours abject de Sarkozy à Dakar, sur « l’homme africain qui ne serait pas assez entré dans l’histoire », ou à ce metteur en scène qui renonce finalement au dernier moment à donner le rôle d’Agnès, de « L’Ecole des femmes », à une actrice noire.
« Wesh, mais t’as cru quoi ma gueule, qu’on allait te faire le texte version caillera ? », se scandalise Sephora. S’ensuit un moment assez savoureux où la jeune femme débite les répliques d’Agnès en langue des cités. Cela dit, même comme ça, Molière sonne bien… Tout d’un coup, on repense au film « L’Esquive » d’Abdellatif Kechiche, au plaisir évident de ces jeunes des quartiers à manier les mots et à constater que ces textes sont à tous et donc aussi à eux.
Sexe, religion, voile : « Désobéir » met tous ces sujets sur la table, sans tabous. Sur le voile, ces quatre-là tombent d’accord sur le fait que s’il est porté pour réfréner les désirs des hommes, il est injustifiable. Mais en contrepoint, vient le point de vue de Nour : une jeune femme qui choisit de porter le voile pour honorer sa foi. « La pièce se garde bien de trancher : le voile peut être instrument de domination de la femme, comme il peut être porté par spiritualité », affirme Julie Berès.
Poignant à certains moments, jubilatoire à d’autres, « Désobéir » s’achève sur cette ultime phrase prononcée par Lou : « Je n’ai aucune envie de partir avec des frustrations ou des choses inachevées ». Message de crainte ou envie de croquer la vie ? « Ce qui me semble essentiel, c’est l’espoir et que certaines jeunes femmes arrivent à s’inventer elles-même, à trouver un territoire de liberté, de résilience. Leur exemple en entraînera d’autres, c’est ce que je veux croire », conclut Julie Berès.
Christophe Lehousse (en direct d’Avignon)
Crédits photos : ©Philippe Rémond ©Willy Vainqueur et Axelle de Russé
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